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L’Étang de Robert Walser dans une mise en scène corrosive de Gisèle Vienne

La scène s’éclaire et d’un coup, d’un seul, le spectateur est emporté dans une bourrasque sensorielle qui le ballotera jusqu’à la fin de la pièce dans un maelstrom d’émotions desquelles perleront, au fil du récit, ses propres réflexions. Car L’Étang du suisse Robert Walser, exploré par Gisèle Vienne, n’est pas frontalement cérébral ; la pièce saisit d’abord par sa puissance visuelle et sonore avant de laisser filer les mots qui imprègnent subrepticement le cerveau de sens qui se cristallise et développe la réflexion encore longtemps après que l’œil et l’ouïe épuisé.es par cette expérience volcanique se soit calmé.es.

— Ruth Vega Fernandez et Adèle Haenel – L’Étang dans une mise en scène de Gisèle Vienne
Image courtoisie Théâtre de Vidy – ©Estelle Hanania

Une musique techno tonitruante, une chambre d’ado minimaliste – un lit, quelques éléments qui jonchent le sol, un lecteur radio-CD – au milieu de 3 murs et du sol blanc qui réfléchit violement la lumière, des mannequins d’enfants étendus par terre et sur le lit, enlevés un à un par un homme qui les sort du plateau. Puis le son se fond dans une ligne de basse massive et montante à la limite de l’oppression. Lorsque que le dernier inanimé est enlevé, arrive côté cour Adèle Haenel, habillée en ado, au ralenti, suivie par l’altière Ruth Vega Fernandez, également au ralenti.
On pressent la performance des deux actrices, on ne sera pas déçus ! À côté du défi physique de passer presque une heure et demie à contrôler ses mouvements, bouger constamment au ralenti sans que cela ne semble contraint, s’ajoute l’oralisation du texte de Robert Walser qui a son propre rythme, s’étend sur sa propre frise temporelle avec les voix des actrices, dissociées de leurs corps, qui alternent monologues et dialogues – entre elles mais surtout au sein de la même personne. Et c’est ici que le talent d’Adèle Haenel se déploie de manière souveraine : elle est à la fois Fritz –  l’enfant mal-aimé du texte qui va mettre en scène son suicide pour tester le sentiment de sa mère pour lui – et les autres voix d’enfants/ados, à l’exception des deux mères interprétées impérieusement par Ruth Vega Fernandez. Tout semble suspendu dans une forme de ressac entre son corps qui se meut presque constamment dans ce tempo ralenti et ses monologues et dialogues, ses respirations, ses rires désespérés, ses gémissements, ses mâchements de bonbons Haribo… Cette dualité de cadences captive l’attention et capture les sens. C’est de l’art vivant total !

À l’issu de la représentation du 6 mai 2021 au Théâtre de Vidy, l’équipe s’est entretenu avec le public de la jauge réduite à 50 spectateurs. Extraits :

Sur le plaisir de retrouver la scène 

Adèle Haenel:

Je suis extrêmement contente de pouvoir jouer cette pièce qui me tient à cœur. Cette incertitude permanente dans laquelle on est me donne une impression d’irréel que l’on puisse enfin jouer. Je me dis à chaque représentation, que c’est toujours ça de pris ! Même si cela ne se voit pas, car le sujet est lourd (rires), l’émotion qui domine pour moi est la joie et le plaisir, cela m’amuse énormément de faire cette pièce, car de toute façon ces thématiques sont un poids que l’on porte tous, c’est dynamisant de jouer avec. Le moteur de la création pour moi, c’est la joie.

Gisèle Vienne :

Cette pièce a été créée en automne, mais elle est montrée pour la première fois ici, à Lausanne. Le théâtre, c’est un art social, du présent et pour moi, c’est très fort que l’on se rencontre avec cette pièce. On m’a demandé de la faire en vidéo mais cela n’a que peu de sens. Il est très important de pratiquer l’art vivant au présent !

Sur le parti pris exigeant de la mise en scène 

Ruth Vega Fernandez :

Nous avons beaucoup travaillé physiquement, Gisèle travaille toujours beaucoup la plastique et la physicalité de ses pièces.

Adèle Haenel :

Ce qui intéressant dans ce travail, c’est de trouver des formes pour exprimer des émotions intenses de manière non frontale, de décupler leur intensité. Normalement, dans notre grammaire d’interprétation, on est limité.es – par exemple si on veut exprimer la violence, on crie rapidement –, mais cette physicalité est un outil exceptionnel pour donner de l’espace au jeu. Évidemment, ce n’est pas facile de trouver un rythme dual, cela ressemble à ce que font les batteurs ou les jongleurs pour dissocier les influx. C’est difficile et frustrant au départ, j’ai eu beaucoup de peine, mais quelque chose s’est débloqué récemment et une fois qu’on a trouvé sa base, cela est génial pour ouvrir le champ des possibles. Le travail de Gisèle est formidable car les choses finissent par s’articuler.

