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Luzzu, d’Alex Camilleri, plonge les spectateurs dans le quotidien difficile des pêcheurs artisans de l’Ile de Malte

De génération en génération, la famille de Jesmark Scicluna pêche à bord du Luzzu, bateau en bois traditionnel maltais, aux couleurs bigarrées et affichant deux yeux peints à la proue. Mais Jesmark voit son avenir menacé par la raréfaction des pêches et l’ascension d’une pêche industrielle impitoyable qui ravage les fonds marins. Pour subvenir aux besoins de sa femme et de son fils, le jeune homme va peu à peu se compromettre dans le marché noir de la pêche.

— Jesmark Scicluna – Luzzu
© trigon-film.org

Les catastrophes s’accumulent pour Jesmark Scicluna qui continue de partir en mer en pleine nuit pour jeter ses filets malgré sa barque de pêche qui prend l’eau et son bébé avec des problèmes de croissance nécessitant des soins coûteux. Cette difficulté supplémentaire met à mal le couple que Jesmark forme avec Denise (Michela Farrugia) lorsque celle-ci va chercher de l’aide auprès de sa famille, en particulier de sa mère (Frida Cauchi), aisée et qui méprise le jeune homme. La fierté de ce dernier en prend un coup. Jesmark tente de garder la tête hors de l’eau, mais son quotidien de pêcheur artisan, confronté aux règlements européens draconiens et aux ressources halieutiques qui diminuent.

Le luzzu, cette petite embarcation traditionnelle de pêche de Malte qui fait le fierté de Jesmark Scicluna, est un protagoniste à part entière du film, que l’on suit dans ses péripéties : la fuite du fond, les soins et réparation apportés par David Scicluna, le cousin de Jesmark, la douloureuse décision de séparation et la fin inéluctable à la casse. Jesmark en possède une et cette embarcation a représenté son unique gagne-pain qui lui a été légué par son père, qui l’avait lui-même reçu du sien qui l’avait reçu du sien, et ainsi de suite. Un bateau transmis de génération en génération qui permettait d’aller pêcher et de vivre décemment pour un artisan. Malheureusement, cette tradition familiale appartient désormais à l’histoire, la pêche industrielle est passée par les côtes maltaises comme à travers les mers et les océans du monde entier et les prises deviennent toujours plus maigres.

L’Union européenne a édicté des règlements pour protéger la faune marine, règlements qui ne sont pas respectés par ceux qui peuvent payer des fonctionnaires tatillons mais facilement corruptibles et corrompus, plus intéressés par leur propre bénéfice que par la sauvegarde des espèces maritimes. Pour les petits pêcheurs, la fin de leur métier est une menace qui prend de l’ampleur, synonyme de la mort annoncée des « luzzu » qui sonne le glas des petits pêcheurs comme de la faune et de la flore qu’ils défendaient.

Alex Camilleri, cinéaste originaire de Malte et basé aux États-Unis, connaissait peu le domaine de la pêche à Malte avant de tourner Luzzu, qui est son premier long-métrage, il confie à ce sujet :

« La beauté de ce monde traditionnel m’inspirait. Lorsque j’ai commencé mes recherches, j’ai compris que les histoires de famille, de destin et de sacrifice étaient très présentes dans la vie des pêcheurs. »

Alex Camilleri revendique l’influence des œuvres de Vittorio De Sica, de Luchino Visconti et de Roberto Rossellini :

« Je suis particulièrement ému par ces films, qui offrent non seulement une expression artistique mais une démarche éthique en témoignant de la vie de personnes ordinaires, l’utilisation de non-acteurs et le tournage dans des lieux réels. »

S’inscrivant pleinement dans le réalisme, le film d’Alex Camilleri représente parfaitement le « docu réel », de plus plus usité au cinéma, qui permet de garder toute sa force d’évocation. Le réalisateur a choisi dès le départ de confier les rôles principaux à des amateurs afin de rendre son récit plus authentique. Il a trouvé ses comédiens non professionnels à Għar Lapsi, un petit hameau de pêcheurs dans le sud de l’île, d’où cette impression de véracité qui imprègne tout le film.

À travers les obstacles que Jesmark rencontre, Alex Camilleri emmène le public dans des univers qu’il ne soupçonnait pas auparavant : celui de la pêche traditionnelle à Malte, mais aussi le fonctionnement de l’industrie des produits de la mer au sens large, y compris les économies parallèles de la contrebande, du sabotage et même de la « fraude au poisson », comme le montre le film en passant par la traditionnelle vente à la criée. Dans la langue du film, le maltais, on retrouve les diverses sonorités des influences qu’a connues l’ile : les Italiens, les Anglais et surtout les Arabes.

Volontairement, Alex Camilleri a voulu s’éloigner de l’image de carte postale de Malte avec ses hôtels et ses plages pour touristes en insérant la réalité méconnue, voire insoupçonnée, des travailleurs en provenance d’Asie du Sud et du Sud-Est. Durant la projection de Luzzu, on songe à d’autres mers dont les pêcheurs artisans connaissent le même sort : les côtes sénégalaises, le Sud-Ouest de l’Hexagone, La Manche et la Mer du Nord, en autres… Ces tristes exemples sont, malheureusement, de plus en plus nombreux.

Vous pouvez vous immerger dans l’univers de Luzzu et de ses pêcheurs artisans en voie de disparition puisque le film d’Alex Camilleri sort sur les écrans romands ce mercredi.

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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