Blandine Lenoir signe Annie Colère, un film salutaire et nécessaire alors que le droit à l’avortement, durement gagné, est progressivement révoqué dans plusieurs pays
La dernière réalisation de Blandine Lenoir plonge le public dans les années septante, en février 1974, et suit Annie, une mère de famille qui a déjà deux enfants et se retrouve enceinte accidentellement. Ouvrière, Annie, qui n’a ni l’envie ni les moyens financiers d’assumer cette nouvelle grossesse, découvre le MLAC – Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception, qui pratique les avortements illégaux aux yeux de tous mais avec une conscience professionnelle qui ne met pas en danger la santé des femmes, contrairement aux avortements clandestins qui sévissent encore à cette époque Accueillie par ce mouvement unique, fondé sur l’aide concrète aux femmes et le partage des savoirs, Annie se sent soutenue par cette communauté, dont elle pensait initialement être une simple usagère, et décide rapidement de s’investir dans la bataille que mène le MLAC pour l’adoption de la loi sur l’avortement qui lui donne un nouveau sens à sa vie.
Présenté sur la Piazza Grande en août dernier durant la 75e édition du Festival de Locarno, Annie Colère a remporté à l’unanimité l’approbation du public.
En effet, l’histoire de cette femme qui ne soupçonnait pas, en sollicitant le MLAC, s’y investir, s’y épanouir et s’affranchir de sa condition d’ouvrière par sa soif d’apprendre. Son investissement croissant au sein de ce mouvement lui donne confiance en elle, mais inquiète de plus en plus son conjoint qui semblait fou d’amour pour sa femme mais voit d’un mauvais œil l’implication d’Annie, en particulier lorsqu’il découvre qu’elle pratique des avortements : son émancipation le déstabilise et il réagit violemment : « Tu es folle ? Pour qui tu te prends ? »
Bien que fiction, le film de Blandine Lenoir, qui a travaillé avec sa co-scénariste, Axelle Ropert, est fort bien documenté au point que l’on croit souvent visionner un documentaire. Cette impression provient du fait que la réalisatrice s’est basée sur la thèse de huit-cents pages sur le MLAC, réalisée par une jeune chercheuse, Lucile Ruault qui, pendant cinq ans, a rencontré des médecins et des militant.e.s.
Le MLAC – acronyme qui désigne le Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception – a été fondé en 1973 par des médecins militant.e.s et des féministes, en réaction aux centaines de décès provoqués par des avortements clandestins. Au début des années septante, les méthodes de contraception demeuraient le retrait et Ogino, synonyme d’une période d’abstinence sexuelle pendant la période de fécondité de la femme. Le MLAC réclamait la diffusion d’une information sexuelle, la liberté de la contraception et de l’avortement, des revendications qui allaient à l’encontre de la loi en application en France à l’époque.
Les bénévoles du MLAC ont pratiqué, jusqu’à la promulgation de la Loi Veil, à des avortements travers la France grâce à la méthode Karman, qui consistait à aspirer le contenu de l’utérus à l’aide d’une canule. Au-delà du délai de huit semaines de grossesse, l’association organisait des voyages pour des avortements à l’étranger.
Grâce à Annie Colère, Blandine Lenoir met en lumière l’histoire du MLAC, un mouvement oublié mais dont l’importance a été fondamentale tant sa contribution a été décisive en préparant le terrain à la loi sur l’avortement.
Le personnage d’Annie, une femme a priori ordinaire, qui devient militante, est habitué à être soumise à une autorité : d’abord celle de son père, puis de son patron, puis de son mari, et qui file doux, sans sortir des sentiers balisés par une société dans laquelle l’hégémonie masculine est de mise. Comme le démontre si justement Annie Colère, la lutte a réuni des femmes issues de milieux divers, ouvrières comme bourgeoises, médecins et non-médecins, dans un combat égalitaire pour la liberté et pour leur droit de disposer pleinement de leur corps.
Avec exactitude et authenticité, Annie Colère aborde les questions de la formation, respectivement des femmes et des hommes, de la validation des formations, de l’égalité entre les hommes et les femmes, de la différence des fonctions qui maintient un fossé difficilement franchissable entre les sages-femmes et infirmières versus les médecins.
Blandine Lenoir retrouve Laure Calamy, à laquelle la réalisatrice confie le rôle principal et qu’elle déjà dirigée dans Zouzou (2014) et Aurore (2017). Laure Calamy, emplie d’énergie et d’émotion, ne craint pas de jouer de son corps tout au long du film. Le film livre une scène marquante soutenue par une chanson de Dalida, quand qu’Annie décide de pratiquer un avortement clandestin alors que Monique, interprétée par une surprenante Rosemary Standley (la chanteuse du groupe Moriarty) lui tient la main en lui chantant cette chanson pour atténuer son stress et l’accompagner avec bienveillance. Cette scène résume la solidarité qui règne au sein du mouvement.
Contrairement à L’Événement d’Audrey Diwan (2021), les scènes d’avortement évitent les images chocs, le glauque et le tragique, et nous épargnent l’horreur des avortements clandestins sur des tables de cuisine par des « faiseuses d’ange ». Annie Colère souligne la tendresse et la solidarité entre ces femmes.
Dans ce film pédagogique et instructif, la réalisatrice insert une archive télévisée d’une intervention de l’actrice Delphine Seyrig où elle débat de l’avortement face à des hommes, une archive qui permet d’inscrire l’histoire dans une époque en rappelant que l’avortement était un sujet dont on parlait quotidiennement dans les médias et en rendant hommage à Delphine Seyrig pour son rôle décisif dans la lutte.
À l’heure où le droit à l’avortement est remis en question, voire supprimé, dans nombre de pays, Annie Colère s’avère d’autant plus primordial.
Firouz E. Pillet
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