Berlinale 2021 – Os últimos dias de Gilda (The Last Days of Gilda), une mini-série présentée dans Berlinale Series, met en scène de manière éblouissante une femme qui s’affirme, physiquement comme moralement !
Cette production brésilienne, une adaptation du monologue théâtral éponyme de Rodrigo de Roure, se limite à quatre épisodes de 25 minutes environ. À première vue complètement déjantée, Os últimos dias de Gilda a pour première qualité de ne pas s’embarrasser de fioritures narratives et d’aller droit à son propos par le biais de l’ellipse maîtrisée de main de maître par son réalisateur Gustavo Pizzi et sa co-scénariste, l’actrice qui tient le rôle de Gilda, Karine Teles. La durée des épisodes pourrait laisser penser que le réalisateur aurait pu en faire un film. Mais ce format de série permet justement d’aller à l’essentiel du propos, sans trop se soucier de continuité ; comme pour une pièce de théâtre, il permet de raconter l’histoire en actes plutôt qu’en déroulé classique. L’idée était bonne et surtout le résultat tout à fait probant.
Gilda est une femme totalement libre, qui ne s’en laisse pas compter, fait ce qu’elle a envie avec qui elle a envie et mange la vie à pleines dents. Son cœur, son corps et son âme semblent ne faire qu’un tout qui célèbre la vie à flots. Elle élève des porcs et des poulets destinés à l’abattage dans la cour de sa maison et, l’une de ses activités préférées, à côté de passer du temps avec ses différents amants, c’est de créer des recettes et leur servir des tables opulentes comme second acte d’amour. Mais son comportement et sa sexualité libres irritent de plus en plus ses voisin.e.s, en particulier Cacilda (Julia Stockler), l’épouse d’Ismael (Igor Campagnaro), qui se présente aux élections par l’intermédiaire d’un parti local lié à un groupe religieux. Les tensions montent crescendo, le quartier devient de plus en plus violent, les groupes de miliciens religieux veulent prendre le contrôle et se servent pour cela de la propension des gens à médire, à jouer de l’hypocrisie de la bigoterie et du sexisme pour cacher leur jalousie et leurs frustrations.
Les derniers jours de Gilda présentent une réflexion originale, dans sa forme et sa spectaculaire photographie, sur la liberté au sein d’un collectif, sur le rôle des femmes dans la société, l’acceptation de soi et la dangereuse alliance entre religion et pouvoir, réflexion d’autant plus importante à l’aune de l’état de la société brésilienne prise dans la coupe du régime autoritaire de l’actuel président Jair Bolsonaro.
La première scène du premier épisode est mémorable et donne le ton narratif qui oscille constamment entre grotesque et second degré, alliant esthétisme et profondeur du propos. Il s’agit ici de la mise en scène par Gilda de l’abatage d’un de ses cochons, comme si nous nous trouvions sur une scène de crime. Jouissant ! Chaque nouvel épisode débute par un plan fixe sur Gilda en train d’affûter un couteau, tantôt de manière concentrée, énergique, en colère ou pensive, en miroir des états d’âme qui la traversent dans la série. Car Gilda n’est pas une héroïne de bande dessinée, c’est une femme, avec ses fragilités, ses défauts, ses souffrances.
Le tour de force de cette série est de nous tenir en haleine alors que l’on sait dès le début dans quelles affres les personnages nous mènent. On reste intrigués par Gilda, on se demande comment, si ?, elle va pouvoir composer avec ces forces rétrogrades et garder son espace de liberté. La distribution comprend de nombreux acteurs connus au Brésil ainsi qu’à l’international avec Karine Teles (Bacurau, Loveling), Antonio Saboia (Bacurau), Julia Stockler (Invisible Life), Lucas Gouvêa (Loveling), Ana Carbatti, João Vitor Silva et Higor Campagnaro, et si toutes les actrices et tous les acteurs jouent avec beaucoup de justesse leur partition, c’est l’interprétation de Gilda par Karine Teles qui participe pour grande partie à la réussite de cette série : elle magnétise littéralement l’œil de la caméra !
Moralité de l’histoire qui n’est pas très originale, mais qu’il est toujours bon de rappeler encore et encore : le diable se cache peut-être dans les détails, mais cet axiome n’est valable que lorsqu’on a le luxe de se mouvoir dans un espace aéré par une certaine liberté. Plus communément, il se cache dans l’hypocrisie, la veulerie, l’obscurantisme, la jalousie, la soif de pouvoir, et si les opprimé.e.s se liguent contre lui, il n’est pas impossible de le chasser…
Malik Berkati
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