BD: Le scénariste Jean-Charles Chapuzet et le dessinateur Guillaume Martinez allient leur talent pour rendre hommage à Jacques Vergès
Publié en septembre par la maison d’édition Glénat, Vergès : Une nuit avec le diable, l’opus signé par le tandem, plonge les lectrices et les lecteurs dans l’intimité du « plus controversé des avocats du XXème siècle ». En s’appuyant sur un entretien que l’avocat a accordé, au crépuscule de sa vie, à Jean-Charles Chapuzet, cette bande dessinée dédiée à la vie de Jacques Vergès, célèbre avocat réunionnais, frère de Paul Vergès, permettra aux jeunes générations de découvrir ce personnage sulfureux et à travers lui, l’histoire du XXème siècle. Ce roman graphique retrace ses plus grands combats en tant qu’avocat sulfureux et controversé. Le journaliste Jean-Charles Chapuzet a élaboré ce portrait, illustré en noir et blanc, par Guillaume Martinez.
On ne présente plus Maître Jacques Vergès tant sa réputation démoniaque le précède. Fréquemment qualifié de « narcissique », « cynique » et « provocateur », des qualificatifs qui le divertissaient. Jacques Vergès enchaîna les procès médiatiques jusqu’à devenir une star du barreau dans les années quatre-vingts mais aussi une star du petit écran : Jacques Vergès avait saisi avant ses contemporains la portée que pouvaient avoir ses plaidoyers et ses tribulations retransmis à la télévision.
Jacques Vergès a toujours cultivé le mystère autour de sa vie, intriguant, agaçant, provocant souvent et s’amusant avec un plaisir évident et un léger rictus diabolique. Cultivant donc les zones d’ombre, à commencer par le lieu et l’année de sa naissance : né le 20 avril 1924 au Laos, mais officiellement le 5 mars 1925 à Ubon Ratchathani, au Siam (actuelle Thaïlande), Jacques Vergès a toujours alimenté ce doute. Seule certitude sur ses jeunes années : il grandit sur l’île de la Réunion et se passionne très tôt pour la politique.
Pour les personnes qui l’ont connu et l’ont vu à l’œuvre, Jacques Vergès a fréquemment scandalisé en prenant la défense des plus grands criminels, comme celle du nazi Klaus Barbie, dont le procès, à la fin des années quatre-vingt, était quotidiennement diffusé au journal télévisé puis celle de Slobodan Milosevic. Au fil des défenses de criminels qu’il assure, Jacques Vergès forge sa propre légende d’avocat du diable. En un demi-siècle de carrière, il pénètre les hautes sphères du pouvoir, tisse des amitiés discutables, selon l’opinion publique, comme Pol Pot, Mao, Carlos, Saddam Hussein.
Inlassablement, Jacques Vergès rappelle et revendique que toute démocratie implique que toute personne a accès à un procès équitable, et par conséquent, a droit à la défense. Par un choix délibéré, il enchaînera les procès retentissants, en particulier quand l’accusé concernait le terrorisme, la pédophilie et, bien évidemment, la Shoah.
Le roman graphique signé Jean-Charles Chapuzet et du dessinateur Guillaume Martinez rappelle ces éléments, dont le fait que Jacques Vergès, qui se plaisait à alimenter son caractère sulfureux et scandaleux, ait toujours laissé planer le doute sur ses huit années d’absence après avoir fait le choix de défendre les fedayin de la guerre d’Algérie et d’épouser la cause de l’Algérie indépendante, en épousant Djamila Bouhired, militante du Front de libération nationale (FLN), collaboratrice de Yacef Saâdi. Le couple aura deux enfants.
Si le roman graphique de Jean-Charles Chapuzet et Guillaume Martinez livre tous ces jalons de la biographie de Jacques Vergès, qui le présente comme « l’avocat de toutes les résistances », on est quelque peu frustré que l’album survole les grandes affaires de l’avocat. Un regret pour les jeunes générations qui devront se plonger dans sa biographie pour en découvrir plus d’éléments !
Même si ses idées ne font guère l’unanimité et sèment la discorde, la trajectoire de Jacques Vergès demeure fascinante. Résistant à dix-sept ans puis fervent militant anticolonialiste, il embrasse une carrière d’avocat presque malgré lui en 1956. Vergès : Une Nuit avec le Diable rappelle les fissures de l’enfant métis écorché puis les éclats du « salaud lumineux », donnant une forte envie d’aller visionner les entretiens qu’il a donnés pour revoir ce personnage troublant, ambigu, intrigant en pleine action.
Firouz E. Pillet
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