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Rencontre avec Philippe Lioret pour la sortie allemande du Fils de Jean (Die kanadische Reise)

Le public allemand a un faible pour les grandes comédies « à la française », c’est du moins ce que croient les distributeurs et exploitants voulant s’assurer un retour sur investissement. Et pourtant, lors de la Semaine du cinéma français et francophone, qui présente traditionnellement un nombre non-négligeable de comédies dans le programme, les films n’appartenant pas à ce genre ont non seulement fait salle comble mais ont été extrêmement applaudis, pour certains ovationnés. Comme quoi, lorsque l’on présente des genres diversifiés aux spectateurs, ceux-ci sont au rendez-vous : il serait peut-être temps de faire confiance au bon goût du public !

 

Le Fils de Jean (titre allemand : Die kanadische Reise)

Coproduction France-Canada qui a fait 400’000 entrées en France, le film de Philippe Lioret a fait sa Première allemande pendant ce festival. Son histoire universelle, celle qui pose la question des deux faces de la filiation – celle de la quête d’identité et celle de la paternité –  a justement touché un public avide d’un cinéma qui vous entraîne dans un univers duquel vous ne sortez qu’au générique de fin.

Mathieu, séparé de la mère de son enfant, est au bureau lorsqu’il reçoit un mystérieux coup de téléphone du Canada. Au bout du fil, Pierre qui veut lui envoyer un paquet que lui a laissé le père de Mathieu, décédé. Mathieu tombe des nues, lui qui n’a jamais su qui était son père, et décide de se rendre aux obsèques pour faire la connaissance de ses deux frères dont il découvre l’existence en même temps que celle de Jean. Mathieu est accueilli fraîchement à son arrivée par Pierre qui lui demande de ne pas dire à ses frères qui il est puisque personne n’est au courant de son existence.  Sorte de migrant illégal dans sa famille, Mathieu va entamer un jeu de pistes sur les non-dits, avec les obstacles, culs de sac, errements entre attentes déçues et réalités crues inhérents aux quêtes familiales. L’excellent fil narratif permet au spectateur de faire l’enquête de manière analogique avec Mathieu et découvrir avec lui naturellement la vérité qui lui permettra de finir de se construire en tant que fils et père.

Rencontre avec un réalisateur-scénariste-producteur qui veut mettre le spectateur dans l’écran plutôt que devant.

— Philippe Lioret
© Malik Berkati

Ce n’est pas la première fois que vous abordez la relation filiale et le thème de la fratrie (Je vais bien, ne t’en fais pas, 2006, N.D.A.). Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce thème ?

Dans un film il faut qu’il y ait une dramaturgie. Mais moi, les dramaturgies superfétatoires ne m’intéressent pas beaucoup : les flics, les enquêtes de police, cela ne m’intéresse pas. On allume la télé, on change 15 fois de chaînes et ce sont toujours les mêmes histoires. Donc ma dramaturgie, je la cherche là où je sais qu’elle existe : dans nos vies. Et au sein de ce qu’il y a de plus important dans nos vies, c’est la famille. Car qu’on le veuille ou non, même si on est en rejet vis-à-vis de sa famille, on vient de là et c’est là qu’on va car on a toujours été les enfants de ses parents et on sera les parents de ses enfants. Je trouve que c’est un terrain de jeu formidable.

C’est aussi un polar, une enquête ?
Non  un thriller car dit polar dit policier ! Oui, c’est un thriller. On cherche à savoir ce qu’il s’est passé dans la vie de ses parents comme souvent les parents cherchent à savoir ce qu’il se passe dans la vie de leurs enfants, sans rien n’y comprendre.

