Les éblouis, de Sarah Suco, ou l’autopsie d’une emprise subtile et progressive
Camille (Céleste Brunnquell), douze ans, passionnée de cirque, est l’aînée d’une famille nombreuse. Un jour, ses parents intègrent une communauté religieuse basée sur le partage et la solidarité dans laquelle ils s’investissent pleinement. La jeune fille doit accepter un mode de vie qui remet en question ses envies et ses propres tourments. Peu à peu, l’embrigadement devient sectaire. Camille va devoir se battre pour affirmer sa liberté et sauver ses frères et sœurs.
Le film de Sarah Suco s’ouvre sur des scènes représentant une famille, a priori, harmonieuse et bienveillante : la mère de famille (Camille Cottin), le père (Eric Caravaca) et autre entants : Camille, l’aînée, adolescente; deux frères – et Benjamin -avant la petite dernière, Eva. La communauté célèbre les messes mais aussi toutes les situations de la vie dans une joie communicative et une apparente bonne humeur. Très enclins à inviter les visteurs des membres à partager leur repas au réfectoire, ils ne suivent initialement aucun méfiance.
Progressivement, on cerne les caractères des personnages et leurs faiblesse : la mère a des sautes d’humeur souvent violentes et intempestives et semble très malléable; le père, toujours attentif et tendre, semble vite dépassée par les situations et un peu mou pour réagir avec justesse. D’ailleurs, au fil du temps passé au sein de la Communauté de la Colombe, à Angoulême, il réagira de moins en moins. Au début de ce chemin initiatique dans une pratique rigoriste et très librement interprétée du christianisme, les moments de tendresse sont encore fréquents entre les enfants et leurs parents : par exemple, quand la caméra de Sarah Suco filme Camille, alitée, qui demande un conseil à sa mère à propos de ce qu’elle fait actuellement à l’école du cirque, un lieu-refuge qu’elle adore; sa mère lui demande : « Ce numéro consiste en quoi ? Je peux t’aider !» Camille de lui expliquer : « J’ai trop de trucs en moi, je brouille les choses d’après l’enseignant. ». Ce qu’elle omet de dire à sa mère, c’est qu’un comparse de l’école, Boris, lui plaît et cela semble réciproque. Sa mère de la rassurer : « On peut prier pour demander de l’aide. Je prie pour mieux chanter. »
Camille souligne, avec humour, qu’il y a encore du tracas. Ces moments – rares – de complicité et d’humour entre mère et fille finiront progressivement par disparaître.
Les parents vont ensuite passer la soirée dans leur communauté religieuse. Camille rentre à la maison et trouve une étrangère … Marie-Laeticia, venue garder la fratrie en l’absence des parents, qui est en train de gratter sa guitare en leur chantant « Ave Maria » mais a laissé la petite soeur de dix-huit mois seule dans son bain ! Camille, affolée, s’indigne. Peu à peu, elle va se parrntaliser et jouer le rôle des parents devenus irresponsables et démissionnaires.
On retrouve la mère famille dans une foule hypnotisée par les chants qui entonne, tenant chacun un cierge balancé en rythme : « Si la vague t’entraîne … ». Le célébrant, surnommé le Berger, (un Jean-Pierre Darroussin très convaincant dans ce rôle inattendu pour lui) vêtu tel un curé catholique, s’adresse à l’assemblée alors que cette dernière se met à bêler : « Saint-Esprit tout puissant enveloppe-nous de ton amour qui est en train de guérir une femme dans son intimité !», invitant une femme à s’approcher de lui : « Toi, femme qui doute, femme qui a peur de son mari, viens vers le Seigneur, viens recevoir la douceur, viens recevoir l’apaisement ! » Le Berger poursuit : « Merci Seigneur d’être là; si nous pouvons avancer dans cette société qui nous fait peur, c’est grâce à ta bonté. »
Les grands-parents, restés sans nouvelles de leurs petits-enfants, viennent de Brive-la-Gaillarde, leur rendre visite mais le grand-père, très lucide, explose : « Ce lieu est dégradant pour le corps, on avait oublié des illuminés, des abrutis en robe de bure.»
La progressive et sournoise persuasion, la manipulation pour renforcer la prise de pouvoir et l’aliénation ascendante qui rend toute réaction impossible, toutes ces stratégies sont mises en place. Cette machination est minutieusement analysée, observée dans ses arcanes les plus enfouies, par la caméra de Sarah Suco qui ne juge pas mais se contente d’observer.
Les vacances estivales se déroulent au rythme des règles de la communauté, pas d’improvisation possible : les spectateurs découvrent même la communauté en train de faire une farandole dans un pré puis de marcher, en chantant « Si le diable (au lieu du loup) y était, il nous mangerait » en se promenant dans une forêt. L’endoctrinement a fait son oeuvre et tous les cerveaux sont anesthésiés … Au point que la communauté réalise à la tombée de la nuit qu’il s ont égarées un enfant, Mathieu, environ dix ans. Camille le retrouve et il lui avoue qu’il fugue car il en assez de vivre dans cette communauté. Puniton, voire châtiment : il est enfermé dans un grenier pendant trois jours, une punition décidée par le berger. La, mère, docile et vulnérable, approuve cette décision et quant au père, Camille lui lance : « Tais-toi ! Tu n’es qu’un lâche ! » Puis elle va retrouver son frère au grenier.
Camille lui confie son secret: quand il faut demander pardon au berger, elle croise les doigts pour que cela ne compte pas. Voilà Mathieu réconforté !
Spoliation, emprise, manipulation, endoctrinement, pédophilie, tout le cocktail des vicissitudes sont ingénuieusement réunis dans ce film.
Sarah Suco enchaîne ensuite les tournages, passant du thriller L’Enquête avec Gilles Lellouche, à la comédie Demi-soeur de et avec Josiane Balasko. Elle côtoie également Cécile de France dans le drame La Belle saison (Locarno) de Catherine Corsini. Sarah Suco est révélée au grand public en 2016 grâce au rôle de Sophie, la meilleure amie de Marilou Berry dans Joséphine s’arrondit. L’année suivante, l’actrice se glisse dans la peau de la fille d’Agnès Jaoui dans Aurore de Blandine Lenoir. La performance de Sarah Suco tape dans l’oeil de Jaoui qui lui offre le rôle de Samantha dans son prochain film, Place publique, où elle donne la réplique à Jean-Pierre Bacri. Son passage derrière la caméra est prometteur.
Durant le générique de fin apparaît : « Dédié à ses frères et soeurs ».
Firouz E. Pillet
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