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Locarno 2023 : I Giacometti, de Susanna Fanzun, projeté dans la section Panorama Suisse, explore l‘œuvre du père, le rôle de la mère en héritage à ces enfants talentueux

Dans une grotte, un jeune enfant caresse les parois rocheuses d’une grotte puis dessine avec l’une de ses mains sur la roche au moyen d’une branche de bois. Soudain, le garçonnet s’élance hors de la grotte et se met à courir. La caméra de Susanna Fanzun survole les cimes des sapins et suit, de dos, le jeune enfant en train de courir. La caméra alterne les plans, tantôt en vues aériennes, tantôt suivant de dos la silhouette de l’enfant qui traverse un pont en pierre si typique des Grisons et du Tessin. La scène suivante entraîne le public dans un logis, filmant une mère, enlaçant un plus jeune enfant, qui touille la soupe sur le feu. La réalisatrice filme la table mise, insérant un tableau qui représente la scène, puis poursuit avec une photographie, en noir et blanc, d’une famille : les deux parents et quatre enfants. En voix off, la documentariste raconte :

« J’ai rencontré la famille Giacometti très tôt. Les histoires du recueil de contes Pavrelas Engiadinaisas ont marqué mon enfance. Pendant des heures, j’ai regardé les images peintes par Giovanni Giacometti. »

I Giacometti, de Susanna Fanzun
© Vincafilm

La réalisatrice, née à Scuol, en Basse Engadine, la vallée voisine à celle où la famille Giacometti a vécu, souligne l’influence des montagnes, source d’inspiration. Le Val Bregaglia, au relief accidentée et montagneux, a produit une dynastie artistique extraordinaire : les Giacometti. Du père Giovanni, considéré comme l’un des premiers impressionnistes, aux enfants Alberto, Diego, Ottilia et Bruno, ils étaient tous dotés d’un talent artistique remarquable. Surtout le célèbre sculpteur, peintre et graveur Alberto, qui a révolutionné le monde de l’art avec ses sculptures filiformes. Annetta, la mère stricte mais apaisante dans le cercle de ses proches, a gardé la famille ensemble à l’intérieur.

Avec I Giacometti, la réalisatrice Susanna Fanzun part sur les traces de cette famille extraordinaire en regroupant moult archives qui illustrent le fil narratif de son documentaire, ponctué de témoignages et de tableaux des Giacometti. Comment expliquer que dans cette vallée difficile d’accès des artistes aient pu trouver tant d’inspiration : cette créativité est-elle le fruit de la rudesse du climat en hiver, des imposants flancs montagneux, des praires verdoyantes à la belle saison ?

Après des séjours d’études à Munich où il rencontre Cuno Amiet (1868-1961), son ami pour la vie, à l’Institut Julien dans le Paris d’avant-garde et en Italie, Giovanni Giacometti revient sur ses terres natales à Stampa, dans le Bergell ou Val Brega­glia – on jongle avec les langues avec aisance, jusque dans les appellations toponymiques -, où il développe son style exceptionnel sachant remarquablement exprimer les jeux de la lumière et de couleurs. Giovanni, de retour dans sa vallée grisonne, écrit à son ami Cuno Amiet, parti sous le soleil de la Côte d’Azur : « Sans travail et sans amour, il n’y a pas de vie », une philosophie aussitôt appliquée par ses quatre enfants.

Les enfants, Alberto, Diego, Ottilia et Bruno, étaient tous dotés d’un talent artis­tique remarquable, « un cadeau de Dieu aux Giacometti après avoir créé ces paysages rudes au climat rigoureux au point que pendant les trois mois d’hiver, le soleil ne brillait pas » relate en romanche et en riant Giacomo Dolfi. Le plus célèbre parmi cette fratrie est indubitablement Alberto (1901-1966), sculp­teur, peintre, graveur et graphiste moderniste, qui a révolu­tionné le monde de l’art avec ses sculp­tures aux silhouettes longi­lignes. Dès le plus jeune âge, le jeune Alberto faisait dès des croquis, des esquisses et des dessins de la vie familiale. À Stampa, l’atelier de Giovanni Giacometti, était comme un second salon pour toute la famille et est aujourd’hui un musée que la caméra de Susanna Fanzun nous fait visiter. Les billetophiles peuvent y retrouver l’ancien billet suisse de cent francs sur lequel figurait le visage d’Alberto Giacometti, photographié par Ernst Scheigegger qui confesse humblement n’avoir fait qu’un portrait pour le passeport dont Alberto Giacometti avait besoin. Contrairement aux autres photographes, Ernst Scheidegger a pu photographier non seulement l’atelier mais aussi le logement des Giacometti, il était son ami.

Pour documenter son film, Susanna Fanzun parcourt les musées et les archives, à commencer par l’Institut Giacometti à Paris et au SIK ISEA, au Kunsthaus et à la Fondation Giacometti à Zurich. Pour parler de la dimension et de la portée de l’univers de cette famille d’artistes, la documentariste convoque les derniers témoins — amis, modèles et membres de la famille — comme le cousin Giacomo Dolfi et Laura Semadeni, proche de la famille, la dernière modèle, Nelda Moggi-Negrini ou le galeriste et collectionneur, Eberhard W. Kornfeld, ami de la famille, qui souligne « la fascination que les Giacometti exerce encore de nos jours ». Alternant films d’époques, photographies familiales, accompagnées par la lecture, en voix off, des correspondances de Giovanni, la documentariste donne vie à cette famille d’artistes en insérant quelques scènes de fiction, reconstituant la vie fami­liale intense des Giacometti, sertie par l’écrin austère de ce pays alpin qui a créé les condi­tions parti­culières la création artis­tique des Giaco­metti. L’ouver­ture, l’échange avec d’autres cultures dans ce creuset d’influences et de langues que sont les Grisons ainsi que la vie dans des grandes villes ont façonné leurs vies et leurs œuvres.

I Giacometti, de Susanna Fanzun
© Vincafilm

Origi­naire de l’Enga­dine, la réalisa­trice Susanna Fanzun, était la guide de prédilection pour suivre les traces et les pas de la famille Giaco­metti. Filmant en vue aérienne et en noir et blanc les routes sinueuses qui dessinent des lacets à travers les cimes enneigées, les flancs des montagnes qui semblent fumer tant il fait froid, la silhouette des cheminées qui se dessinent sur l’impressionnante ombre des pics. Sous nos yeux défilent des pein­tures magis­trales accom­pagnées d’esquisses, de lettres person­nelles, des témoins contemporains et des images épous­tou­flantes de paysages alpins, filmés à toutes les saisons, nous pouvons voir au plus profond de cette impres­sion­nante famille dont leur vallée est si fière tout en restant très discrète.

Produit par Samir et par Susanna Fanzun, I Giacometti est présenté dans la section Panorama Suisse au 76ème Festival de Locarno après avoir été projeté aux Journées cinématographiques de Soleure en janvier 2023.

Firouz E. Pillet, Locarno

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Firouz Pillet

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