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Berlinale 2023 : concourant dans la section  Generation 14plus, Mutt, premier long métrage de Vuk Lungulov-Klotz, retrace avec authenticité le propre vécu du cinéaste comme de son comédien principal

En l’espace de vingt-quatre heures, Feña, un jeune homme, trans d’origine latino-américaine – interprété par Lío Mehiel, un écrivain, acteur et cinéaste trans non binaire d’origine grecque et portoricaine, – va croiser trois personnes venues de son passé qui vont déclencher un maelström émotionnel : son ex amoureux, John (Cole Doman) qui a partagé la vie de Fernanda mais avec laquelle la relation était compliquée et qui tombe sous le charme de Feña; Zoe (MiMi Ryder), sa petite sœur de quatorze ans qui a fugué pour échapper à une mère folle ; son père (Alejandro Goic), qui débarque d’Amérique latine après de nombreuses années d’absence, mais dont l’amour paternel demeure solide.

— Lio Mehiel – Mutt
© Quiltro LLC

Dans un tourbillon d’émotions contradictoires, Feña va devoir faire la paix avec son passé pour mieux vivre son présent. Feña s’épanouit chez lui à New York : dans les premières scènes, au bar ou sur la piste de danse en discothèque, on le découvre avec des amis dont sa plantureuse colocataire Fiona (Jari Jones) et Aldan (Jasai Chase Owens), un ami qui travaille dans un bar, toujours prêt à aider Feña.

Feña est à l’aise, entouré d’amis, s’amusant, partageant un verre ensemble ou un joint. Progressivement, par touches subtiles, la caméra de  Vuk Lungulov-Klotz nous révèle les blessures cachées de Feña, cachées par des tatouages délicats, pour la plupart des citations. Au fil des heures, ses blessures enfouies affleurent, faisant de cette journée un creuset intense en forme de course contre-la-montre pour respecter l’emploi du temps, en particulier aller chercher le père à l’aéroport, mais aussi sous forme de confidences intimes.

Cette journée s’avèrera d’autant plus mouvementée qu’ayant perdu le contact avec ces trois personnes depuis sa transition de femme à homme, Feña doit naviguer dans une nouvelle dynamique de ces anciennes relations tout en s’attaquant aux défis quotidiens qui accompagnent la vie. Ces personnes surgies de son passé réagissent toutes différemment. Feña leur fait aussitôt remarquer qu’il se sent enfin bien dans sa peau et « qu’il ne s’agit pas d’un choix ! ».

Vuk Lungulov-Klotz dissèque avec finesse et justesse une relation compliquée à travers Mutt, et, grâce à l’excellente performance de Lio Mehiel, le cinéaste montre les écueils de l’entre-deux de la vie trans. Lio Mehiel retranscrit toutes les humeurs et les confrontations de Feña avec une évidente sincérité qui se révèle de plus en plus désarmante et ne tarde pas à convaincre le public. On perçoit que le cinéaste comme son comédien nous parlent de leur vécu.

Plus le récit de Vuk Lungulov-Klotz avance, plus on comprend qu’il semblait initialement plus facile, après sa transition, pour Feña de se séparer de son passé et des êtres qui le peuplaient, vu qu’il était trop douloureux pour certaines personnes d’accepter le changement, en particulier sa mère – qu’on ne voit jamais à l’écran, mais qui existe à travers les propos de Zoe et de Feña – à qui cela était insupportable. Lorsque Feña retrouve l’ex-petit ami, reçoit la visite inattendue de sa petite sœur et que le père chilien recherche sa proximité, leurs vies se croisent à nouveau, ce qui permet à une énergie nouvelle de jaillir et d’ouvrir le champ des possibles.

À travers cette journée chaotique dans la vie d’un homme trans, Vuk Lungulov-Klotz pose un regard honnête sur les interactions avec la société et les dynamiques changeantes après la transition d’une personne : il est question d’incompréhension, de rejet pour certains mais aussi de pardon ainsi que d’un long chemin vers l’acceptation.

Il faut souligner l’excellente direction d’acteurs de la part du réalisateur trans serbo-chilien Vuk Lungulov-Klotz dont c’est ici le premier film et qui a su obtenir de chaque comédien·nes des performances puissantes à tous les niveaux.

Vuk Lungulov-Klotz pose un regard tendre et dédramatisant qui vient subtilement rééquilibrer tout en douceur le scénario qui pêche par moments, faisant penser à l’adaptation didactique d’un fil TikTok ou Twitter sur la liste des réflexions à ne pas faire à une personne trans. Si certains dialogues de Mutt peuvent laisser transparaître une certaine artificialité « américaine », au sens où les personnages expriment leurs sentiments avec trop d’aisance, ce qui poussent le public à ne pas trop y croire, le tout est sauvé par le fait que l’historie est racontée avec le bon point de vue, offrant un résultat prometteur et percutant.

— Lío Mehiel et MiMi Ryder – Mutt
© Quiltro LLC

Tout au long du film, Vuk Lungulov-Klotz a effectué un beau travail de caméra, jouant avec des plongées et des contre-plongées pour changer les perspectives selon les échanges entre les personnages, créant par ce biais des tensions dans l’atmosphère. Naturellement, la performance des principaux protagonistes capture toutes les émotions brutes, le stress, la colère, la rancœur, l’amertume, l’incompréhension, le tout soutenu par une belle bande son.

Né à New York en 1994. Le cinéaste chilien-serbe a grandi au Chili, en Serbie et à New York. Il a participé à divers programmes de développement des jeunes, notamment au Sundance Institute Labs et au Tribeca Film Institute. Mutt est son premier long métrage. Il a été présenté en Première mondiale au Festival de Sundance où il a reçu le prix du meilleur acteur et a reçu un excellent accueil de la presse.

Firouz E. Pillet

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Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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