Film d’ouverture Berlinale 2015: Nadie quiere la noche (Nobody Wants the Night)
Effectivement, personne ne veut de la nuit… et pourtant, ce n’est pas toujours la lumière qui prend le dessus ! On attendait beaucoup du film de la réalisatrice espagnole Isabel Coixet qui a fait l’ouverture de la 65e édition du Festival international du film de Berlin. Une grande réalisatrice, un magnifique décor, une histoire épique, un casting imposant… et pourtant, quelque chose manque à ce film pour être vraiment réussi.
Juliette Binoche, parlant des conditions de tournage – en plein mois de juin à Ténériffe dans un studio pour jouer en décor des scènes de Grand Nord et de grand froid – dit : « Tout est faux mais tout est juste ». Justement, l’impression est inverse, le scénario, la cinématographie, les acteurs, leur direction, tout semble juste mais un je-ne-sais-quoi laisse un sentiment de faux.
Une femme sophistiquée dans le Grand Nord
Une femme de la haute société étasunienne, Josephine Peary (Juliette Binoche), décide en 1908 de retrouver son mari, l’explorateur du Grand Nord Robert Peary, censé dans cette dernière expédition trouver le Pôle nord. Tout le monde lui déconseille de faire ce périple, l’hiver polaire approchant, les dangers son trop grands. Mais Josephine veut coûte que coûte aller à la rencontre de son mari, supposé être sur le chemin du retour de cette glorieuse expédition. L’histoire nous mène donc dans ce voyage à travers un environnement extrêmement inhospitalier qui aboutit non pas à la rencontre avec le mari-explorateur mais avec une femme Inuit (Rinko Kikuchi) qui va bouleverser sa perception du monde et sa manière de s’y comporter.
L’histoire est basée sur la réalité, mais les événements qui se déroulent dans le scénario de Miguel Barros sont inventés. Et c’est peut-être en partie là où le bât blesse. La morale du film est juste mais présentée de manière trop schématique et ostensible. Mis à part l’explorateur Bram (Gabriel Byrne), personne ne tient les Inuits pour des êtres humains ayant la même valeur que les « Blancs », les gens venus du sud sont prêts à sacrifier bêtes et hommes pour leur rêve de gloire et de reconnaissance. De leurs côtés, les Inuits sont ingénus, presque des enfants à l’âme pure comme le blanc du Groenland, cependant pleins du bon sens et de la philosophie des peuples premiers. Bien sûr ce n’est pas faux, mais il manque de subtilité pour que cela soit justement ressenti.
Josephine-Juliette
Le deuxième bât blessant est malheureusement encore une fois Juliette Binoche, incapable comme trop souvent de faire évoluer son personnage à mesure que l’histoire l’impose. Et pourtant, c’est elle-même qui raconte le mieux Josephine : « L’évolution de mon personnage est énorme, tout comme l’est celle de ma rencontre avec Allaka. Je dois passer plusieurs stades d’émotions, de ressentiments avant d’arriver à devenir un meilleur être humain. »
Cependant, tout au long du film, le spectateur, après chaque péripétie, attend de percevoir ces changements. En vain. Même lorsque Josephine perd totalement de sa superbe, Juliette n’arrive pas à nous faire entrer en empathie avec elle. Au contraire de Rinko Kikuchi, absolument fantastique dans un registre qui laisse moins de place pour faire évoluer son personnage et qui pourtant parvient à enrichir la personnalité d’Allaka de manière continue.
La cinématographie de Jean-Claude Larrieu est très belle, et le parti pris de la réalisatrice de produire une dichotomie visuelle entre des plans extrêmement rapprochés dans les intérieurs et les larges plans extérieurs (le blanc sans fin, les étendues montagneuses, la voûte étoilée) rend très bien cette impression d’enfermement, d’oppression dans une nature infinie, de quasi non-horizon malgré le pur et vaste blanc qui engloutit toute forme, ce sentiment de langueur et de longueur à attendre la fin de l’hiver… mais peut-être que cette dernière est aussi un peu due aux 118 minutes du film…
Nadie quiere la noche ; d’Isabel Coixet ; avec Juliette Binoche, Rinko Kikuchi ; Gabriel Byrne ; Espagne, Bulgarie, France ; 2014 ; 118 minutes.
Malik Berkati, Berlin
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