Gisèle Vienne :

Le texte L’Étang est un texte privé de Walser qu’il a écrit pour sa sœur. Je trouve qu’il ne fonctionne pas très bien pour le plateau. J’y entends plutôt des monologues à plusieurs voix, et c’est passionnant à mettre en scène. C’est un peu comme les pièces de Heiner Müller où il n’y a pas d’évidence d’interprétation. Les sujets abordés sont ceux récurrents chez Walser, l’isolement, le désespoir affectif, les rapports de domination par la soumission. La dissociation des voix et des corps me permet de remettre en question les évidences, de déplier les différentes strates de langage et de langues – ce qui est dit et ce qui est en nous –, de faire parler les silences, les sous-textes, de travailler parfois sur le contraire de ce que dit le texte. Ce qui me passionne aussi, c’est d’entendre Adèle et Ruth parler à travers le texte de Walser.

D’après l’œuvre originale Der Teich (L’Étang) de Robert Walser ; traduction française Lucie Taïeb à partir de la traduction allemande de Händl Klaus et Raphael Urweider (éd. Suhrkamp Verlag, 2014) ; conception, mise en scène, scénographie, dramaturgie Gisèle Vienne ; interprètes Adèle Haenel et Ruth Vega Fernandez ; lumière Yves Godin ; création sonore Adrien Michel ; direction musicale Stephen F. O’Malley ; musique originale Stephen F. O’Malley & François J. Bonnet ; durée 1h25.

Les dates restantes au Théâtre de Vidy sont complètes, la jauge sanitaire ne permettant que 50 spectateurs.trices par représentation, mais une tournée est prévue, avec deux autres passages en Suisse, à Bâle les 19 et 20 mai 2021 à la Kaserne, et en automne du 10 au 13 novembre 2021 à la Comédie de Genève.

Malik Berkati

Toutes les dates de la tournée prévisionnelle

Lausanne (CH), Vidy Lausanne, du 4 au 12 mai 2021

Basel (CH), Kaserne, les 19 et 20 mai 2021

Amsterdam (NL), Holland Festival, les 5, 6, 7 & 8 juin 2021

Douai (FR), Le Tandem Scène nationale, les 15 et 16 juin 2021

Grenoble (FR), MC2, les 23, 24 et 25 juin 2021

Reims (FR), Le Manège, les 5 et 6 juillet 2021

Vandoeuvre-lès-Nancy (FR), Centre Culturel André Malraux, les 8 et 9 juillet 2021

Hambourg (DE), Kampnagel, 12, 13, 14 et 15 août 2021

Essen (DE), Ruhrtriennale avec le Pact Zollverein, les 18, 19, 20, 21 et 22 août 2021

Paris (FR), Théâtre Paris Villette dans le cadre du Festival d’Automne à Paris, du 8 au 18 septembre 2021

Marseille (FR), Actoral Marseille, 29 et 30 septembre 2021

Varsovie (PL), Nowy Teatr, 14 et 15 octobre 2021 (TBC)

Bergen (NO), Bit Teatergarasjen, 21 et 22 octobre 2021 (TBC)

Oslo (NO), Black Box Theater, 24 et 25 octobre 2021 (TBC)

Genève (CH), Comédie de Genève, les 10, 11, 12 & 13 novembre 2021

Bruxelles (BE), Kaaitheater, 18 et 19 novembre 2021

Strasbourg (FR), Le Maillon, 24, 25, 26 et 27 novembre 2021

Clermont Ferrand (FR), La Comédie scène nationale, les 19, 20, 21 & 22 janvier 2022

Caen (FR), Comédie de Caen, semaine du 24 janvier 2022 (dates TBC)

Mulhouse (FR), La Filature, les 24 et 25 février 2022

Rennes (FR), Théâtre national de Bretagne, du 8 au 26 mars 2022

Poitiers (FR), TAP, les 4 et 5 avril 2022

Toulouse (FR), Théâtre Garonne, semaine du 11 avril 2022

Nantes (FR), Lieu Unique, les 20 & 21 avril 2022

Nanterre (FR), Nanterre-Amandiers, du 10 au 15 mai 2022

Cergy (FR), Points communs, les 1er et 2 juin 2022

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Malik Berkati

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