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Corpus Christi (La communion): Quand l’habit parvient à faire le moine !

Acclamé dans tous les festivals où il passe, Corpus Christi (Boże Ciało, [La communion]) de Jan Komasa, issu de la fameuse école de cinéma de Łodź, représente la Pologne à la course à l’Oscar du meilleur film international.

— Bartosz Bielenia – Boże Ciało (Corpus Christi ou La communion)
Image courtoisie Aurum Film

Plus qu’une simple histoire de rédemption – individuelle et collective – , Jan Komasa nous offre dans son dernier film (Suicide Room [2008], Warsaw Uprising [2014], Warsaw 44 [2014]), une intelligente déconstruction des travers d’une société enfermée sur elle-même. Elle est représentée ici par un village en périphérie des grands centres, suffocant sous la chape de plomb d’un secret.
Ce dispositif est presque celui d’un film de genre qui a traversé toutes les époques et tous les cinémas, avec peut-être en tête de file les plus emblématiques westerns et leurs mauvais garçons arrivant en sauveur dans une petite ville, la différence fondamentale résidant bien entendu dans le fait que le cinéma non-hoyllwoodien n’a pas forcément besoin d’un héros qui finit en chevalier blanc et/ou blanchit de tous ses péchés.

Corpus Christi est l’histoire de Daniel (Bartosz Bielenia), 20 ans, qui vit une transformation spirituelle dans un centre de détention pour jeunes, fasciné par l’aura et les paroles du prêtre Tomasz (Łukasz Simlat) qui officie dans les lieux. Il veut devenir prêtre mais le père Tomasz lui dit que cela lui est impossible à cause de son casier judiciaire tout en lui expliquant qu’il y a de nombreuses autres voies pour être un homme de Dieu et de bien. Lorsque Daniel se retrouve en liberté provisoire, il est envoyé dans une menuiserie d’une petite ville pour y travailler ; à son arrivée, il revêt son habit de prêtre pour impressionner une jeune femme et se retrouve, sur ce malentendu doublé d’un concours de circonstance, accidentellement en charge de la paroisse locale.

 

Étonnamment, ce film dont la trame ressemble à une fable trouve son origine dans une histoire vraie où un jeune homme de 19 ans avait réussi dans une ville de Pologne à se faire passer pour un prêtre pendant environ trois mois. Le scénariste du film, Mateusz Pacewicz, avait écrit un article sur ce fait divers avant d’avoir l’idée d’en faire un scénario :

Nous avons changé son nom mais les personnages sont similaires et la façon dont il arrivé dans cette petite ville l’est aussi. Ce jeune homme a célébré des mariages, des baptêmes et a dirigé des cérémonies funéraires. Il était fasciné par tout cela et voulait vraiment devenir prêtre. Nous avons donc basé le film sur son histoire, mais Mateusz a ajouté la partie sur le centre de détention pour mineurs et l’accident qui a secoué toute la ville, bien qu’il y ait eu de nombreux cas similaires qu’il a essayé de régler. Toute la controverse est née du fait qu’il s’est avéré être beaucoup plus efficace que son prédécesseur !

explique le réalisateur.

Et ce n’est pas peu dire que Daniel est efficace : non seulement son charisme et sa façon atypique de prêcher attire les foules à l’église mais son regard extérieur, à cet égard innocent sans être naïf, au drame qui étouffe la ville et ses habitants lui permet d’enclencher un processus de guérison et réconciliation au sein de la communauté.

— Bartosz Bielenia et Eliza Rycembel – Boże Ciało (Corpus Christi ou La communion)
Image courtoisie Aurum Film

