Campagne de financement participatif d’un documentaire sur la communauté maya Achì au Guatemala
Pour chaque genre cinématographique, il y a toutes sortes de manières de porter à l’écran une histoire ; le film documentaire ne fait pas exception. Cependant, l’ambition d’un film documentaire se heurte encore plus sûrement qu’un long ou court métrage de fiction à la frilosité des bailleurs de fonds institutionnels. C’est ce qui arrive au projet de film de la réalisatrice germano-dominicaine Anna-Sophia Richard, Rio Negro.
Il s’agit de l’histoire de la communauté maya Achì dans les montagnes du Guatemala, persécutée depuis les années 1960 par les autorités guatémaltèques. Plus de 440 Mayas Achì auraient été tués dans le village de Río Negro, et la série de meurtres extrajudiciaires qui ont coûté la vie à près de 5 000 personnes entre 1980 et 1982, lors de la construction du barrage hydroélectrique de Chixoy, a pris le nom de « massacres de Río Negro ». Les terres fertiles des Mayas ont été inondées et les personnes délocalisées. Cependant, quelques survivant∙es sont revenu∙es et luttent aujourd’hui contre l’oubli et pour la justice, qu’ils n’ont pas encore obtenue.
Anna-Sophia Richard connaît et accompagne cette communauté depuis plus de 15 ans et nourrit depuis lors le désir d’immortaliser le lieu et ses habitants sur pellicule. Grâce à ce lien noué avec les Mayas, elle crée un cadre très intime dans lequel se meuvent avec confiance les protagonistes, permettant le travail de mémoire sur lequel pèse la gestion quotidienne du deuil et de la mort et la transmission de cette mémoire.
Ce film raconte une histoire poignante, à la fois spécifique à cette région et communauté, mais également – et malheureusement – parfaitement universel, comme on peut le constater à chaque fois que l’on ouvre un journal, que l’on met la radio ou que l’on navigue sur les canaux médiatiques. Dans tous les coins de la planète, les communautés et cultures minoritaires, la biodiversité et l’environnement ne pèsent pas bien lourd face aux bulldozers capitalistiques et (néo)-coloniaux.
Mais le documentaire se veut également un geste cinématographique ample et ambitieux, comme le montre les premières séquences rendues publiques : un travail de l’image, en 16 mm, et du son qui met en relief, de manière poétique et sensorielle, une histoire tragique, portée par de magnifiques protagonistes, à la fois ancrée dans une toute petite partie du monde et scandant dans un même mouvement le pouls du temps du monde.
Divisé en trois niveaux cinématographiques, la réalisatrice entend porter le récit en miroir, activant la réalité des faits associée à une imagerie permettent de faire l’expérience de l’omniprésence du passé dans le présent des habitant∙es. Le protagoniste principal est est Julian Sanchez Chen, âgé de 65 ans. Il est le chroniqueur du village et collecte les histoires et les témoignages de la communauté depuis des années. Il est également l’un des rares et des plus anciens survivants.
En accord avec la culture maya, les habitant∙es de Rio Negro vivent activement leur relation avec leurs défunt∙es dans la vie quotidienne à travers des rituels, des rencontres et la transmission orale. Cette connexion avec leurs ancêtres est représentée dans le « niveau des ancêtres ». Les enfants se chuchotent des histoires sur les défunt∙es pendant qu’ils cherchent un lapin blanc lors de promenades nocturnes.
À un autre niveau, le « niveau du travail de mémoire », les atrocités sont racontées. Lors d’une visite guidée, narrée de manière linéaire, vers les sites des massacres, les survivant∙es partagent leurs histoires avec les visiteur∙euses intéressé∙es. Il est important de relever que cette prise en main de leur propre récit est considéré par les autorités comme de l’activisme – c’est donc un acte courageux dans un pays qui nie la réévaluation historique et prône l’impunité.
Au troisième niveau narratif, la vie quotidienne et les conflits actuels dans les vies des habitant∙es de Rio Negro deviennent apparents. Ce « niveau des conflits d’aujourd’hui » montre ce qui met en danger le travail de régénération, tant humaine qu’environnementale, l’existence de Rio Negro et les connaissances culturelles des habitant∙es au jour le jour. Depuis que l’église évangélique s’est installée dans le village, beaucoup se sont converti∙es et considèrent la commémoration des morts comme un péché. De plus, le désir croissant des jeunes de quitter Rio Negro et d’émigrer soulève la question de savoir combien de temps le village peut continuer à exister sous cette forme.
Le tournage a débuté, avec l’engagement de deux sociétés de productions basées en Allemagne et une au Guatemala, avec également les subventions du ministère fédéral de la Culture et deux subventions régionales en Allemagne. Étonnamment, aucune chaîne de télévision ne s’est pour l’instant associée au projet, trop frileuses probablement pour s’engager en amont – un reportage formaté est certainement plus à leur goût qu’un film-témoignage qui s’inscrit dans un projet plus large, celui de faire entrer une mémoire dans le patrimoine culturel mondial. Pour achever le tournage, Anna-Sophia Richard et ses co-producteur∙trices se voient obligé∙es de passer par une campagne de financement participatif.
Campagne de financement participatif : https://www.indiegogo.com/projects/rio-negro-film#/
Pour plus d’informations sur le projet : https://rionegrofilm.de
Malik Berkati
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