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Genève : la première édition d’un festival consacrée aux compositrices oubliées – Les Inoubliables. Rencontre avec Amelia Feuer

Du 1er au 16 octobre 2025 se tiendra la première édition du festival Les Inoubliables, mettant à l’honneur les femmes compositrices.

« En Suisse, seulement 2,3% des programmes musicaux incluent des compositrices en musique classique et en jazz. »

Face à ce constat édifiant à l’époque où l’on parle égalité des chances et parité, l’artiste lyrique dramatique Amelia Feuer a souhaité réparer cette injustice et sortir des oubliettes les nombreuses femmes compositrices et musiciennes qui ont composé et créé au fil des siècles, demeurant dans l’ombre des compositeurs dans une société sous la houlette du patriarcat dominant.

Née aux États-Unis, Amelia Feuer, fondatrice du festival, a parcouru le monde en tant que chanteuse lyrique. Alors qu’elle étudiait à Paris, la jeune soprano enchante les soirées aux bords de la Seine avec ses concerts improvisés qui ne durent pas plus de cinq minutes. Un laps de temps court mais suffisant pour appâter les badauds, interloqués et sous le charme de sa voix.

Souhaitant rendre l’opéra plus accessible, elle aime se confronter au regard des passants, à leur intérêt ou à leur désintérêt, évoluant avec aisance dans cet exercice singulier auquel les artistes lyriques sont rarement confrontés de façon aussi directe. Adepte des concerts de rue, Amelia Feuer poursuivra l’exercice de s’exposer à des publics qui n’auraient, a priori, peut-être jamais fait la démarche d’aller à l’opéra et offrira de brèves prestations dans les Rues-Basses, à Genève, alors qu’elle étudie à l’HEM.

Ce n’est qu’au cœur de sa carrière qu’Amelia Feuer fait une découverte qui la trouble et la chagrine: des compositrices existent, mais leur musique reste largement absente des programmations. Ce constat devient un déclic, puis une mission. Se muant en Pasionaria des compositrices et des musiciennes, Amelia Feuer crée, en 2021, un premier festival et une résidence en France. Poursuivant dans sa volonté de remettre à la lumière ces artistes oubliées, Amelia Feuer convie le public à la première édition du festival Les Inoubliables qui a établi ses pénates à Genève et ses environs. Son projet est vaste : la jeune soprano souhaite aller plus loin en parcourant les étagères des bibliothèques, explorant les archives pour redonner vie à des partitions invisibilisées, afin de les transmettre aux générations futures.

Les Inoubliables se veut non seulement un projet artistique mais aussi un mouvement, un engagement pour la mémoire et l’égalité, où femmes et hommes unissent leurs forces pour protéger et célébrer l’héritage des compositrices suisses. Comme le souligne Amelia Feuer durant notre entretien, les musiciens sont encore peu nombreux à oser donner un concert uniquement fait d’œuvres de compositrices, redoutant que le public ne soit pas au rendez-vous. Les atavismes hérités des siècles passés, engoncés dans les oripeaux du patriarcat, ont encore la dent dure.

Musique classique, contemporaine et jazz pour remettre à l’honneur les compositrices

Amelia Feuer a voulu créer un festival éclectique dont l’objectif premier est de préserver l’héritage musical suisse – et au-delà – en mêlant musique classique, contemporaine et jazz pour mettre en lumière les compositrices souvent sous-représentées, ainsi que les créatrices d’aujourd’hui. Les Inoubliables convie un large public à découvrir la richesse de la musique écrite par des femmes, et incite les mélomanes à imaginer un avenir où les programmations musicales reflètent une véritable égalité de représentation.

Cette première édition du festival met sur le devant de la scène quarante compositrices d’hier et d’aujourd’hui, ainsi qu’une première suisse, avec l’œuvre révélée par la compositrice du festival, en résidence.

Mentionnons une table ronde, un ciné concert, le mapping sur les façades du Victoria Hall, et onze concerts de musique dans Genève, Vernier et Annemasse, en France voisine, le tout mu par la volonté de sensibiliser aux enjeux de société en encourageant un dialogue avec un public intergénérationnel.

Une première mise en bouche les 12 et 13 septembre 2025

Dans le cadre des Journées européennes du patrimoine et du matrimoine à Genève, l’association Les Inoubliables a été mandatée par la Ville de Genève pour créer un tout premier mapping sur le Victoria Hall, bâtiment sur lequel ne figurent que des noms de compositeurs, et où les noms de compositrices seront projetés. En collaboration avec la célèbre artiste visuelle transmédia, Sophie Le Meillour, qui nous a parlé de son parcours et de son travail ainsi que du mapping qui couvrira le Victoria Hall des noms des compositrices oubliées. Un spectacle de lumière inédit illuminera la façade du bâtiment emblématique le 13 septembre dès 21h. Le public pourra y découvrir les noms de femmes de génie musical s’allumer sur ce haut lieu de la musique genevoise. Des compositrices de différentes époques seront projetées tout au long de la soirée, pour rappeler que les femmes ont toujours composé même si l’Histoire ne les a pas toujours retenues.

Comme le disait Clara Schumann :

« Il semble impossible qu’une femme puisse écrire quoi que ce soit de valable… Je me suis résignée à cela bien longtemps déjà.»

La soirée comprendra également trois happenings sur le parvis du Victoria Hall : tout d’abord, Amelia Feuer, directrice artistique du festival, présentera la démarche derrière ce mapping pionnier. Ensuite, Laudine Dard, harpiste suisse, interprétera plusieurs œuvres de compositrices, jouées en direct sur le trottoir pendant que leurs noms illumineront la façade.

