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Le retour des hirondelles (Yin Ru Chen Yan, traduit en anglais par Return to Dust), fait la part belle aux exclus de la société rurale chinoise

Sélectionné en compétition à la dernière Berlinale, le film du Chinois Li Ruijun enchante par son délicat récit d’un couple de paysans dépouillés qui se retrouvent confrontés à l’inéluctable retour à la terre.

— Hai Qing et Renlin Wu – Le Retour des hirondelles
© trigon-film.org

Dans la campagne chinoise, non loin du désert de Gobi, bordant la Mongolie intérieure (on perçoit que les acteurs parlent soit en mandarin, soit en mongol, fondé sur le dialecte tchakhar), Ma Fer (Renlin Wu), un paysan chinois âgé, cultive avec ardeur et passion la terre, inlassablement accompagné de son fidèle âne qui tire son unique bien, sa charrue. Tout au long du film, l’âne au pelage soyeux s’avérera un protagoniste à part entière.

Au fil des saisons, Ma mène une vie rude de paysan sur les parcelles que lui loue une coopérative. Comme il est le dernier de sa fratrie à ne s’être marié, cette situation ne peut plus durer vu son âge. Pour y remédier, ses frères et sœurs décident donc des épousailles entre Ma et Guiying (Hai Qing), une femme handicapée et à la santé fragile que son frère et sa belle-sœur ont condamné à vivre dans un cabanon dans la cour de leur maison.

Le retour des hirondelles relate avec finesse et poésie l’histoire d’un mariage arrangé entre deux êtres méprisés par leurs familles et rejetés par la société qui les entoure. Entre eux, la timidité fait rapidement place à l’affection. Contre toute attente, et à la grande surprise de leurs familles et des villageois, ces deux êtres malmenés par la vie et par leur entourage vont se lier d’un amour sincère. Guiying, ostracisée par la communauté qui la considère comme attardée, trouve compréhension et bienveillance auprès de Ma. Ignorant les remarques désobligeantes, les insultes et les critiques que leur lancent les villageois à leur passage, Ma et Guiying sont bien décidés à protéger leur foyer en s’ouvrant l’un à l’autre.

Mais autour d’eux, la vie rurale se désagrège irrémédiablement…

Le sixième film de Li Ruijun propose une délicate romance empreinte d’une grande tendresse qui unit deux êtres écartés et exclus par les leurs. Dès les premières scènes, il est clair que Li Ruijun et son directeur de photographie Wang Weihua ont choisi de mettre en valeur visuellement la beauté de la terre et de ses habitations rustiques qui soulignent les contrastes de la Chine d’hier et celle d’aujourd’hui.

Né dans la province de Gaotai en 1983, en Chine, à la frontière de la Mongolie intérieure, Li Ruijun a commencé à étudier la peinture et la musique à l’âge de quatorze ans. En 2003, il est diplômé de l’Institut de gestion du Ministère national chinois de la radio, du cinéma et de la télévision. Ses films ont été sélectionnés dans des festivals tels que Venise, Berlin, Cannes et Tokyo.
Réalisateur de nombreuses fictions ancrées dans la réalité de la paysannerie, le cinéaste a lui-même grandi dans la province rurale du Gansu. Sa connaissance du lieu l’a porté sur le choix de cette région pour tourner ce sixième long-métrage. C’est certainement son étude de la peinture qui amène Li Ruijun à brosser ce tableau pictural et hypnotique de deux rebuts de la société qui évoluent ensemble, alliant leurs compétences, au cœur de la nature au fil des saisons.

Décrivant la rencontre de deux êtres esseulés et leur étroit lien avec la terre qui les nourrit, Le Retour des hirondelles est avant tout un film sur l’amour d’autrui, Quelles que soient ses ses faiblesses ou ses tares, et de la nature. Visuellement luxuriant, plein de cadres magnifiquement composés et d’un éclairage subtil qui épouse le jaune étincelant des dunes de sable, le vert pastel des rizières et le mordoré des champs de blés ou de maïs, le film est un véritable régal pour les yeux au fil des paysages magnifiquement observés. Cependant, le cinéaste n’hésite pas à décrire le travail harassant effectué avec pugnacité par son couple protagoniste. Malgré l’indifférence dont font preuve leurs familles et les maigres possessions qu’on leur donne pour contribuer à leur mariage, Ma insiste pour brûler régulièrement des offrandes afin d’honorer leurs ancêtres et bénir leur union. Ces offrandes qui scandent la routine de leurs journées de labeur attestent que cet homme taciturne et analphabète – il signe les reçus de la coopérative avec l’empreinte de son pouce imprégné d’encre – a un côté spirituel très prononcé.

Les deux protagonistes unissent leurs destinées et partagent un mode de vie traditionnel, indigent et en voie de disparition. Si la terre qu’ils cultivent leur est clémente, la vie est dure pour ce couple. Tout en séjournant temporairement dans diverses maisons abandonnées, ils découvrent progressivement que l’administration a décidé de les démolir pour contraindre les paysans à quitter leurs terres et à migrer dans les villes. D’ailleurs, un appartement sera proposé à Ma qui le visitera avec sa femme, mais il déclinera l’offre.

Ma retire et raccroche avec soin le symbole rouge « double bonheur » pour les jeunes mariés chaque fois qu’ils déménagent. Soudain, Ma attire la considération de tous les villageois comme il est le seul à pouvoir donner son sang, le sang du Panda, compatible avec le père moribond du directeur de la coopérative. Entre les réguliers voyages à la ville pour donner son sang, Ma et Guiying puisent de l’eau pour fabriquer des briques de boue afin de construire leur propre maison. Alors que les nombreuses briques nécessaires à l’édifice de leur maison sont en train de sécher, les éléments naturels se retournent contre eux au fil des saisons : une pluie torrentielle s’abat sur les briques et des bourrasques emportent les sachets en plastique qui les protègent.

Malgré le découragement ponctuel du couple face à ces affres, leur compagnonnage, basé sur le respect, et leur désir partagé de se créer une vie ensemble les soutient.

Alors que le film pourrait être lu, en filigranes, comme une critique implicite de la Chine pour son rejet systématique des faibles et de sa volonté de les occulter dans sa course effrénée à la modernisation, il séduit par sa contemplation des paysages et l’exaltation de la bienveillance, de la gentillesse et de l’altruisme. À travers ce microcosme, Le retour des hirondelles reflète aussi le cheminement d’une relation qui peut s’ouvrir sur le monde entier. Ce récit poétique d’un mariage arrangé qui s’épanouit en un véritable partenariat, telle une fleur, ou plutôt tel un épi de maïs ou de blé qui mûrit et éclot, livre un drame captivant et magnifiquement encadré qui fait de la simplicité une vertu.

Immanquablement, le film suscite la réflexion et poursuit le public bien au-delà de la projection et s’avère certainement l’œuvre la plus touchante et la plus accessible de Li Ruijun à ce jour, le confortant comme un talent cinématographique important que les diktats idéologiques de Xi Jinping n’auront pas réussi à museler !

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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