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Cannes 2024 : À son image, de Thierry de Peretti, suit une jeune photographe confrontée aux attentats nationalistes dans les années quatre-vingts sur l’Île de Beauté

Projeté dans la section Quinzaine des cinéastes, À son image a été présenté hier sur La Croisette. Ce quatrième long-métrage du cinéaste corse brosse le portrait d’une jeune photographe de presse, Antonia (Clara-Maria Laredo), dynamique et lumineuse, initialement témoin puis aussi actrice, de l’histoire tourmentée et trouble du nationalisme corse.

— Clara-Maria Laredo – À son image
Image courtoisie Quinzaine des Cinéastes

Adaptant pour ce film le roman éponyme de Jérôme Ferrari, Thierry de Peretti plonge le public dans la réalité mouvementée de l’histoire de la Corse de la fin du XXe siècle. Le film s’ouvre sur une impressionnante embardée d’une voiture qui sort de la route et plonge dans la mer. S’ensuit une veillée funéraire : une jeune femme est allongée sur un lit, sous un crucifix, et proches et amis viennent se recueillir et présenter leurs condoléances à la famille en sanglots.

Tout au long du film, une voix off accompagne le public, livrant des commentaires et des clefs de lecture qui permettent de comprendre ce qui n’est pas montré. Ce n’est que bien plus tard dans le récit que le public découvrira qui se cache derrière la voix de ce narrateur.

Suivant le quotidien d’Antonia sur près de vingt ans, une jeune photographe de presse qui a toujours voué une passion pour cet art qui l’amène à photographier des scènes avec ses proches, famille et amis, tout comme des scènes de la vie courante des Corses. Ces clichés offrent un témoignage sociologique des habitants de l’île, a priori anodins, jusqu’au moment où Antonia se retrouve confrontée à la situation politique qui embrase la Corse. Tombée follement amoureuse d’un indépendantiste, Pascal (Louis Starace) quand il s’embarque, fusil en main, dans l’affaire Bastelica-Fesch en janvier 1980 qui engendre une prise d’otages et met Ajaccio en état de siège. Quand Antonia se met à fréquenter le jeune indépendantiste, elle devient « la femme de Pascal » et est assimilée au jeune homme. Le cinéaste fait le choix de raconter le destin d’Antonia mais aussi, indirectement, celui de son amoureux ainsi que de ses comparses et de leurs compagnes, décortiquant par le biais de sa caméra leurs relations, leurs passions, leurs questionnements, leurs remises en question, leurs conflits de loyauté et leurs dilemmes.

Le cinéaste choisit d’alterner les clichés pris par Antonia, les réunions entre nationalistes et les rencontres entre amis en y insérant des extraits de reportages télévisuels. Montrant toutes les facettes du nationalisme corse, y compris les dissensions internes, le cinéaste réussit à restituer un chapitre d’histoire pas si éloigné de nous et qui fait écho à d’autres régions traversant le même séisme comme le Pays basque, mis en valeur par la photographie lumineuse de Josée Deshaies et un scénario épuré qu’il a écrit avec Jeanne Aptekman. Au fil de la relation entre Antonia et Pascal, le cinéaste souligne la césure entre le nationalisme et la vie privée qui s’effrite et se lézarde. Devenue officiellement femme de prisonnier politique, à l’instar de ses amies Madeleine (Barbara Sbraggia) et Laetitia (Saveria Giorgi), Antonia et ses amies traversent une étrange période de vie, ponctuée par les arrestations répétées de leurs compagnons qui sombrent dans la radicalisation du FLNC (Front de Libération Nationale de la Corse), des attaques meurtrières. Spectatrices sans être actrices, elles subissent de plein fouet ces exactions et y sont assimilées, voyant leurs amis – Simon (Marc-Antonu Mozziconacci), Jean-Joseph (Andrea Cossu) et Xavier (Pierre-Jean Straboni) céder à une spirale de violence.

Acteur, metteur en scène et réalisateur, Thierry de Peretti est né à Ajaccio. Il a réalisé les longs métrages Les Apaches (Quinzaine en 2013), Une vie violente (Semaine de la Critique en 2017) et Enquête sur un scandale d’État (San Sebastián en 2021). Plongeant à nouveau dans l’histoire du nationalisme corse de la fin du XXe siècle, il poursuit son travail de reconstitution, jouant avec aisance avec la frontière ténue entre le champ et le hors champ « certaines choses devaient rester cachées ». Le réalisateur corse confie qu’en adaptant le roman, il a dû effectuer des choix et opérer des coupures et que ce processus d’écriture implique une trahison.

Le cinéaste a réussi à dépeindre une plongée dans le temps en racontant des événements tragiques, montrant avec pudeur les personnes affectées par la perte d’une proche, signant un film intelligent qui relie la grande et la petite histoire avec brio.

Firouz E. Pillet, Cannes

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Firouz Pillet

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