De l’importance du dessin de presse : Patrick Chappatte nous parle de son dernier livre et de son spectacle. Rencontre
Le dessinateur et caricaturiste suisse nous a reçus dans son atelier et s’est livré sur le dernier de ses livres, Fins de règne (paru fin 2023 aux éditions Les Arènes) et sur sa nouvelle expérience en tant que comédien avec Chappatte en scène – Le spectacle dessiné.
Quotidiennement et pour plusieurs journaux de cultures différentes, Chappatte doit livrer un dessin. Un dessin sur la même actualité mais qui, bien évidemment, diffère pour chaque titre qui publie ses créations. Inlassablement, Chappatte remet sur le métier son ouvrage après avoir effectué sa revue de presse. Les sujets sont légion et l’actualité se charge de lui fournir une matière abondante.
Comme l’indique le résumé de la quatrième de couverture de l’ouvrage, il est question de « Fins de règne », une impressionnante galerie des dessins de presse que Chappatte a publiés ces cinq dernières années. Ce livre qui, avec ses de 304 pages, peut faire pâlir de jalousie un codex médiéval, témoigne d’un monde qui vacille, voire qui bascule sous de nombreuses latitudes. À cause des impératifs du calendrier qu’imposent les maisons d’édition, Fins de règne était déjà bouclé bien avant les attaques du 7 octobre 2023. Mais le reste de l’actualité n’a eu de cesse d’inspirer le dessinateur qui ne sait plus où donner du crayon tant le monde se déchaîne : « en Russie, un imitateur du tsar rejoue la Seconde Guerre mondiale ; en Amérique, la Maison-Blanche vire à la maison de retraite; en Afrique, le pré carré français ne tourne plus rond. Quand les extrêmes brûlent de tout grand-remplacer, que ChatGPT programme la fin de nos jobs et que le nucléaire fait son grand retour vert fluo, un joker s’impose : l’humour. » Un joker que Chappatte manie à merveille, pour notre plus grand bonheur mais aussi pour susciter une réflexion bienvenue et salutaire. Les dessins de Chappatte sont de véritables oasis dans un quotidien souvent morose, parfois anxiogène. Ils interpellent, font sourire et rire mais surtout réfléchir sur notre monde qui chancelle et s’enflamme.
Certains sujets l’inspirent tout particulièrement et, comme dans la Commedia dell’Arte, certains personnages stimulent de manière intarissable son imagination à l’instar de Macron (en couverture), Poutine, Trump, Xi Jinping mais aussi des personnes qui attirent habituellement la sympathie comme Aung San Suu Kyi.
Pour réaliser Fins de règne, Patrick Chappatte a sélectionné ses meilleurs dessins parmi ceux parus dans Le Temps, Le Monde, le Boston Globe, la NZZ, Le Canard enchaîné, Der Spiegel entre 2018 et 2023 et a choisi de les répartir par chapitres.
Ses dessins véhiculent un langage universel, l’humour, qui sait se jouer savamment des barrières linguistiques et culturelles. Mais il y a des contrées où son humour fâche sérieusement et déclenche une chasse aux sorcières abondement relayée par les réseaux sociaux au point de friser la crise diplomatique. Chappatte mentionne un dessin qui l’a contraint à faire une entorse à sa méthodologie : il a dû s’expliquer sur son dessin où l’on voit un train indien bondé dépassé par le TGV chinois. Dans le livre, au côté dudit dessin, il mentionne l’avis de l’artiste visuelle indienne Ita Mehrotra qui souligne la censure de la presse et des caricaturistes en Inde.
Si les sensibilités sont démesurément exacerbées de nos jours, cette nouvelle donne n’a pas remis en question la façon de travailler de Chappatte qui ne se musèle pas mais a choisi de rappeler le contexte la publication de certains dessins en les commentant. Les polarisations de nos sociétés – les problèmes de genre, le wokisme, la cancel culture, le masculinisme, entre autres – inspirent tout autant le dessinateur que les problèmes plus globaux tels que le climat, l’écologie et la politique.
Vu ces fins de règne, en particulier les régimes autoritaires et la perte de liberté d’expression, la Freedom Cartoonists Foundation (anciennement Fondation suisse Cartooning for Peace), que Chappatte préside semble plus que jamais nécessaire dans sa mission de soutien au dessin de presse « comme élément essentiel du débat civique (…) pilier de la démocratie, dont la caricature politique est un élément essentiel.»
Dans son livre comme sur scène, Chappatte rappelle avec finesse et intelligence l’importance de l’humour, même en temps de crise, surtout en temps de crise, face à l’obscurantisme et aux absurdités de notre monde.
Si le lectorat de Chappatte est lié aux titres dans lesquels ses dessins sont publiés, le dessinateur-comédien espère attirer tant ces lectrices et lecteurs qu’un nouveau public, toutes générations confondues.
Chappatte sur scène tourne depuis janvier 2024. Quand l’EPFL a récompensé le dessinateur de presse pour son travail en lui décernant un doctorat honoris causa, il a prononcé un discours illustré qui scellait les prémices de ce spectacle. Sur scène, Chappatte se questionne sur le monde et son avenir, nous invite à visiter les coulisses de son métier et de son infatigable atelier à idées, son cerveau. À celles et ceux qui souhaiteraient découvrir le dessinateur sur scène, la tournée se poursuit jusqu’à la fin de l’année. Des billets sont encore disponibles pour les représentations à L’Octogone de Pully, au Théâtre du Crochetan à Monthey en novembre et au Bâtiment des Forces Motrices à Genève en décembre, entre autres.
Rencontre avec Patrick Chappatte (audio):
Firouz E. Pillet
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