Berlinale 2024 – Forum : Il cassetto segreto (Le tiroir secret), de Costanza Quatriglio, rend un vibrant hommage au père de la cinéaste
Le premier film de Costanza Quatriglio, L’Île, présenté en première à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes 2003, avait été salué par la critique et primé. Depuis plus de deux décennies, la cinéaste sicilienne a réalisé des films et des documentaires récompensés dans de nombreux festivals internationaux, dont ceux de Venise et de Locarno. Costanza Quatriglio a remporté deux prix Nastro d’Argento avec Terramatta en 2013 et Triangle en 2014.
Costanza Quatriglio a un père célèbre : Giuseppe Quatriglio était un journaliste, auteur et globe-trotter sicilien qui a travaillé pour de nombreux journaux italiens, mais aussi américains. Intelligent, affamé de vie, il a rempli sa maison de livres, de textes, de photographies et de films, bref, de souvenirs. C’est dans cet environnement riche que Costanza a grandi. En 2010, la réalisatrice commence à filmer son père, sans éclairage supplémentaire, sans préparation, et c’est dans la pénombre de ces confidences spontanées que le public le découvre, simplement vêtu d’un peignoir, se confiant à sa fille dans une tendre complicité. Entouré de très nombreuses bibliothèques aux étagères remplies, le duo père-fille échange et discute. D’une main, Costanza prend la boîte « 1995-2001 » de l’étagère du haut, de l’autre, elle tient l’appareil photo argentique.
C’est ainsi que la réalisatrice entame un voyage à l’intérieur de la maison où elle est née, entraînant le public dans ce pèlerinage très intime, une plongée dans ses archives personnelles qui fait écho à l’époque qu’il a traversée.
En janvier 2022, Costanza Quatriglio retourne dans la maison familiale, fermée pendant un certain temps, et ouvre les portes aux archivistes et aux bibliothécaires pour faire don à la Région sicilienne du patrimoine conservé par son père. Il cassetto segreto dévoile la bibliothèque et les archives de Giuseppe Quatriglio, signature historique du Giornale di Sicilia et d’autres journaux importants, écrivain, essayiste et ami des hommes de culture du XXème siècle comme Leonardo Sciascia, Giuseppe Prezzolini, Luigi Natoli, Girolamo Ardizzone. Alors que la maison de son père, disparu en 2017, se vide, les souvenirs privés et collectifs affluent et l’envahissent, devenant un catalyseur de renaissance : à mesure que les secrets conservés sur les étagères des bibliothèques paternelles révèlent leurs contenus, la cinéaste puise dans les souvenirs et l’histoire familiale pour illustrer la grande histoire de l’humanité, celle que son père a traversée, illustrée, commentée à travers ses articles, immortalisée par ses photographies.
À travers un montage soutenu qui alterne images d’archives, pages de notes paternelles, enregistrements sonores, photographies, extraits de films 8, la réalisatrice découvre les archives de son père, celles d’une vie intense qu’elle ne soupçonnait pas : dans la bibliothèque, il y a des images de la maison en Sicile, mais aussi des pays que Giuseppe a parcourus : la France, l’Allemagne, l’Angleterre, l’Espagne la Russie, la Laponie et le Cercle polaire, le Japon, la Tunisie, l’Égypte, les États-Unis.
La réalisatrice souligne :
« La découverte de plus de 60 000 négatifs photographiques pris par mon père à partir de 1947, de dizaines de bobines 8 mm et de centaines d’heures d’enregistrements sonores, m’a fait comprendre que j’avais l’extraordinaire possibilité de réaliser un film plaçant en son centre un réseau d’événements et des vies vécues qui résonnent dans l’histoire de nous tous. Ainsi, la maison où j’ai grandi est devenue le décor d’une histoire personnelle et complexe qui se déroule depuis ses murs pour embrasser la Sicile, l’Europe et le monde, dans un siècle d’histoire. De la même manière que j’ai reconnu ma propre éducation sentimentale dans les traces que j’ai trouvées, de la même manière, introduire le cinéma chez moi m’a permis d’opérer une transition de transfiguration et de compréhension profonde du temps de la séparation. »
Ainsi, alors que les archives sortent au grand jour, soigneusement répertoriées et classées par les quatre bibliothécaires, la mémoire personnelle et la mémoire collective se mêlent dans un dialogue dense entre présence et absence. Palerme et la Sicile, avec leur histoire et leur culture multiples, à la croisée des influences venues de tout le bassin méditerranéen, sont le point d’observation du monde d’où tout part et vers lequel tout converge.
À la mort de son père, la réalisatrice a décidé de réaliser Il cassetto segreto et de continuer à filmer pour lui rendre hommage en effectuant ce voyage passionnant à travers l’Europe d’après-guerre, aux côtés de son père et le monde qui se révèle depuis la Méditerranée. Touchant et captivant !
Firouz E. Pillet
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