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FIFDH 2025 : 5 Seasons of Revolution, de Lina, propose un regard in vivo d’un front de guerre civile

Après avoir été présenté au dernier Festival de Sundance, 5 Seasons of Revolution, projeté au FIFDH, offre les témoignages poignants par de jeunes journalistes activistes, menés par Lina, de l’effondrement rapide de la Syrie.

5 Seasons of Revolution de Lina
© No Nation Films

De nombreux documentaires ont tenté de faire la lumière sur la situation en Syrie au cours de la dernière décennie. Les divers films consacrés à la Syrie ont raconté des récits émouvants de drames humains à travers des histoires qui témoignent de la brutalité choquante d’un conflit toujours acharné et des exactions d’un régime qui œuvrait en toute impunité. Dans un pays où le conflit semble toujours en cours, tous les espoirs sont permis pour les Syrien.ne.s tant en politique intérieure qu’en politique étrangère, après la fuite de Bashar al-Assad et de sa famille en Russie et l’arrivée d’Abou Mohammed al-Joulani, qui a désormais repris son nom de naissance, Ahmed Hussein al-Charaa. Dès la chute du dictateur, les images des geôles du régime et de leurs prisonniers inondaient les chaînes de télévision du monde entier, livrant des images difficilement soutenables.

5 Seasons of Revolution est signé par Lina, jeune cinéaste et reporter indépendante, qui s’engage dans la résistance syrienne pour documenter la révolution. Pour éviter d’être repérée par l’État tyrannique, elle adopte une série de pseudonymes. Appelée tour à tour, Lina, Maya, Layla ou Lama, elle filme la révolte et la répression qui s’ensuit de Damas à Alep, en passant par Homs.

Ce qui distingue 5 Seasons of Revolution, c’est l’accent mis sur un petit groupe d’individus qui utilisent leurs voix et leurs actions pour tenter d’apporter des changements dans leur nation, tout en ressentant le poids de la responsabilité. Ils partagent les véritables défis de vivre dans la sécurité relative de Damas tout en essayant de raconter leur histoire dans des endroits dangereux comme Homs. Un défi majeur pour Lina elle-même est d’assumer divers changements d’identité, choisissant à chaque instant d’adopter celle qui correspond le mieux à sa situation et, surtout, pour ne pas être repérée. Parfois, ce procédé facilite la collecte d’images pour son film, parfois, c’est le moyen de vivre sans redouter le pire. Ces changements de situation contradictoires offrent au film une perspective plus importante, au-delà de la simple histoire d’un groupe de jeunes militants anéantis par un conflit incessant. Le documentaire permet un regard plus exhaustif sur les moyens de survie et les petits mensonges véniels que l’on s’autorise à dire comme moyen de survie.

Lina mélange des enregistrements vidéo et des témoignages obtenus clandestinement pour partager l’histoire personnelle de son groupe d’ami·es. Tous·tes luttent pour leur liberté et l’autonomie de leur pays. Ce film occupe un espace esthétique inhabituel et déconcertant, en partie dû à la prudence inéluctable dont font preuve les participant·es. Ce n’est pas le premier film à utiliser des visages flous ou anonymes de participant·es majeurs. On se souvient de Flee (2021), de Jonas Poher Rasmussen, qui avait contourné ce problème grâce à l’utilisation de l’animation. Pourtant, Lina, la réalisatrice apparaît et s’attribue simplement un prénom pour prévenir une quelconque identification.

La cinéaste et ses collaborateurs ont utilisé la technologie du « deep fake » pour essentiellement faire face à l’échange de certaines des personnes du film. Par le truchement de ce dispositif, elle apporte une touche de surréalisme approprié aux événements et donne parfois l’impression que certains événements du quotidien s’apparentent à des scènes coupées et sorties d’un jeu vidéo.

Invitant le public à se confronter à leur réalité par le procédé de l’immersion, 5 Seasons of Revolution amène le constat que pour certains ami·es et collègues de Lina, rester immobile dans le confort relatif de Damas équivaut à accepter les actions du parti au pouvoir en place. D’autres choisissent de s’exposer au danger mais leur témoignage semble vain, atténué par un monde indifférent, conscient de la catastrophe de la situation.

Rappelons-nous les propos de Carla Del Ponte qui, en 2016 déjà, à Locarno, s’était confiée au sujet du conflit syrien et constatait avec résignation le désintérêt généralisé de monde quant au destin de la Syrie, vivier de trop d’intérêts économiques et politiques pour que l’on porte secours à son peuple. Le documentaire de Lina semble indiquer que les Syrien·nes n’ont de meilleures solutions que celles qui existent à l’intérieur des frontières syriennes et ne peuvent compter que sur eux-mêmes. Lorsque les véritables défis politiques sont clairement exprimés, comme lorsque des groupes soutenus par Daech deviennent les principales forces anti-régime dans certaines régions, la situation semble dramatiquement désespérée.

Au cours de ces 5 saisons de révolution, ses proches se font arrêter ou sont pris pour cible par le gouvernement de Bashar al-Assad. Malgré tout, Lina ne cessera pas de se rendre en première ligne pour capter la brutalité du régime. Une pugnacité qui mérite d’être saluée !

Après vingt-quatre ans sous le régime autoritaire de Bashar al-Assad, la Syrie revit et alors que la dictature vient de prendre fin, les Syrien·nes récupèrent un pays ravagé. Il faut désormais tout reconstruire et panser les plaies d’une population meurtrie et plongée dans une crise économique dramatique. Cependant, le pays reste confronté à des défis colossaux. Les blessures profondes laissées par des décennies de répression et de violences continuent de peser. À cela s’ajoute la nécessité de repenser entièrement un système politique marqué jusqu’alors par la corruption, tout en tentant de reconstruire une économie en ruines, à l’instar des hauts lieux archéologiques millénaires détruits par les islamistes. Avec plus de 90% de Syrien·nes vivant sous le seuil de pauvreté, la survie est toujours une question quotidienne, comme nous le montre 5 Seasons of Revolution, présenté en première romande, offrant un portrait vibrant d’un pays devenu le théâtre d’enjeux politico-économiques et d’affrontements des grandes puissances.

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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