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Berlinale 2021 : dans la section Encounters, Azor, d’Andreas Fontana, redonne vie aux fantômes de la dictature argentine sur un damier aux enjeux internationaux

Azor fait partie de l’initiative «The Films After Tomorrow» qui vise à soutenir les professionnels du film dont les projets ont été stoppés par la pandémie de coronavirus afin de leur permettre d’achever leurs films ou de recommencer leur production. Sur les cinq-cent-quarante projets soumis (issus de cent-un pays), le comité de sélection a nominé dix productions pour la sélection internationale et dix autres pour la sélection suisse, sélection où la SSR est en lice avec les cinq coproductions. Azor d’Andreas Fontana, Das Mädchen und die Spinne (La jeune fille et l’araignée) de Ramon et Silvan Zürcher et La Mif de Frédéric Baillif (Freshprod) sont au programme du festival.

Azor s’ouvre sur un homme, souriant aux yeux bleu ciel, qui pose devant des plantes tropicales au feuillage abondant. La séquence suivante, le banquier Yvan de Wiel et sa femme, assis à l’ariare d’une voiture diplomatique, sont pris dans un bouchon dû aux contrôles d’identité des militaires. Par la fenêtre de la voiture, Yvan De Wiel observe un homme, fouillé au corps par un militaire : les sectateurs reconnaissent l’homme de la première séquence dont ils comprendront ultérieurement qu’il s’agit de Keys (Alan Gegenschatz).

Premier chapitre : La tournée du chameau

Le film d’Andreas Fontana suit donc le banquier privé suisse Yvan De Wiel (Fabrizio Rongione) qui se rend avec sa femme Inés (Stéphanie Cléau) à Buenos Aires, officiellement en voyage de noces, au milieu de la dictature militaire. Il recherche son partenaire, René Keys (Alan Gegenschatz). qui était en charge de maintenir les relations avec de riches clients argentins et qui a mystérieusement disparu. Dès son arrivée, De Wiel multiplie les rencontres avec divers partenaires et clients de la banque fondé par son grand-père et dont il a hérité de la gestion par son père. Parmi les partenaires commerciaux, De Wiel souhaite rencontrer un gros client, Anibal Farrell (Ignacio Vila). C’est l’avocat de Farell, avocat, Maître Dickerman (Juan Pablo Geretto), qui se présente au rendez-vous et toise De Wiel avec arrogance durant tout leur entretien. Puis le couple retrouve l’ambassadeur suisse à Buenos Aires, Monsieur Frydmer (Alexandre Trocki) pour un repas. Celui-ci rectifie les propos d’Inès : « J’ai parlé de rumeurs, pas de protestations. Ce sont des rumeurs, ni des protestations ni des commentaires. Et ici, en ce moment, la rumeur est un inconvénient. Mais j’aimerais être certain que Keys ne soit pas retenu dans un sous.sol de cette ville. » Puis, levant un toast au couple, l’ambassadeur Frydmer s’exclame : « Oublions Keys ! A votre voyage ! Comment vous appelez cela dans la banque privé, ce rite de passage ? Inès de répondre aussitôt : « La tournée du chameau ! » Puis elle se lève et quitte la table.
L’ambassadeur à de Wiel : « Tu savais que Keys avait un appartement en ville, à Palermo (quartier de Buenos Aires. N.D.L.R.). Ce serait fâcheux si des notes y traînaient. Dante, comme tout le mone le surnomme, le deuxième chauffeur de l’ambassade, peut t’y emmener. Il conduit mal mais il nous rend des services … très précieux. »

Par quelques bribes de paroles, le contexte est planté et les spectateurs se sentent privilégiés d’être dans la confidence aux côtés de De Wiel dont la femme est souvent priée de s’éloigner des conversations. Pourtant, comme souvent dans l’univers tant politique que celui des affaires, une femme d’excellent conseil et au jugement perspicace se cache derrière l’homme qui officie.
Quelques notes de guimbarde retentissent, des notes qui accompagnent tout au long du film les transitions entre les chapitres. au nombre de cinq, annoncés sur fond noir avec un titre en petits caractères blancs.

— Stéphanie Cléau, Ioana Padilla, Carmen Iriondo, Fabrizio Rongione, Raúl Lissarrague – Azor
Image courtoisie Berlinale

Chapitre deux : Les visites

La caméra d’Andreas Fontana nous entraîne autour d’une piscine privée, nous invitant à assister à la baignade d’Inès, dans la villa luxueuse de Madame Lacrosteguy (Carmen Iriondo, poétesse argentine, licenciée en Psychologie de l’Université Mar del Plata, N.D.L.R.), cliente de longue date de la banque.

