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Locarno 2024 – Piazza Grande :  Mexico 86, deuxième long métrage de César Díaz, mêle la grande Histoire de son pays avec l’histoire de sa famille. Rencontre

Dédiant Mexico 86 à sa mère, le cinéaste poursuit son travail de mémoire en auscultant la lutte si difficile et douloureuse des activistes et militants dans leur engagement versus leur contexte familial.

— Bérénice Bejo – Mexico 86
Image courtoisie Festival de Locarno

Le film s’ouvre en 1976 alors que la jeune Maria (Bérénice Bejo), une militante rebelle guatémaltèque luttant contre la dictature militaire corrompue, voit son mari se faire assassiner devant leur maison. Pour sauver leur fils Marco (interprété par Matheo Labbé à l’âge de dix ans) âgé de quelques mois, et face aux menaces de mort croissantes, Maria se retrouve contrainte de fuire au Mexique, laissant derrière elle son fils qu’elle confie à sa mère. Dix ans plus tard, lorsqu’il la rejoint au Mexique pour vivre avec elle, elle doit choisir entre ses devoirs de mère et la poursuite de son militantisme révolutionnaire. Pourtant, à la veille de la Coupe du Monde de football, le calendrier serait idéal pour rendre public, à travers un article de presse, les exactions commises par l’État guatémaltèque…

Comme dans son précédent film, César Díaz se penche sur les choix de ses protagonistes et leurs conséquences, en faisant la part belle aux femmes. Mexico 86 suit la protagoniste dans son engagement et dans son dévouement à la fois envers son pays et envers son fils, acculée dans une impasse qui laisse transparaître le spectre d’une possible tragédie.

À nouveau, César Diaz autopsie l’histoire politico-sociale violente de son pays, emplie de silences et de questions non résolues. En faisant ce travail d’investigation par le biais de ses protagonistes, le cinéaste invite ses compatriotes guatémaltèques à faire ce travail de mémoire tout en pansant ses propres blessures et celles de sa famille : « Faire ce film, c’était se confronter à la lutte armée menée par ma mère et au fait qu’elle soit mère. Les militants consacrent leur vie à la transformation de la société, mais ils n’ont souvent pas la possibilité de remplir leur rôle de parents. »

Dans les œuvres de Díaz, les mères sont sur le devant de la scène tout comme les grands-mères (ici Julieta Egurrola) mais les pères ne sont pas en reste. Si le père de Marco a été assassiné, une figure paternelle omniprésente évolue auprès de jeune enfant à travers la présence du compagnon de Maria (Leonardo Ortizgris).

Dans ce pays au passé trouble, le cinéaste met, avec brio, en lumière, à travers les relations entre parents et enfants, la difficulté de concilier le passé avec le présent dans un maelstrom où se mêlent les dimensions personnelles, politiques et sociales, voire sociologiques.

Pour ce film, César Diaz a retrouvé ses fidèles collaboratrices et collaborateurs : sa cheffe opératrice, Virginie Surdej, qui a fait un remarquable travail sur la photographie, en particulier dans les scènes nocturnes ou d’intérieur, Rémi Boubal pour la musique particulièrement peaufinée et anxiogène dans les scènes de film d’espionnage, Sabrina Riccardi pour les costumes et Marie-Pierre Hattabi, Eva Ravina pour les nombreuses perruques que porte Bérénice Bejo ainsi que pour ses maquillages.

Le jeune Matheo Labbé est la révélation du film, distillant une maturité incroyable pour son âge, capable d’exprimer tant de sentiments contradictoires par son regard, par l’expression de visage. Un talentueux acteur-enfant à suivre !

Né au Guatemala, César Diaz fait des études au Mexique et en Belgique, deux pays où sa famille a migré pour fuir la dictature qui sévit dans son pays d’origine. César Diaz intègre l’atelier scénario de la FEMIS à Paris.

Présenté lors de la Semaine de la Critique du Festival International du Film de Cannes en 2019, où il a été récompensé par la Caméra d’Or et le prix d’auteur, son premier long métrage de fiction, intitulé Nuestras madres, naît de la violence vécue par son peuple guatémaltèque dans le passé. L’histoire de son pays résonne avec celle de sa famille et César Diaz éprouve le besoin de se plonger dans les affres d’une dictature dont les dépouilles des nombreuses victimes restent introuvables. À travers ses œuvres, César Diaz souhaite contribuer au travail de mémoire de toute une nation en apportant sa pierre à l’édifice de reconstruction pour que la vérité puisse éclater au grand jour afin que le deuil puisse enfin se faire.

À Locarno, nous avons rencontré César Díaz qui nous a donné des clefs de lecture pour cerner la réalité multiple du Guatemala et de son histoire. Nous révélant comment il prend position sur le passé de guerre de son pays, il souligne qu’une partie de sa société exige de laisser le passé derrière elle alors que pour lui, « on ne peut pas comprendre la violence guatémaltèque en ce moment si l’on ne revient pas en arrière. »

— César Díaz
Image courtoisie Festival de Locarno

À l’issue de l’entretien, César Diaz reste lucide, conscient que la transformation sociale et politique prend du temps.

Rencontre avec César Diaz :

 

Firouz E. Pillet, Locarno

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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