Votre scénario est une adaptation du livre de Jean-Paul Dubois Si ce livre pouvait me rapprocher de toi (ed. du Seuil, 1999, N.D.A), mais vous précisez, adaptation très libre…

J’avais lu le livre de Jean-Pierre il y a 10 ans et m’étais dit : il y a un film à faire, cela me plairait beaucoup ! Mais je n voyais pas lequel. C’était un grand livre mais il était loin de moi et manquait considérablement de dramaturgie. Je me suis rendu compte, après avoir acheté les droits, qu’il était totalement inadaptable. J’ai laissé tombé jusqu’au jour où je me suis dit : raconte ton histoire personnelle, pour une fois, vas-y, aie le courage de le faire ! Mais me transformer en rôle de cinéma, cela non plus je n’y arrivais pas. J’ai souvenir, un matin sous la douche, m’être dit qu’en fait le livre de Jean-Paul pouvait m’aider à masquer l’histoire personnelle en la racontant à travers le cadre du livre de Jean-Paul. C’est pour cela que j’ai mis autant de temps à la maturer. Je pourrais faire un film par an si je voulais, ce n’est pas très compliqué d’écrire un scénario et le tourner. Mais la seule chose qui m’intéresse, c’est d’être fier de ce que je fais. Simplement faire un film de plus, cela n’a pas de sens. Le cinéma ce n’est pas un métier où l’on doit produire à tout prix. Donc je m’arrange pour ne pas avoir de gros besoins financiers dans la vie et je prends mon temps pour faire les films. Cette longue maturation m’a amené du livre de Jean-Paul à mon histoire personnelle et de mon histoire personnelle au livre de Jean-Paul pour trouver le ton qu’il fallait. Je me le suis donc approprié, avec ce formidable voyage au Canada, pour que cela devienne mon histoire.

Il fallait qu’elle se déroule au Canada ?

Impérativement, car le personnage principal a un besoin profond d’aller puiser dans ses racines et s’il se contente de traverser la France pour aller dans le Jura, ça ne va pas. J’avais besoin qu’il prenne ça en pleine figure, un choc culturel aussi. Mais il me fallait un pays où l’on parle français et donc cela ne pouvait être que le Canada ou Tahiti. Et comme dans le livre déjà l’histoire se passe au Canada, et que par ailleurs j’ai des racines au Canada – ma tante y vivait, j’y allais souvent quand j’étais gamin – je connais bien le Québec que j’adore, et ses habitants, cela collait parfaitement. Et ce pays est lui-même un personnage, c’est la plus grande forêt du monde, c’est un million de lacs…

La distribution des rôles semble aller de soi…

J’écris toujours les personnages que je connais très bien, mais avec un visage flou. Une fois fini le scénario, le vertige : je me demande si ces gens existent dans la réalité. Vais-je trouver des êtres pour les incarner ? Pour Pierre, j’ai vu une douzaine de comédiens, mais aucun n’était vraiment Pierre. Puis j’ai vu Le démantèlement de Sébastien Pilote avec Gabriel Arcand et j’ai dit : c’est lui ! Sinon, il n’y a pas de Pierre dans le film. Je lui ai envoyé le scénario mais son agent m’a tout de suite dit qu’il y avait peu de chances qu’il n’accepte car il veut se consacrer au théâtre. Mais 48h après, Arcand m’a appelé : C’est quand qu’on commence ? C’était ma victoire pour ce film. Pour Mathieu, j’ai cherché un acteur qui avait de l’enfance en lui. C’est le trait de caractère que je voulais faire ressortir de ce personnage. J’ai donc cherché parmi les acteurs trentenaires et dès que j’ai vu Pierre Deladonchamps, j’ai su que c’était lui. Quand je choisis les acteurs je me dis, celui-ci est parfait, celle-là est très bien, etc. Mais après, il faut que la mayonnaise prenne. On ne sait jamais à l’avance si cela va fonctionner. À chaque fois, c’est un petit miracle.

— Gabriel Arcand et Pierre Deladonchamps – Le fils de Jean
Photo: Sébastien Raymond. seb©sebray.com

On ne se pose pas la question de la caméra lorsque l’on voit des plans larges avec de superbes décors naturels comme peut en offrir le Québec. Mais il y a une magnifique scène dans une cabane dont l’espace est rempli par les deux frères, Mathieu et Pierre et une bagarre qui s’engage, un ballet de corps à corps. Comment place-t-on la caméra dans un tel espace ?

