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Berlinale 2024 – Generation : avec Comme le feu, Philippe Lesage poursuit sa représentation de l’adolescence

Le nouveau film du cinéaste québécois, présenté dans la section Generation 14plus, décrit comment la quête d’idéaux propre à la jeunesse peut se heurter aux égos meurtris des adultes.

— Carlo Harrietha, Paul Ahmarani, Sophie Desmarais, Aurélia Arandi-Longpré, Noah Parker, Antoine Marc Marchand-Gagnon, Arieh Worthalter, Guillaume Laurin – Comme le feu
© Balthazar Lab

Comme le feu, intitulé Who by Fire dans sa version internationale, s’ouvre sur une échappée belle : la caméra suit une voiture filant à vive allure sur une route rectiligne entourée par les forêts. Jeff (Noah Parker) est invité par son ami Max (Antoine Marchand Gagnon) et sa famille. Aliocha (Aurelia Arandi-Longpré), la sœur de Max, met les sens du jeune homme en éveil. Dans l’habitacle de la voiture, la caméra de Philippe Lesage filme au plus près les visages des voyageurs, à l’affût de la moindre expression, d’un regard qui s’échappe ou qui se fige, d’un pincement de lèvres. Albert Gary (Paul Ahmarani), le père de famille, part retrouver son ami de l’école de cinéma, le célèbre réalisateur Blake Cadieux avec lequel il a longtemps travaillé.

Après ses films à succès – Les Démons, sélectionné en compétition au Festival de San Sebastián en 2015, et Genèse, sélectionné en compétition au Festival de Locarno en 2018, gagnant de prix comme l’Épi d’Or du Meilleur film et l’Épi d’Argent de la Meilleure mise en scène à la Seminci de Valladolid – Philippe Lesage scrute et décortique les relations entre adultes et adolescents en apportant une attention toute particulière aux incompréhensions et aux heurts intergénérationnels.

Dès Les Démons, le réalisateur s’inscrivait dans l’observation et la description de l’enfance et de la naissance de la sexualité, un sujet qui l’inspire d’autant plus qu’il le trouve peu traité, voire tabou. Pour Genèse, il faisait grandir ses protagonistes, pour explorer l’adolescence, un sujet dont il poursuit l’étude avec Comme le feu. Mais ici, les adolescents se retrouvent à partager une sorte de no man’s land bucolique, à la Robinson Crusoé, un havre de paix perdu au cœur d’une immense forêt qui devient rapidement un protagoniste à part entière. Jeff est invité par son ami Max à passer ses vacances dans leur chalet et le jeune homme se réjouit ce séjour qui est l’occasion pour lui de rencontrer Blake Cadieux (Aries Worthalter), un artiste qu’il admire beaucoup. La promiscuité avec la sœur aînée de Max, Aliocha, dont Jeff est secrètement amoureux, met ses sens en émoi, d’autant plus que la jeune fille n’hésite pas à le provoquer. Max incite son ami à s’enfoncer dans les bois qui agira comme un révélateur sur les émotions enfouies de Jeff. Au fil des jours, dans ce cabanon, il découvre les activités que la nature ambiante offre, entre pêche, canoë, chasse…

Quelques jours plus tard, la fine équipe sera rejointe par des amis producteurs, Émilie (Sophie Desmarais), Eddy (Laurent Lucas) et Hélène (Irène Jacob).

L’expérience de documentariste de Philippe Lesage se ressent tant dans sa manière de filmer la nature que dans les scènes plus intimistes, comme les repas qui pourraient s’apparenter à des scènes de documentaire. La tablée partage de longs échanges bavards, très bavards, souvent trop bavards et qui, contrairement aux longs dialogues chez Woody Allen, n’apportent pas grand-chose au récit mais, fort heureusement, Philippe Lesage fait la part belle à la nature. Chez lui, la fiction et le documentaire se rejoignent pour servir le septième art par le biais de la contemplation, de l’observation même quand il y a peu d’action comme dans une scène nocturne où le cinéaste invite son public à être attentif aux bruits de la forêt la nuit. Soudain, lors d’une sortie sur les cimes pour chasser, une succession de choses a priori banales peut déboucher sur une révélation tant pour l’un des protagonistes que pour le public. Tout ce qui semblait si paisible devient brusquement inquiétant : la forêt vierge initialement accueillante apparaît hostile et l’immense cabane en rondins du réalisateur adulé cesse d’être un abri. Pendant quelques instants, on songe à l’atmosphère anxiogène de Délivrance (1972) de John Boorman. Pour Jeff, cette parenthèse enchantée dans la nature rimait avec une quête juvénile d’idéaux et de liberté, mais le désenchantement, voire la peur, surgiront. Les egos meurtris des adultes n’épargneront pas les jeunes générations qui verront les modèles dont ils ont rêvé s’effondrer et partir à vau-l’eau.

Bien malgré lui, Jeff devient le témoin des relations toxiques et des dynamiques de pouvoir auxquelles se livrent les adultes telle une meute enragée. Ces vacances amèneront Jeff à réaliser que ce réalisateur tant idéalisé, vénéré, presque déifié, peut être capable de cruauté. L’idole se craquelle progressivement sous les yeux de l’adolescent qui semble en état de sidération et la vérité tombe tel un couperet : adultes et adolescents ne se rencontrent pas, les attentes sont déçues, le dialogue semble impossible.

Firouz E. Pillet

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