Liebmann – ou de la difficulté d’être aimable
Liebmann … littéralement “homme aimable”. Sauf qu’Antek Liebmann n’est au premier abord pas très aimable quand il arrive dans ce petit village de Picardie. Renfermé, distant, bourru – un peu comme on s’imagine un allemand en France – il va cependant s’ouvrir peu à peu à son environnement – un peu comme on imagine l’effet magique que peut avoir la France sur les gens du Nord.
Liebmann est narrativement assez obscur: on ne sait pas pourquoi Antek Liebmann vient en France si ce n’est probablement pour s’éloigner du cours de sa vie en Allemagne, on ne comprend pas bien ce que viennent faire les éléments secondaires de l’histoire que sont les meurtres inexpliqués qui se passent dans la région si ce n’est éventuellement pour réaffirmer qu’on ne connaît jamais vraiment bien les gens. En revanche, il a des qualités d’ambiance. De manière inconsciente, nous suivons cet été de Liebmann à Saint-Erme sans se forcer, avec parfois l’esprit vagabondant au gré du bruit des grillons ou du café du matin bu à l’air libre qui nous renvoient à nos propres sensations estivales.
Ce premier long métrage de Jules Hermann est atypique dans sa conception: la réalisatrice avait une idée de départ qui tenait sur « 27 notes. Entre la décision de tourner le film et le début du tournage, il y a eu exactement un mois. Le tournage lui-même a duré deux semaines et demie avec une équipe de trois personnes et sept comédiens. » La suite s’est faite d’elle-même explique-t-elle. « Une des excursions narratives était décidée dès le début, les autres sont venues au fur et à mesure. Je voulais jouer avec les formes cinématographiques car je trouve qu’il n’y a pas assez de films de récits qui osent s’y aventurer. »
La réussite de cet essai cinématographique tient dans l’improvisation des acteurs autour des idées ébauchées, exercice ô combien périlleux mais qui ici ne part pas dans tous les sens et s’inscrit parfaitement dans la structure du long métrage. Ceci est aussi probablement dû à l’idée de Jules Hermann d’utiliser les langages visuels du cinéma pour exprimer les sentiments des protagonistes, l’improvisation du langage des corps et des regards amenant plus de naturel que l’improvisation passant par la parole.
Ce film allemand en langue principalement française, genre prisé par bon nombre de cinéastes allemands ces dernières années, nous parle car il raconte une chose qui traverse tous les âges et continents de l’humanité: devoir se confronter avec les fantômes installés dans notre sillage avant de pouvoir s’ouvrir de nouveaux chemins de vie… et certainement le plus important, avant de pouvoir devenir aimable avec soi-même.
De Jules Hermann ; avec Godehard Giese, Adeline Moreau, Fabien Ara, Bettina Grahs, Alain Denizart, Denise Lecocq, Morgane Delamotte ; Allemagne ; 2016 ; 82 minutes.
Sortie Allemagne : 26 janvier 2017
Malik Berkati
© j:mag Tous droits réservés