Bartosz Bielenia interprète avec une incandescence phénoménale ce voyou à gueule d’ange aux yeux bleus illuminés autant par les drogues que la prière, bouffis et violacés de l’enfer des stupéfiants et de l’alcool comme celui de la fatigue et de la peur, qui, tel son homonyme biblique devient une sorte de prophète dans cette communauté meurtrie en gagnant sa confiance par la justesse de ses paroles et surtout le bon sens qu’elles véhiculent. Cela donne d’ailleurs à ce drame des accents comiques lorsque par exemple il reçoit la confession d’une mère dépassée et lui donne comme pénitence de faire une activité avec son fils.
Le personnage de Daniel permet également de critiquer des maux plus profonds et universaux des sociétés repliées sur elles-mêmes que sont l’hypocrisie, le dogmatisme, la bigoterie, les apparences, l’ostracisation, les tribunaux populaires, les strates de pouvoirs qui s’entremêlent, se subordonnent, se retrouvent en lutte. Il s’agit, comme le dit le maire (Leszek Lichota) par ailleurs propriétaire de la menuiserie de réinsertion, de mettre « sous contrôle les émotions des gens et d’éviter que d’indésirables émotions ne refassent surface ». Bien sûr, enterrer ses émotions ne sert à rien car elles couvent sous le limon des non-dits comme le magma couve sous la terre du volcan endormi. Daniel réveille tout cet affect et cela ne plaît pas à tout le monde.

Alors certes, l’habit ne fait pas le moine, mais Daniel dans son costume ecclésiastique grandit au-delà de lui-même, s’investit de plus en plus dans son rôle de berger de paroisse, l’incarne à la limite parfois d’être posséder par sa mission ; il y a quelque chose d’évangélique dans sa façon de manier Dieu qui se cristallise dans cette scène où il tient à bout de bras une hostie avec un regard illuminé qui semble vouloir s’incruster dans la croix marquant le centre du pain azyme.

Boże Ciało (Corpus Christi ou La communion) de Jan Komasa
Image courtoisie Aurum Film

Du cinéma il y en a dans cette fable à la cinématographie étourdissante de Piotr Sobociński Jr : un jeu de lumières incessant faisant parler autant la pénombre que la lumière, enveloppant chaque scène dans sa propre atmosphère ainsi qu’une utilisation narrative de la caméra avec des articulations de profondeurs de champs et de cadres, de plongées et contreplongées, d’emploi de quasi toutes les échelles de plans toujours en adéquation avec le fil narratif. Cette maîtrise ne rend néanmoins en aucun cas le film lisse comme peuvent l’être certaines œuvres qui aliènent leurs productions à la recherche de perfection. Non, ici les échelles de profondeurs se multiplient également dans la trame du film qui, sous des couverts de fables, raconte quelque chose de notre temps : comment faire l’effort de sortir des dogmes pour aller vers l’humain. La communauté adopte Daniel malgré l’évidence de la mystification car il a cette faculté à parler au cœur des gens qui s’illusionnent, à travers un fatalisme de façade, d’accepter une tragédie mais sont au fond d’eux plein de colère et d’incompréhension pour un dieu qui permet de tels drames. Daniel les libère de ce mirage, les oblige à affronter la réalité et ses conséquences et ramène une parole religieuse céleste absconse à celle terre à terre de la souffrance réelle.

Difficile de savoir pourquoi Daniel s’est retrouvé en centre de détention, il nous apparaît comme blessé et avec un passé qui ne cesse de le rattraper sans que l’acte de péché originel soit en lui-même d’une quelconque importance. Corpus Christi c’est son propre chemin de rédemption qui ne peut s’effectuer ex nihilo, doit s’appuyer sur celle de la collectivité. En revanche, Jan Komasa ne prend pas ses spectateurs pour une assemblée de béni-oui-oui et, si les choses semblent se dénouer au niveau du collectif, au niveau individuel toutes les portes restent ouvertes et chaque personnage va devoir suivre sa voie, sortir du déterminisme selon les circonstances ou son volontarisme.

Encore un film très aboutit de Jan Komasa qui révèle au grand public un époustouflant Bartosz Bielenia dans une histoire très agréable à suivre avec une  scène de fin spectaculaire iconographiquement.

De Jan Komasa ; avec Bartosz Bielenia, Eliza Rycembel, Aleksandra Konieczna, Tomasz Ziętek, Leszek Lichota, Łukasz Simlat, Barbara Kurzaj ; Pologne, France ; 2019 ; 116 minutes.

Malik Berkati

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