On fume à chaque séquence, à l’intérieur comme à l’extérieur, même dans la piscine, peut-être pour nous prouver que nous sommes bien dans les années septante. Ce serait le seul reproche formel à faire Azor car ces cigarettes, certes acceptées en tout lieu à l’époque, sont omniprésentes dans le film et on en vient à compatir pour les poumons des acteurs.

Une voix off parle alors que la caméra d’Andreas Fontana se pose sur divers arbres et plantes d’un jardin à la végétation luxuriante. La veuve Lascrosteguy se confie au couple : « Quand René et moi voyagions, nous chantions. René me disait toujours que Les douaniers sentent la peur comme les chiens mais il ne soupçonnant les gens heureux. »

De Wiel est amené par le chauffeur Dante, taciturne et peu engageant, à l’appartement de Keys. Il explique à sa femme : « Un labyrinthe. Il y a plein de portes. J’a trouvé un calendrier, des gribouillis. Le calendrier indique un rendez-vus peu avant son départ : le cinq novembre, Lázaro : « Le même nom que sur l a liste que j’ai trouvé. La même que ma liste avec le nom de Lázaro en plus : un client peut-.être»

Dans les ambiances feutrées et tamisées des clubs ou des salons d’hôtels haut de gamme, au grand air dans les ranchs de la Pampa, dans les cercles très exclusifs, De Wiel enchaîne les rencontres afin de consolider les contrats avec les clients de la banque. Ainsi, dans un immense domaine où il cavalcade, De Wiel rencontre un autre client de la banque, Augusto Padel-Camón (Juan Trench), propriétaire terrien et d’une importante écurie de chevaux de courses. Alors qu’il discute avec De Wiel de l’ouverture d’un compte pour sa fille Leopolda, (Augusta Muñoz), dont les photographies la montre montant à cheval, disparue depuis peu, les épouse respectives discutent de leurs côtés, ce qui permet à Inès de confier à son mari : « Magdalena (Elli Medeiros) m’a dit qu’elle trouvait que tu avais l’air correct. Keys n’est qu’un infâme manipulateur, dangereux. Augusto pense peut-être a même choisi que sa femme.»

Face aux allusions de plus plus claires et insistantes sur l’attitude de Keys, De Wiel balaie les recommandations de prudence de sa femme : « Ce ne sont que des ragots ! » Pourtant, les spectateurs, invités à accompagner De Wiel à chacun de ses rendez-vous tout comme dans les arcanes des hautes sphères de la société argentine, perçoivent de plus en plus ce qui se trame mais qui reste tue dans les conversations quotidiennes qui demeurent anodines, trop anodines pour dire la vérité. Ce sentiment de percevoir des non.dits ira croissant à mesure que le récit se déroule, faisant des spectateurs des témoins de rouages censés être impénétrables l’époque de l’histoire, et ainsi témoins de contrats inavouables.

Chapitre 3 : Un duel

De Wiel se rend au club très fermé du Cercle des armes : « Allez au plus simple, mon petit ! Vous y rencontrerez le gratin de la junte. », lui recommande son collègue Decôme (Gilles Privat) qui ajoute aussitôt : « Keys était sans doute le meilleur d’entre nous. Ses méthodes sont devenus problématiques. Des bruits courent : on l’a vu avec chacun d’entre nous a un point de rupture. Keys avait totalement perdu la tête. »
Un membre du club alpague De Wiel, lui relatant son difficile négoce avec le Crédit suisse, avant de se faire rappeler à l’ordre par Monseigneur Tatoski (Pablo Torre Wilson): « Monsieur De Wiel travaille pour une banque privée qui a un lignage, cela n’a rien à voir la banque commerciale. »
Dans la scène suivante , Monseigneur Tatoski a invité De Wiel à se retirer dans un coin du salon et se met à mener un monologue devant De Wiel qui reste mutique devant la portée lourde sous-entendus du prélat : « La vermine, on l’éradique, y compris dans les meilleures familles. Vous êtes différent d Keys, plus humble. raisonnable. Lui, il nous traitait d’assassins. » Ajoutant après une courte pause : «Les distractions sont rares en ces temps troubles. C’est une période sombre, ténébreuse. on a dû sortir dans les rues pour les nettoyer. »

Les spectateurs, honorés d’accompagner De Wiel dans les réunions très fermées des hauts dignitaires, des militaires et de l’Eglise, n’ont plus de doute. Les séquences extérieures de la présence militaire est si importante dans les rues de la capitale qu’ils sont contraints de réaliser que la dictature militaire a commis son oeuvre d’assainissement des « troubles de l’ordre. » Quelle attitude adopter pour le banquier censé assurer les intérêts de la banque familiale ? Face à des trames subtiles qui semblent de plus en plus tisser une toile autour de De Wiel, il va bien falloir que le banqueier suisse opte pour une stratégie.
De Wiel rencontre une société décadente de propriétaires terriens, de nouveaux riches, d’héritières, d’aristocrates, de responsables de l’armée, de fixateurs et de prélats, tous complices du régime mais soucieux de profiter de la collusion hypocrite entre le système bancaire suisse et la diplomatie pour cacher leur capital à l’étranger.

