Dans son troisième long métrage, Je verrai toujours vos visages, Jeanne Herry livre une observation intelligente et humaniste de la justice restaurative
Depuis 2014, en France, la justice restaurative propose à des personnes victimes et aux auteurs d’infraction de dialoguer dans des dispositifs sécurisés, encadrés par des professionnels et des bénévoles comme ici, Fanny (Suliane Brahim), Michel (Jean-Pierre Darroussin) ou Judith (Elodie Bouchez), juriste qui traite le dossier de Chloé Delarme (Adèle Exarchopoulos), abusée par son demi-frère dans son enfance. La justice restaurative se définit tout d’abord par sa finalité, à savoir la réparation du mal subi et des dommages causés par l’infraction. Lors des médiations pénales et des dialogues restauratifs entre auteurs de délits et victimes, l’attention se focalise non pas sur la transgression de la loi, mais sur les conséquences concrètes de l’acte délictueux.
Nassim (Dali Benssalah), Issa, et Thomas (Fred Testot), condamnés pour vols avec violence, Grégoire (Gilles Lellouche), Nawelle (Leïla Bekhti) et Sabine (Miou-Miou), victimes de homejacking, de braquages et de vol à l’arraché, mais aussi Chloé, victime de viols incestueux, s’engagent tous dans des mesures de justice restaurative. Leur parcours est jalonné de la colère, d’incompréhension et d’espoir, de silences nécessaires et de mots, d’alliances inattendues et de déchirements, de prises de conscience avant d’atteindre une confiance retrouvé. Et au bout du chemin, parfois, la réparation…
Si les médiations restauratives ne peuvent pas, bien évidemment, être filmées, le film de Jeanne Herry amène le public à se les représenter et à percevoir combien la justice restaurative permet un espace de dialogue entre les personnes impliquées, offrant la possibilité de se questionner et d’entendre le point de vue de chaque personne. C’est cette perspective qu’explore Jeanne Herry dans Je verrai toujours vos visages. Après Pupille (2018), la cinéaste poursuit son travail sur des sujets qui l’intéressent tout particulièrement : le fonctionnement du cerveau et le milieu de la justice. Ayant toujours nourri une passion pour les faits divers, les procès, les grandes figures du banditisme, les ténors du barreau, Jeanne Herry a été intriguée, puis rapidement captivée par la justice restaurative. C’est en particulier le processus de réparation qu’elle observe finement dans son troisième long métrage. Tout comme pour Pupille, on perçoit combien la cinéaste s’est documentée afin de mettre en lumière de manière explicite une facette de notre société encore méconnue et qui propose des outils porteurs d’espoir.
Mettant en scène des rencontres détenus-victimes autour des vols avec violence et, pour certains, avec armes, Jeanne Herry montre une problématique sociale et sociétale qui fait, malheureusement, partie des faits divers quotidiens mais dont la majeure partie des personnes mésestiment les conséquences psychologiques et physiques sur les victimes tant qu’elles ne sont pas concernées. Pour Je verrai toujours vos visages, Jeanne Herry convoque plusieurs comédien.nes qu’elle a déjà fait tourner dans Pupille comme Elodie Bouchez, Gilles Lellouche et sa mère Miou-Miou.
La réalisatrice a choisi de s’appuyer sur la force des mots et d’éviter toute scène démonstrative: par exemple, le témoignage de Sabine qui raconte comment un jeune en scooter qui lui arrache son sac suffit à comprendre son traumatisme. Le public se fait lui-même ses propres images grâce au poids des mots et de l’excellent jeu des comédiennes et de comédiens. Mais, parfois, les mots sont superflus et le langage non verbal permet d’exprimer encore plus…Jeanne Herry dépeint avec justesse l’évolution des personnages en décrivant la réhabilitation des victimes comme des coupables sans ne jamais porter de jugement.
Bouleversant, poignant, Je verrai toujours vos visages permet au public d’observer et de comprendre ; on ressort de la projection en ayant grandi et en ayant appris. Par le biais de l’observation de la réhabilitation, Jeanne Herry place l’humain au centre de son propos et le filme dans ses nombreuses contradictions, ouvrant la perspective à tous les possibles. On espère qu’en Suisse, La justice restaurative – ou justice réparatrice – puisse faire son entrée dans le Code de procédure pénale. Pour l’instant, c’est la justice punitive qui reste privilégiée par le système helvétique.
Firouz E. Pillet
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