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Bird d’Andrea Arnold – Une plongée dans l’adolescence et les décombres du monde adulte

Dire que Bird est un objet filmique un peu perché est un euphémisme. La cinéaste britannique nous propulse dans un entrechoc de réalisme social et de symbolisme magique. Le film s’ouvre également sur un entrechoc de rythme, avec une jeune fille de 12 ans, Bailey (Nykiya Adams), absorbée dans sa solitude et sa musique, marchant tranquillement jusqu’à ce que déboule son maboul de père, Bug (Barry Keoghan), qui l’embarque sur sa trottinette électrique dans une course effrénée pour rentrer à la maison.

— Franz Rogowski – Bird
© Robbie Ryan

Le terme maison est ici un peu galvaudé : l’endroit est un squat du Kent dans lequel elle vit avec son frère, son père et la fiancée de celui-ci. Tout ce petit monde est préoccupé par ses propres problèmes – le frère veut s’enfuir avec sa petite amie vers l’Écosse –, le père est un grand enfant qui ne se préoccupe que de ses potes et de gagner de l’argent avec un crapaud d’Amérique dont les sécrétions produisent une drogue hallucinogène qu’il veut vendre à prix d’or pour se payer un mariage du tonnerre. La fiancée semble superficielle, même si, au cours du film, elle va s’avérer un peu plus complexe, tout comme les autres personnages.

C’est peut-être ici que se trouve la force du film : l’écriture des personnages, qui évoluent et se révèlent plus profonds que la première impression ne le laissait prévoir.

Bailey est la plus mature, malgré ses douze ans à peine. Les adultes autour d’elle sont tous complètement à côté de la plaque : immatures et égocentrés, mais sans pathologie apparente, plutôt bloqués dans une adolescence prolongée. Lorsqu’elle rend visite à sa mère, elle doit s’occuper de ses petites sœurs, livrées à elles-mêmes dans une maison à la limite du dépotoir, sous la garde d’un beau-père violent et abusif.

Cette précarité économique, affective et de responsabilité parentale renvoie au phénomène très répandu au Royaume-Uni d’adolescent·es devenant parents et se retrouvant paupérisés par le déficit de politiques sociales. Livré·es à elles et eux-mêmes, perdu·es dans ce monde néo-libéral où il n’y a pas de place pour celles et ceux qui entament leur vie de manière fragilisée, certain·es se réfugient dans des relations toxiques – comme la mère de Bailey –, d’autres, comme son père, dans de petits trafics en tous genres, sans compter la drogue et l’alcool. Ce sont les enfants qui se prennent en charge, jusqu’à pallier les plus graves manquements, comme les agressions pédophiles, en faisant justice eux-mêmes.

Après s’être enfuie de chez elle une fois de plus suite à une dispute, Bailey rencontre l’étrange Bird (Franz Rogowski) qui surgit de nulle part dans un champ en faisant des roulades et portant une jupe plissée. Le personnage de Bird est fluide, entre les espèces – mi-humain mi-oiseau –, entre les genres, entre les mondes – est-il un être de chair et de sang ou un fantôme incarné ? – et s’il intrigue Bailey, elle s’en méfie. Petit à petit, c’est l’homme-oiseau qui va apprivoiser la jeune fille et, dans un monde où personne ne se soucie d’elle, Bird va devenir le confident le plus proche de Bailey.

Cette histoire, qui convoque la violence sociétale mais aussi une nature semblant dépasser les contingences humaines pour ouvrir des possibles inimaginables dans cet environnement de décomposition sociale, est soutenue par une réalisation très sensorielle : une caméra toujours en mouvement, un écran jouant avec différents formats, et une musique énergétique en adhérence avec ce que traversent les personnages.

Malgré quelques moments de grâce, c’est ici que pèche un peu ce long métrage, débordant d’impulsions sensitives qui nous clouent quelque peu à notre siège. L’incursion du fantastique est quant à elle un peu déconcertante (et un peu convenue avec la symbolique de l’oiseau et de ses ailes), mais elle permet de casser les codes du film social en instaurant un onirisme offrant une respiration, sans jamais occulter les enjeux sordides des violences faites aux enfants.

De Andrea Arnold; avec Nykiya Adams, Barry Keoghan, Franz Rogowski, Jason Buda, Frankie Box, Jasmine Jobson, James Nelson-Joyce; Grande-Bretagne; 2024; 119 minutes.

Malik Berkati

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