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FIFDH 2023 : Pegasus, un espion dans votre poche, d’Anne Poiret, décortique comment, ce sytème, sous prétexte de sécurité contre le terrorisme, a orchestré le pillage des données privées

Pegasus est largement considéré comme le système de cybersurveillance le plus efficace et le plus recherché du marché. Le créateur du système, le groupe NSO, une société privée dont le siège est en Israël, n’hésite pas à proclamer sa capacité à contrecarrer les terroristes et les criminels. C’est l’argument promotionnel pour que les acheteurs potentiels se bousculent au portillon. Et les acheteurs, dont de multiples gouvernements, ne se sont pas fait attendre !

Pegasus, un espion dans votre poche d’Anne Poiret
Image courtoisie FIFDH

Mais le système Pegasus est à double tranchant : si la version officielle vante la lutte contre le terrorisme, l’utilisation officieuse du système a amené certains gouvernements à aussi utiliser Pegasus pour espionner des centaines, voire des milliers, d’innocents dans le monde : chefs d’État, diplomates, défenseurs des droits de l’homme, opposants politiques et journalistes. Et c’est quand le journaliste saoudien Jamal Khashoggi est assassiné dans l’ambassade d’Arabie saoudite à Istanbul que le monde entier réalise que Pegasus est utilisé sur des journalistes, des militants et d’autres, y compris sur la fiancée du dissident saoudien dont les actions pour obtenir justice sont suivies par Ryad.

Le Festival du film et forum international sur les droits humains de Genève a proposé une discussion autour du sujet de ce documentaire qui raconte les coulisses de l’enquête du consortium de journalistes Forbidden Stories sur ce logiciel de surveillance israélien publiée en 2017. Le film Pegasus, un espion dans votre poche, d’Anne Poiret, pointe les dérives autoritaires de certains états ainsi que les violations et les répercussions sur la vie privée des individus.

Le documentaire démontre, en convoquant de nombreux intervenant.e.s, combien ce logiciel espion est aussi insidieux qu’invasif, capable d’infecter un téléphone portable privé sans alerter le propriétaire, et de faire son travail en arrière-plan, en silence, pratiquement indétectable. Dès le début, le ton est donné : les téléjournaux de divers pays déclarent « qu’il s’agit de l’affaire la plus importante de cyberespionnage depuis l’affaire Snowden. » Puis la caméra d’Anne Poiret convie le public dans les bureaux de Forbidden Stories, une organisation de journalistes, un an avant les révélations, pour une réunion de rédaction. Le journaliste qui mène la réunion invite tous les journalistes à éteindre leur téléphone et à les laisser dans la pièce adjacente. On se demande si on ne doit pas en faire autant… Forbidden Stories a eu accès à une fuite : une liste de cinquante mille numéros de téléphone potentiellement visés entre 2016 et 2020 par le logiciel Pegasus. Laurent Richard, de Forbidden Stories, souligne :

« Pegasus, c’est comme une personne au-dessus de votre épaule : cela lit ce que vous lisez, cela voit ce que vous voyez. Pegasus prend le contrôle entier de votre téléphone et a donc accès aux photographies, aux caméras, aux microphones, aux messages. La base de données est vraiment explosive parce qu’il y a des scandales en puissance. »

Après avoir découvert de nombreux États, parmi les utilisateurs de Pegasus, des États connus pour traquer leurs dissidents comme le Maroc, l’Arabie saoudite, la Hongrie, les Émirats arabes unis, l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan, Stéphanie Rigaud souligne que Forbidden Stories a besoin de personnes spécialistes de technologies, de personnes qui ont travaillé sur le cyberespionnage et dans le renseignement. Paul Lewis, le chef d’investigation au Guardian, souligne qu’il fait enquêter sur tant sur les utilisateurs que sur les cibles visées par Pegasus.

