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Le Bébé des Buttes-Chaumont, l’ultime album de Jacques Tardi consacré aux extraordinaires aventures d’Adèle Blanc-Sec

Jacques Tardi fait ses débuts en 1969 dans Pilote, magazine hebdomadaire français de bande dessinée, initialement destinée à la jeunesse, publié d’octobre 1959 à octobre 1989. Tardi y a fait paraître son premier long récit, Rumeurs sur le Rouergue (scénario Christin), puis s’en éloigne rapidement. Pour rappel, Pilote, est créé par les grands noms de la bande dessine des années cinquante : René Goscinny, Albert Uderzo, François Chauteaux (l’instigateur du projet), Jean-Michel Charlier, entre autres.

— Jacques Tardi
© Anaëlle Trumka

Après un détour chez Futuropolis (La véritable histoire du soldat inconnu), Tardi entre en 1976 chez Casterman, où il publie l’essentiel de son œuvre dont Les extraordinaires aventures d’Adèle Blanc-Sec, la série Nestor Burma (d’après Léo Malet), Tueur de Cafards (scénario Legrand), C’était la guerre des tranchées, Le cri du peuple avec Vautrin et, récemment, Le secret de l’étrangleur, d’après Pierre Siniac. En 1974, quand Tardi publie son troisième album, le dessinateur-scénariste se place sous l’ombre tutélaire de deux illustres parrains, Jules Vernes pour le récit et Gustave Doré pour le dessin.

Publié par Casterman mi-octobre 2022, ce dixième tome d’Adèle Blanc-Sec, intitulé Le Bébé des Buttes-Chaumont, sonne le glas des aventures de cette héroïne audacieuse et perspicace, en avance sur son temps, imaginée par Tardi, semant l’émoi au sein de la communauté de fans et dans l’univers de la bande dessinée.

Dans Le Bébé des Buttes-Chaumont, grâce à Honoré Fia, son illustrateur de beau-frère, Adèle échappe au poison du Docteur Chou, qui transforme son prochain en bovin écervelé. Mais elle n’est pas tirée d’affaire pour autant, puisqu’un autre danger la guette, des clones explosifs, qui lui ressemblant comme deux gouttes d’eau et se font sauter aux côtés de pontes du gouvernement afin de lui faire porter le chapeau ! Pour boucler la boucle des extraordinaires aventures d’Adèle Blanc-Sec et faire de nombreux clins d’œil aux albums qui ont précédé, Tardi convoque divers personnages issus des neuf albums précédents.

Avec cet album, la célèbre feuilletoniste et auteure de romans populaires connaît sa dixième et ultime aventure. Créée en 1976, Adèle Blanc-Sec révèle à travers son quotidien fantastique bien des aspects de la personnalité de son ingénieux auteur, Jacques Tardi, ce que ce dernier clame haut et fort.

Il est vrai que l’héroïne n’a pas l’air d’une bout-en-train et affiche continuellement une mine boudeuse, ce qui ne l’empêche de plaire beaucoup aux hommes qui le lui font savoir. Par contre, les femmes la détestent.

Tardi souligne que ce trait de caractère est commun à son héroïne et à son démiurge :

« Je le répète, Adèle Blanc-Sec, c’est un peu moi ».

Par le truchement de ce double au féminin bougon, l’auteur exprime au fil de ses planches son indignation ou son mécontentement, rouspétant contre les trottinettes dans la capitale qu’il fait valser sur plusieurs cases. Il maugrée et peste au sujet de la saleté des rues parisiennes que Tardi aime arpenter pour ses repérages et cette saleté l’agace au point qu’il fasse dire à Adèle : « Il faut bien reconnaître que Paris est une ville dégueulasse ! »

L’humeur maussade, la colère, la rouspétance et les mines patibulaires font partie intégrante de l’univers d’Adèle Blanc-Sec, mais Jacques Tardi n’omet jamais d’y insérer tout au long de son œuvre un humour bienvenu, parfois caustique.

Le Bébé des Buttes-Chaumont est une œuvre chorale qui convoque de nombreux personnages des précédentes aventures d’Adèle Blanc-Sec. Les lecteurs peu coutumiers de la feuilletoniste et de son univers pourraient d’ailleurs s’y perdre ! Ici, Jacques Tardi en profite pour faire part de ses convictions sur la peine de mort, les prisons, la Commune de Paris, la police, la condition animale ou la guerre.

