Locarno 2021 : Zahorí, de Marí Alessandrini, présenté dans la section Cineasti del presente, suit une adolescente dans sa mutation en plein cœur de la Patagonie argentine
On se souvient que deux réalisatrices suisses et argentines ont été récompensées l’année dernière par un Léopard au Festival du film de Locarno. L’édition 2020 avait été particulière en raison de la pandémie et avait dû se réinventer. Lors cette 73ème édition, le jury international a fait honoré le projet de documentaire politique Chocobar, de l’Argentine Lucrecia Martel, qui s’interroge sur la colonisation et la culture indigène à partir du meurtre du militant Javier Chocobar en 2009. Pour la sélection nationale, le Jury avait attribué un Léopard à la Suissesse Marí Alessandrini, pour son projet de film Zahorí, un projet qui a pu voir le jour et être présenté cette année.
Zahorí, tourné en Argentine, dans la steppe de Patagonie, raconte l’amitié inattendue entre une jeune fille de treize ans, originaire du Tessin et un vieil indien Mapuche. La production du premier long métrage de la réalisatrice d’origine argentine et formée à la Haute École d’art et de design (HEAD) de Genève, Marí Alessandrini s’est arrêtée au milieu de la post-production. Avec le même budget déjà limité et une année supplémentaire estimée avant la sortie du film, elle a été forcée de terminer le montage par elle-même. Avec plus d’une décennie d’expérience dans la réalisation de courts métrages de fiction et en documentaire, Alessandrini a passé beaucoup de temps dans la salle de montage sur des projets précédents, mais jamais sur quelque chose d’aussi ambitieux que ce premier long métrage.
Comme une grande partie de son travail, Zahorí se déroule dans son Argentine natale, dans la steppe de Patagonie. C’est de ces vastes étendues de plaines aux herbes asséchées qu’elle suit le quotidien de Mora (Lara Viaena Tortosa, qui débute au cinéma mais offre déjà une présence magnétique à l’écran), treize ans, incomprise de ses parents et des élèves de l’école qu’elle fréquente Entraînée dans ce lieu par le rêve écologique de ses parents italiens ou tessinois qui ont décidé de réaliser leur rêve : celui de vivre en semi-autarcie en cultivant leur propre potager, Mora se retrouve déracinée et se crée de nouvelles racines au contact de Nazareno (Santos Curapil), un vieux Mapuche qui la comprend mieux que quiconque et avec lequel elle se lie d’amitié. Une amitié intergénérationnelle faite de complicité et de transmission, ce que les parents de Mora, en conflit, ne lui apportent pas. Tissant avec la nature et les animaux un lien toujours plus fort, Mora se découvre et découvre sa voie, recherchant sa véritable identité en puisant dans l’animalité quelle ressent en elle. Ce tandem improbable s’engage sur le chemin de la mort de l’aîné, dans une mutation et une maturité pour la jeune fille. Insolite, un tandem de prédateurs mormons traversent le film, à la rencontre des quelques protagonistes, « venus dans ses terres reculés en tant que soldats du Seigneur pour apporter la bonne parole », en échange du gîte et du couvert.
Son mentor Mapuche Nazareno est un homme simple qui s’attire des ennuis lorsque son bien le plus précieux, son cheval blanc Zahorí, s’enfuit de chez lui. Mora est bien décidé à retrouver l’équidé. Seule fille d’une école isolée de la montagne, elle est rejetée par ses collègues de classes emprunts d’un machisme exacerbé. Progressivement, au fil des apprentissages que lui sert Nazareno, Mora vit son envie de rébellion adolescente tout en s’initiant aux mystères de la nature et en poursuivant l’idée de devenir une vraie « gaucho ».
Marí Alessandrini décrit son film en ces termes :
« Zahorí se révèle comme un western à l’envers où l’on découvre une jeune fille qui s’émancipe de sa condition de femme, de ses origines sociales, et trouve sa propre voie à travers un vieux Mapuche. »
Mélangeant avec harmonie les langues, les influences musicales (surtout des notes de guitare qui rappelle les chansons de Mercedes Sosa, de la musique italienne dont Luigi Tenco et Dalida et des percussions qui accompagnent la course de Mora dans la séquence d’ouverture), les ethnies et les religions, Zahorí rend un vibrant hommage à l’humanité et à sa diversité. La jeune héroïne du film, incomprise de ses pairs, trouve une écoute et une sagesse auprès du vieux Nazareno qui lui inculpe le respect de la nature et des animaux avec une philosophie de vie emplie de bons sens et d’observation. À son contact, Mora se forge progressivement sa propre identité, nourrie de différentes cultures, et commence à remettre en question les convictions extrêmes de ses parents.
Structuré comme un voyage initiatique à travers les paysages évocateurs et désolés entre le Chili et l’Argentine, Zahorí est un voyage initiatique entre l’innocence de l’enfance, la rébellion de l’adolescence à travers un passage obligatoire vers l’âge adulte, accompagné de certaines prises de conscience comme la souffrance des animaux que le vieux Mapuche traite à égalité des humains et comme la fin inéluctable de tout être. Tels des tableaux passant de l’impressionnisme sous le soleil à l’expressionnisme par temps orageux, mis en valeur par la splendide photographie signée Joakim Chardonnens, les étendues balayées par le vent et brûlées par le soleil deviennent le creuset où se mêle la prise de conscience de la fragilité de la vie qui va de pair avec les apprentissages et l’affirmation de soi.
Le premier long-métrage de Marì Alessandrini illustre de manière bucolique et épurée les fragilités des êtres humains à travers une histoire au message universel qui semble se dérouler dans un lieu sans temporalité et sans frontières pour permettre à la jeune Mora de grandir et d’évoluer et aux spectateurs de se laisser porter par des images d’un grand onirisme.
Distribué en Suisse par Adok Films, Zahorí sortira sur les écrans helvétiques début décembre 2021.
Firouz E. Pillet, Locarno
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