Chapitre quatre : le gala

Durant la soirée tant attendue où toute la haute société se retrouve, Madame Lacrosteguy savoure les expressions françaises que lui explique Inès : « Je fais cousin Antoine . J’ai repéré quelqu’un que je ne veux pas le saluer. Mon regard l’évite. Je fais cousin Antoine. Faire singe en bouche d’or : jouer l’innocente ! Quand quelqu’un n’est pas fiable, on dit qu’il a deux jaunes. Et cette expression, Azor : « Tais-toi ! fais attention à ce que tu dis ! » Voilà ! Les pressentiments des spectateurs sont confirmés. La conversation entre De Wiel et sa femme viennent les conforter dans ce qu’ils ont perçu alors qu’Yvan confie à sa femme : « Keys s’est damné pour eux, il leur manque. Il était brillant, il est irremplaçable. je perds la face.» Inès lui rétorque aussitôt : « Au contraire, Yvan, tu vas aller où Keys n’est jamais allé. Il suffit de ne rien dire !»

— Marcelo Fernández Mouján, Fabrizio Rongione, Claudio Deschamps – Azor
Image courtoisie Berlinale

Chapitre 5 : Lázaro

Alors qu’il passe des réceptions exclusives aux cercles privés et aux hôtels de luxe tandis que les soldats arrêtent les passants dans les rues puis les emmènent, menottés, en camionnette, le discret De Wiel doit se résoudre à apprendre à interpréter et à parler le langage allusif d’une puissance plus grande et plus sombre afin d’assumer le rôle de moins en moins clair de son prédécesseur. Intègre, à la droiture et à la morale irréprochables, De Wiel se met à fréquenter ds milieux dont il ignorait jusque-là l’existence et s’initie progressivement à des méthodes qu’il ne pensait jamais pratiquer dans sa carrière. Au point que De Wiel tente une sortie du labyrinthe que lui a laissé son prédécesseur, une sortie qui le conduira à travers une échappée sur une rivière qui le mène dans la jungle, pour entamer de nouvelles négociations au cœur des mystères de la résistance.

En filigrane d’Azor, on comprend les disparitions non résolues, les exactions militaires sur ordre de la haute société et des représentants ecclésiastiques qui tirent profit du régime, les rôles ambigus tenus par certains étrangers. Le premier long métrage d’Andreas Fontana, qui revendique Mariano Llinás comme co-auteur et qui bénéficie d’une distribution judicieuse, fait défiler une collection glaciale de fantômes voués à la cupidité et une enquête morale sur le mauvais côté de l’histoire ou les faces obscures de l’humanité.

Né à Genève, en Suisse, en 1982, Andreas Fontana a étudié la littérature comparée à l’université de Genève, puis a déménagé à Buenos Aires pour travailler comme assistant de production. Azor est imprégné de sa double culture et il commente au sujet de son film :

« Il y a quelques années, je me promenais dans les rues de Genève avec Mariano Llinás et nous avons commencé à parler d’Hugo Santiago. Hugo venait de mourir et Mariano était son ami et collaborateur. Il était en route pour Locarno pour présenter son propre film – labyrinthe, “La Flor” (2018). A un moment de notre promenade, Mariano m’a dit: “C’est intéressant: tous ceux qui ont vu Invasión sont convaincus qu’en Argentine, à la fin des années 1960, les gens sont vêtus exclusivement de costumes. Evidemment ce n’était pas le cas”. C’est l’un des aspects vertigineux d’Invasión: traiter le genre fantastique avec une telle rigueur que tout devient crédible. Qui est Hugo Santiago? Je ne sais pas grand-chose, juste quelques rumeurs. Un jeune Argentin qui se rend à Paris en 1959, rencontre Robert Bresson chez Cocteau et le suit comme une ombre jusqu’à ce qu’il devienne son assistant. Un jeune cinéaste qui, de retour chez lui, est allé trouver la légende vivante qu’est l’écrivain JL Borges pour écrire un film – qui est devenu Invasión. Un réalisateur dont la précision et le souci du détail seraient à la limite de l’obsession. Qu’est-ce que Invasión? Un film qui a tous les ingrédients d’un film policier, ou d’un film d’espionnage, ou d’un film de résistance, ou tout cela ensemble, mais dont la force radicale réside dans son mystère non résolu et la mélancolie incessante de ses personnages. Je n’en dirai plus. Mais à mon avis, le mystère et la mélancolie sont deux excellents arguments pour aller voir un film. »

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

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