Je ne sais pas. À la réflexion, ce qui vous a plu là-dedans, c’est que comme à chaque fois, je me demande où est-ce qu’on met la caméra pour qu’on ne la sente pas. En fait, mon rêve, c’est qu’on soit au cinéma et qu’on n’ait pas l’impression d’y être. C’est qu’on ne voie jamais le travail. Ni de l’écriture, ni du filmage, ni des acteurs. Quand on me dit, « Ah les acteurs ils jouent bien ! », cela me donne des boutons. Ils ne jouent pas bien, ils sont. Ce sont des personnages et on est avec eux. Si je peux arriver à transporter le spectateur pendant une heure trente dans l’écran et pas devant l’écran, c’est ce que j’aime le plus. Également en tant que spectateur, alors j’essaie de ne pas infliger le contraire au public de mes films. C’est aussi pour cela que je cadre. Parce que je veux me mettre dans la position la plus évidente, la plus simple, toujours. Je n’essaye jamais de faire une belle image ou un mouvement qui serait très cinématographique mais qui, finalement, va nous montrer le travail. Je l’apprécie souvent chez les autres mais je sais que cela me donne du recul vis-à-vis de l’histoire. Tout sur ma mère, Parle avec elle et Volver de Pedro Almodovar sont par exemple des films qui ne sont pas vraiment naturalistes, les histoires sont complètement dingues, c’est très coloré, cela paraît artificiel, c’est très musical, c’est comme des opéras, mais sa caméra est toujours à la bonne place, ces acteurs parlent tellement juste que mon dieu, on y croit. Voilà. C’est toujours ce que je me pose comme question : ça se peut – ça se peut pas, on y croit – on n’y croit pas ? Parfois un acteur est formidable sur toute une scène et puis à un moment, un mot, un  regard, un temps, un truc et je me dis : je sens l’acteur. Je lui dis, c’est formidable mais là, tu vois j’ai senti l’acteur. Je ne peux pas lui donner une indication,  le téléguider. Si je lui dit : laisse un temps un peu plus long ou ne la regarde pas comme ça mais plutôt comme ça, et bien je le fabrique encore plus. Donc je me contente de lui dire : si tu veux tu viens voir sur l’écran et tu vas comprendre. Cela dure 30,15,3 secondes mais je te vois jouer la comédie et j’y crois plus.  Il faut faire attention, car il y a une grande règle au cinéma : le moindre détail suspect détruit la valeur de l’ensemble. Si on se met à ne pas croire à un tout petit truc de rien au milieu d’une scène, on ne croit plus au reste, on se dit : c’est fabriqué et j’en ai la preuve sous les yeux.

Vous êtes aussi  producteur de vos derniers films. Est-ce pour avoir plus de liberté ?

Pas plus que quand je ne l’étais pas. Non, cela ne change rien. Un peu plus d’emmerdements, oui. Un film coûte de l’argent et il faut savoir où on le met. Je me suis rendu compte, lorsque j’étais chez d’autres producteurs, des gens bien d’ailleurs, qu’ils avaient une boite à faire tourner.  Ils faisaient X films par an, l’un payait l’autre – souvent les miens ont payé ceux des autres –  et il y avait des frais généraux, des salaires producteurs. Comme les financements se rétrécissent de plus en plus, je me suis dis à un moment : il faut que tout l’argent aille dans le film. Alors il faut que je les produise moi-même, comme ça il n’y aura pas de salaire producteur, des frais généraux minuscules que je vais pouvoir contrôler et le maximum d’argent ira dans le film. Et du coup cela m’a donné envie d’en produire d’autres !

De Philippe Lioret ; avec Pierre Deladonchamps, Gabriel Arcand, Marie-Thérèse Fortin, Catherine de Léan; France, Canada ; 2016 ; 98 minutes.
Sortie en Allemagne : 14 décembre 2017.

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