Joan Baez I Am a Noise – Un documentaire révélant un pan méconnu de la vie de l’artiste-militante
Les documentaires sur l’icône folk étasunienne abondent ! Joan Baez, militante pacifiste infatigable, soprano inscrite dans l’histoire musicale de la contre-culture des années soixante et septante, mais également réduite à son rôle de compagne de Bob Dylan, ou encore incarnant la figure centrale de la tournée d’adieu de 2018-2019 (The Fare Thee Well Tour) – autant de facettes que l’on a pu explorer ces dernières années. Lorsque l’on découvre que Joan Baez I Am a Noise prend pour point de départ justement cette tournée d’adieu, on peut nourrir quelques appréhensions. Et pourtant, ce documentaire va rapidement révéler une perspective originale, un angle mort de la biographie de la chanteuse.
La structure du film semble de prime abord très classique – des entretiens en face caméra, des images d’archives publiques et personnelles, des extraits de concerts de la tournée d’adieu – où la chanteuse retrace l’histoire de sa vie dans son contexte temporel. Puis, par petites touches, l’introspection atteint des zones plus intimes. Des carnets écrits et dessinés par l’artiste durant son enfance font leur apparition, ses dessins s’incrustent à l’écran et prennent vie – ils révèlent un aspect très sombre de son histoire ainsi que celle de sa sœur cadette Mimi Fariña, elle aussi chanteuse folk et décédée en 2001 d’un cancer. Joan Baez a choisi de lever le voile sur sa vie complexe, imprégnée d’un terrible traumatisme subit durant son enfance. Aux archives classiques s’ajoutent des enregistrements privés sur cassettes, notamment des lettres parlées adressées à son père, ainsi que l’enregistrement d’une séance thérapeutique d’hypnose.
Le titre du documentaire fait référence à une phrase extraite d’un de ses journaux intimes, où à l’âge de 13 ans, elle avait écrit : « I am not a saint. I am a noise. » En français, cela peut se traduire par « je ne suis pas une sainte ; je suis un bruit ». Mais aussi par « je ne suis pas une sainte ; je suis une source de perturbation ». Sans vouloir se livrer à une analyse psychologique de comptoir, cette phrase reflète bien l’image que la chanteuse, devenue adulte, a projetée pendant des années : sa voix au service d’un activisme politique et d’un engagement social.
Le début du film est marqué par une citation de Gabriel García Márquez : « Tout le monde a trois vies : une vie publique, une vie privée et une vie secrète. » À la lumière des révélations faites dans le documentaire, la formule que la jeune Joan avait écrite durant son adolescence rejoint également les tourments qui l’ont habitée pendant des décennies : des attaques de panique, des maux de ventre, des phases de bipolarité.
Joan Baez est née en 1941 dans une famille quaker (elle cite son éducation quaker comme une influence majeure sur son activisme social et son engagement politique), d’une mère écossaise, professeure de scénographie, et d’un père mexicain, physicien, en 1941. En raison du travail d’Albert Baez, Joan et ses deux sœurs – Pauline, l’aînée, qui a toujours veillé à rester à l’écart des projecteurs et du star-système dans lequel évoluaient ses sœurs, et sa cadette Margarita Mimi, elle aussi chanteuse folk et militante – ont beaucoup voyagé dans leur jeunesse, aux États-Unis, mais également en France, en Suisse et même en Irak. Cette enfance itinérante a profondément marqué la jeune fille, elle-même victime de racisme aux États-Unis, témoin des injustices sociales et de la pauvreté dès son plus jeune âge.
Elle débute en 1958 sur de petites scènes et publie un premier album qui attire l’attention d’une vedette de la musique folk, Bob Gibson, qui l’invite à se produire avec lui au festival folk de Newport en 1959. La carrière musicale de Joan Baez est ainsi lancée, et dans la foulée, son engagement dans le mouvement des droits civiques, marchant aux côtés de Martin Luther King, James Bevel, Bernice Johnson Reagon, Pete Seeger, Harry Belafonte, David Harris, son mari pendant cinq ans, militant pacifiste avec qui elle a eu un fils, le musicien Gabriel Harris, ainsi que Bob Dylan, pour n’en citer que quelque-un·es.
Dans le film, l’artiste-activiste souligne qu’elle n’est « pas très douée dans les relations en tête-à-tête, mais [je suis] douée dans les relations à un contre deux mille. » Les concerts, les manifestations, les rassemblements, où elle a si souvent pris la parole, lui ont permis de rester en mouvement, alors que ses relations interpersonnelles battaient rapidement de l’aile et que sa conversation intime avec elle-même était perturbée par son engagement permanent.
L’exercice de ce type de documentaire biographique accroît le risque d’un résultat final hagiographique ; cependant, c’est sans compter sur la capacité d’auto-ironie de Joan Baez, de son honnêteté face à ses failles, ses échecs, ses manquements. Karen O’Conner, Miri Navasky et Maeve O’Boyle parviennent à travers ce collage de souvenirs et de leurs supports à un rendu complexe qui n’est pas exempt de zones qui restent encore floues, à l’instar du processus douloureux d’émergence de la mémoire, laissant au public le soin de tirer certaines de ses propres conclusions.
De Karen O’Conner, Miri Navasky et Maeve O’Bolye; avec Joan Baez, Mimi Farina, Pauline Baez, Bob Dylan, David Harris ; États-Unis ; 2023 ; 113 minutes.
Malik Berkati
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