Le Garçon et le Héron (Kimi-tachi wa dō ikiru ka), de Hayao Miyazaki, invite à un voyage métaphysique en suivant le passage à l’âge adulte d’un jeune garçon confronté à la mort de sa mère
Depuis un demi-siècle, les œuvres emplies de poésie et d’onirisme du réalisateur japonais Hayao Miyazaki ont assis sa réputation, grandement méritée, du maître incontesté de l’animation. Après avoir annoncé sa retraite en 2013 par la voix du président du studio Ghibli lors d’une conférence de presse à la Mostra de Venise, suscitant stupéfaction et tristesse, Hayao Miyazaki indique en 2016 travailler sur un nouveau long-métrage dont l’histoire s’inspire de sa propre vie, mais aussi du roman pour enfants Le Livre des choses perdues (The Book of Lost Things) de John Connolly, paru en 2006, et qui se déroule en 1939. Le Garçon et le Héron puise quelques éléments dans le roman Et vous, comment vivrez-vous ?, de Genzaburō Yoshino, publié en 1937, qui donne son titre original au film mais dont il se distingue singulièrement. Quant à la tour, qui joue un rôle prépondérant dans l’histoire, elle est inspirée de La Tour fantôme (Yūrei-tō), de l’écrivain et critique japonais Edogawa Ranpo, un livre qu’adorait Hayao Miyazaki quand il était enfant.
Fort heureusement, après avoir inquiété son public, le cinéaste légendaire est de retour pour son nouveau film, Le Garçon et le Héron (Kimi-tachi wa dō ikiru ka), très imaginatif et très pictural.
Après la disparition de sa mère dans un incendie, Mahito Maki (Soma Santoki), un jeune garçon de onze ans, doit quitter Tokyo pour partir vivre à la campagne dans le village où il a grandi. Il s’installe avec son père dans un vieux manoir situé sur un immense domaine où il rencontre un héron cendré (Masaki Suda) qui devient petit à petit – à l’image de Virgile qui sert de guide à Dante Alighieri dans le récit allégorique de la Divine Comédie – son guide, son confident, son unique ami, et l’aide, au fil de ses découvertes et de ses questionnements, à comprendre le monde qui l’entoure et à percer les mystères de la vie.
Invitant à prendre le temps, en particulier sur les questions existentielles, Le Garçon et le Héron démarre lentement, avec des tons réalistes, à partir du moment où le protagoniste rencontre un mystérieux héron cendré (aosagi) dans le jardin de sa nouvelle maison, on comprend que l’on s’apprête à faire un voyage initiatique fantastique. Si le jeune garçon, sa belle-mère sont bien dessinés esthétiquement, le héron cendré est particulièrement disgracieux, tout comme les grands-mères qui vivent dans le manoir, aux visages ridés qui, quand elles déambulent en groupe, font songer à un panier de pommes ratatinées. Surprenant pour le maître de l’animation nippone qui nous a habitués, depuis plusieurs décennies, à une esthétique impeccable grâce aux animations dessinées à la main !
L’oiseau guide le garçon vers une tour mystérieuse, porte d’entrée vers un monde enchanté, plein de symbolisme et peuplée de créatures impitoyables. D’autres, plus mignonnes, les kawaii, de petits flocons ouateux, symbolisent les âmes disparues prêtes à revenir s’incarner, côtoient des personnages extravagants qui offrent une palette haut en couleurs et en diversité.
Natsuko (Yoshino Kimura), la nouvelle épouse du père de Mahito, finit par se perdre à l’intérieur de la tour et le jeune protagoniste commence le voyage à la recherche de sa nouvelle mère.
Avec son douzième long métrage depuis 1979, le cinéaste et animateur depuis 1963, invite le public à s’immerger dans une atmosphère typiquement Ghibli qui imprègne de bout en bout Le Garçon et le Héron, distillant de manière constante la fantaisie et l’émotion, la lutte et l’aventure, le sérieux et la magie, la vie réelle et le surnaturel.
La première moitié du film se révèle la plus accomplie et suit l’arrivée de Mahito dans cet étrange et inquiétant manoir. Le jeune garçon, en proie à des cauchemars récurrents et hanté par la mort de sa mère dans un incendie, arrive avec son père loin de Tokyo alors que la guerre bat son plein. Lorsque sa belle-mère lui fait visiter la propriété, il est accueilli par ce héron cendré au caractère bien trempé, envahissant et aux cris tonitruants. Les faits et gestes de cet étrange volatile qui parle bruyamment, provoque et se moque de Mahito avec une voix criarde et dérangeante, indiquant la présence d’un monde caché, surnaturel et matérialisé notamment par cette mystérieuse tour en ruines, qui attire immédiatement l’attention du garçon dès son arrivée mais que sa belle-mère lui interdit formellement de pénétrer.
Si le rôle du héron cendré incarne indubitablement le cinéma fantastique de Miyazaki et l’inquiétude qu’il peut susciter, ce guide disgracieux devient de plus en plus monstrueux au fil du récit et pourrait effrayer le jeune public selon l’âge des enfants. Le scénariste et réalisateur cabotine avec ce personnage, mais on le lui pardonne vu sa filmographie.
Ce récit revisite de nombreux thèmes qu’affectionne Miyazaki comme la solitude, la peur, le chagrin, thèmes soutenus par de sublimes paysages colorés. À l’instar du film Le Voyage de Chihiro (2001), le cheminement de la vie réelle vers son l’univers surnaturel parallèle se fait de manière subtile à travers ces animations fantastiques.
Tout au long de sa carrière, Miyazaki a apporté raffinement et méticulosité, en particulier aux détails apportés aux éléments végétaux et météorologiques qui régalent les yeux. C’est à nouveau le cas dans ce voyage qui contraint le protagoniste à changer le regard qu’il porte sur sa nouvelle vie, sur sa famille recomposée, sur ses peurs, sur l’absence de sa mère. Par moments, le film donne une impression de confusion extrême, mais celle-ci est orchestrée avec maestria et se transforme en un voyage initiatique dense, magique, onirique qui aborde les thèmes universels de la mort, de la mémoire, du dépassement d’un événement douloureux et de la résilience.
Même si Le Garçon et le Héron n’est pas à la hauteur des plus grands chefs-d’œuvre de Hayao Miyazaki – tels que Porco Rosso (1992), Princesse Mononoké (1997) et Le vent se lève (2013), le dernier-né des studios Ghibli permet au jeune public, et peut-être au public adulte, d’envisager avec sérénité l’avenir malgré ses incertitudes.
Au Japon, Le Garçon et le Héron est sorti dans l’anonymat le plus total, sans aucune promotion ni bande-annonce. En Europe, le film était très attendu et est déjà dans les sales obscures de certains pays. C’est désormais au tour de la Suisse de découvrir le dernier film de Hayao Miyazaki !
Firouz E. Pillet
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