— Adèle Blanc-Sec – Tome 10 – Le Bébé des Buttes-Chaumont de Jacques Tardi
Image courtoisie Éditions Casterman

Au fil des décennies et de ses divers albums, Jacques Tardi fait des constats et se désole de la nature humaine et des conséquences de ses actes sur la nature, sur le monde animal, sur ses congénères, faisant exprimer par Honoré Fia, l’illustrateur des albums d’Adèle, sur un ton persuadé : « Nos souffrances n’auront pas été vaines ! Il n’y aura plus jamais de guerre… Les hommes ne sont pas cinglés à ce point ! »

Le dessinateur-scénariste le reconnaît lui-même :

« On ne peut pas parler d’un scénario construit au fil à plomb. Le feuilleton, c’est ça : on part dans une direction, on court derrière les personnages, et ils ont tendance à prendre un petit peu leur autonomie. Ce sont eux qui mènent la danse ».

Jacques Tardi, qui vit à Paris, dans le XXème arrondissement, voue une immense amour à la Ville Lumière qu’il aime raconter Paris à travers ses dessins. Il l’a fait sur d’autres séries comme dans Le Cri du peuple sur la Commune de Paris ou les albums de Nestor Burma. À travers son trait et les ambiances qui s’en dégagent, Tardi sublime même la ville. La série des Nestor Burma plongent avec bonheur les lecteurs dans des atmosphères et des décors d’un polar, certes, mais le décor contribue grandement à l’intérêt de l’intrigue. Comme le rappellent nos collègues de FranceTV, Tardi avait passé la main sur cette adaptation des romans de Léo Malet depuis vingt ans à deux auteurs, Emmanuel Moynot et Nicolas Barral. Pourtant, Tardi souhaitait en réaliser un autre, Les Eaux troubles de Javel qui se passe dans le XVe arrondissement, mais y a renoncé, constatant et se désolant :

« Je m’y suis baladé, tout a été rasé. Il n’y a plus rien d’époque. Alors, on peut raconter la même histoire ailleurs ».

Cet album, rétrospective des neuf tomes précédents des extraordinaires aventures d’Adèle Blanc-Sec, conserve la beauté graphique de ce dessin magnifique, essaimant la nostalgie des lectures notre enfance et de notre adolescence. Pour apprécier à sa juste valeur cet ultime album, il est fortement recommandé de relire la collection complète des aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec en s’immergeant dans le Paris du début du XXe siècle de Tardi où le fantastique règne en maître.

Avec cet ultime album, sans gâcher votre plaisir, on peut révéler que les aventures d’Adèle se terminent là où elles ont commencé : au Jardin des Plantes !

Pour celles et ceux qui se lamentent sur la disparition d’Adèle Banc-Sec, Tardi rétorque :

« J’ai toujours dit que j’en ferai dix, des Adèle, pas un de plus. Je suis un homme de parole. Il n’y aura pas de reprise. Je déteste les faux Blake et Mortimer et compagnie. »

Et d’ajouter aussitôt :

« Connaître le sort d’un Franquin qui avait demandé de ne pas faire renaître Gaston Lagaffe, mais se retrouve désavoué post mortem, ça ne m’angoisse pas. Mais je trouve que même si on adore Mickey ou je ne sais qui, ce n’est pas très glorieux d’accrocher ses wagons derrière le travail d’un autre (…). J’aimerais bien qu’Adèle échappe à cela. En revanche, rien ne m’empêche, dans le même esprit, la même époque, d’utiliser d’autres personnages qui n’ont pas vraiment été exploités ».

D’ailleurs, le dixième album se conclut avec cette mise en garde :

« Ainsi s’achèvent pour toujours Les Aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec. Gare aux faussaires qui seraient tenté(e)s d’y donner suite ».

Que les inconditionnels se rassurent : le monde d’Adèle ne leur est pas totalement fermé puisque des spin-off, des albums dérivés, pourraient voir le jour reprenant pour cadre un univers de fiction similaire sans pour autant avoir le personnage principal, mais reprenant certains des personnages de la série. Tardi évoque l’idée d’un album avec Lucien Brindavoine.

Affaire à suivre ! Et Tardi est un homme de parole…

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

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