Le festival sera l’occasion d’une Première Suisse: sur une commande musicale du festival qui a composé la musique du ciné-concert inédit célébrant les films d’Alice Guy, pionnière du cinéma, s’annonce comme l’un des joyaux du festival.  Après avoir terminé ses études de musique de film à l’Université de Zurich, Céline Fankhauser travaille comme compositrice, orchestratrice et pianiste, basée en Suisse. Ce concert aura lieu aux Salons, joué par l’orchestre Nexus, à Genève, le 11 octobre, après une première à la Cinémathèque française en mai dernier. Il sera interprété par la Symphonie de Poche, dirigée par Nicolas Simon, ainsi que par le Duo Circé (chant et piano).

Pour leurs premiers pas en tant qu’ « archéologues musicales », ou devrait-on les appelées « archéologues musicologues », la fondatrice et ses acolytes du festival ont plongé dans les archives de la bibliothèque de la Haute école de musique de Genève où elles ont redécouvert les sublimes partitions de Fernande Peyrot, compositrice genevoise largement reconnue en son temps, mais effacée de la mémoire collective. En collaboration avec la maison d’édition suisse Henri Labatiaz, Les Inoubliables ont édité et publié des œuvres inédites de Fernande Peyrot. Celles-ci seront interprétées lors du concert du 4 octobre 2025 au Musée d’art et d’histoire, par les lauréats du prix Les Inoubliables (élèves de la HEM de Genève), aux côtés du pianiste de renommée internationale David Kadouch.

Les marraines du festival

Pour que son destin soit couronné de succès et de longévité, le festival s’est doté de marraines de renom. Citons Valentine Michaud, saxophoniste suisse, lauréate du prestigieux Credit Suisse Young Artist Award et artiste en résidence à l’Orchestre de la Suisse Romande, qui se distingue par une virtuosité hors normes. Formée à la HEMU de Lausanne, à la fois interprète et compositrice, elle repousse les frontières du saxophone. Valentine Michaud sera présente pour un discours lors du concert Les Illuminations le 2 octobre au Musée d’Art et d’Histoire. Esther Abrami, violoniste et influenceuse, signée chez Sony, qui a sorti Women (2025), un album qui met à l’honneur les compositrices et s’est produite dans le Royal Albert Hall et le Carnegie Hall, et elle collabore avec des orchestres tels que la Royal Philharmonic et l’English SO, où elle est artiste en résidence. Elle se produira lors d’un gala-concert organisé par Les Inoubliables le 18 mars 2026, au Victoria Hall.
Aliette de Laleu, journaliste et chroniqueuse spécialisée en musique classique, mue par un engagement fort en faveur de la reconnaissance des compositrices, viendra animer une chronique sur France Musique où elle souligne les femmes invisibilisées dans l’histoire musicale. En 2022, Aliette de Laleu a publié Si Mozart était une femme. Elle sera présente lors de la table ronde le 11 octobre à 18 h à Les Salons. La table ronde intitulée « Comment pérenniser le travail des femmes artistes ? », regroupera Aliette de Laleu, Dr. Coraline Renfort et Grégoire May (Éditions Henri-Labatiaz).

— Amelia Feuer
Image courtoisie Stagetime

Formule hybride entre gratuité et concerts payants

Dans dans le cadre des Journées européennes du patrimoine et du matrimoine, le 12 septembre, à 18h, au Palais Eynard, le Duo Circé proposera un concert gratuit des œuvres de Alma Mahler et Clara Schumann, avec, au chant, Amelia Feuer, accompagnée au piano par Clémentine Dubost. Lors de notre entretien, Amelia Feuer nous a gratifiées d’un extrait de l’œuvre de Clara Schumann qu’elle chantera le 12 septembre et qui a enchanté le personnel de la Maison des Arts du Grütli où nous l’avons rencontrée.

Le 13 septembre, à 21h, le Mapping des compositrices au Victoria Hall est, bien évidemment, gratuit.

Les propositions sont nombreuses comme, par exemple, le 2 octobre, à 19h, l’Ensemble Les Illuminations (Élisabeth Jacquet de La Guerre, Kaija Saariaho, Ethel Smyth, etc.) au Musée d’art et d’histoire. Ou encore le 3 octobre, à 19h, l’Ensemble baroque Les Impertinences, programme autour de la compositrice Isabella Leonarda, à la Villa du Parc à Annemasse. Le 4 octobre, à 19h, au Musée d’art et d’histoire, le festival proposera la prise de parole de Fanny Noel, architecte lauréate du concours de la rénovation du MAH, avec, en première partie, les Lauréats du prix Les Inoubliables (élèves de la HEM de Genève) avec un mini-programme Fernande Peyrot.

Le 12 octobre aux Salons, à 11h Le jeune jeune public aura droit à une création Les Inoubliables, Camille, la princesse sans mal. Le 16 octobre, à 19h, le Trio Lucia (Amelia Feuer : chant, Amélie Potier : violoncelle, Vincent Buffin : harpe) donnera un concert gratuit interprétant des œuvres de Cécile Chaminade, Mel Bonis, Blossom Dearie et Florence Price, à la Bibliothèque de Genève.

Rencontre avec Amelia Feier:

 

Elle nous a offert un extrait de l’œuvre de Clara Schumann qu’elle chantera lors des journées du Patrimoine:

 

Pour en savoir plus sur le programme du festival : www.lesinoubliables.com

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

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