En effet, le documentaire d’Anne Poiret dissèque, avec moult exemples à l’appui, comment Pegasus peut suivre les mouvements quotidiens d’une personne en temps réel, prendre le contrôle des microphones et des caméras de l’appareil à volonté et capturer toutes les vidéos, les photographies, les courriels, textes et mots de passe – cryptés ou non. Votre vie privée ne l’est plus ! Ces données peuvent être exfiltrées, stockées sur des serveurs extérieurs, puis exploitées pour faire chanter, intimider et faire taire les gens. Dans une interview donnée à a télévision israélienne, Shalev Hulio, cofondateur de la société privée NSO, vante le sérieux de la société qui « ne vend ce logiciel qu’à des entreprises qui ne détourneront l’utilisation de Pegasus. » et ajoute « Nous avons tous les mécanismes pour éviter toute dérive. »

Utilisé par plus de soixante-cinq États, sous prétexte de lutte contre le terrorisme et contre la criminalité, Pegasus a révélé ses failles… Le problème est que ces failles ne sont pas considérées comme telles par certains pays qui ont délibérément choisi, par le biais de ce logiciel, de traquer et de faire taire leurs activistes, leurs journalistes contestataires, leurs dissidents. Pour certains, de les faire taire par tous les moyens et de manière définitive ! Anne Poiret est partie rencontrer des spécialistes comme Amitaï Ziv, ancien journaliste de Haretz, qui rappelle que Pegasus est lié à l’unité 8002 qui, au sein de Tsahal, lutte contre le terrorisme.

La documentariste a rencontré certaines cibles de Pegasus, en commençant par le Mexique qui fut le premier pays à acheter Pegasus en 2011, officiellement pour lutter contere les cartels, mais en réalité pour traquer la population civile, dont la journaliste d’investigation Carmen Aristegui (cf. j:mag : Silence Radio, de Juliana Fanjul) qui a été espionnée pendant des années alors qu’elle réalisait des reportages pour CNN Mexique sur la « Casa balança » (la maison blanche) du président Enrique Peña Nieto.

Puis Anne Poiret donne la parole à Khadija Ismayilova, journaliste d’investigation qui dénonce comment le gouvernement d’Ilham Aliyev, le président de la République d’Azerbaïdjan, vole l’argent du peuple. En Azerbaïdjan, il existe une culture du chantage de vidéos intimes dont Khadija a fait les frais en 2012, jetée en prison, et qui déclare : « Je suis en colère contre ces entreprises qui vendent de tels logiciels à de gouvernements comme celui d’Aliya : c’est méprisable, c’est odieux ! »

Yoel Guzansky, ex-membre de l’Institut national israélien de la sécurité, décrète :

« Il y a autour de nous des dictateurs, des autocrates, des rois, des sultans. C’est notre environnement, on ne l’a pas choisi. Mais notre pire menace reste l’Iran. Benjamin Netanyahu voulait former un camp, un front uni contre l’Iran. Il voulait utiliser n’importe quel outil pour y parvenir et l’un des outils était la technologie israélienne, NSO a un outil très attractif. »

C’est bien là que le bât blesse : les premières victimes sont la société civile, les défenseur·ses des droits humains, les journalistes ou encore les personnalités politiques. C’est en rencontrant les journalistes de Forbidden Stories et les journalistes en contact avec ces derniers qu’Anne Poiret livre un documentaire exhaustif et vertigineux sur les violations commises par le détournement de l’utilisation de Pegasus, des violations directes du droit à la vie privée, en dehors de tout contrôle judiciaire. Le documentaire révèle comment ces atteintes indirectes entraînent l’autocensure des personnes surveillées.

Si le logiciel Pegasus a été démasqué, le problème demeure : malgré des actions en justice contre le fabricant de ce logiciel espion, l’impunité reste pour l’instant de mise. Aucune réglementation n’a été mise en place pour limiter et contrôler la production et l’usage de tels logiciels. Y a-t-il encore un moyen de lutter contre ce type de surveillance systématique institutionnalisée ? Les gouvernements le veulent-ils vraiment ?

Après la projection de ce documentaire sur ce logiciel espion puissant et terrifiant, on est pris d’une subite envie de coller un sparadrap sur la caméra et le microphone de notre téléphone, voire de le couper ! « Big Brother is watching you ! »

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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