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Mémoires d’un escargot (Memoir of a Snail) d’Adam Elliot – Une comédie douce-amère en stop-motion

Contrairement à ce que pourrait suggérer le titre, il ne s’agit pas d’un biopic d’escargot, mais bien de celui de Grace Pudel. Elle partage avec un escargot nommé Sylvia l’histoire de sa vie, marquée par des ruptures et la solitude, mais aussi ponctuée d’événements cocasses.

Mémoires d’un escargot (Memoir of a Snail) d’Adam Elliot
© Pathé Films AG

Tout commence dans les années septante. Après la mort de leur mère lors de l’accouchement, Grace et son frère jumeau, Gilbert, sont élevés par leur père, un Français qui avait émigré en Australie par amour, un ancien jongleur aimant mais alcoolique, devenu paraplégique. Malgré ces circonstances difficiles, les deux enfants s’efforcent de vivre une enfance heureuse, bien que marginale et solitaire, ponctuée de moments joyeux dans leur cocon familial. Mais un jour, la mort de leur père bouleverse leur existence. Les jumeaux sont brutalement séparés : Gilbert est envoyé à l’autre bout de l’Australie dans une famille appartenant à une secte religieuse qui l’accueille uniquement pour l’exploiter, tandis que Grace est placée chez un couple très centré sur son propre épanouissement, peu enclin à l’aider à surmonter ses difficultés. À l’école, Grace subit les moqueries en raison de la cicatrice laissée par l’opération de sa lèvre fendue.

Au fil du temps, Grace, passionnée de lecture et collectionneuse d’escargots depuis toujours, fait la rencontre de Pinky, une octogénaire excentrique. Cette rencontre l’aidera à sortir de sa coquille, qui, bien qu’elle la protège des heurts du monde extérieur, freine le développement de sa vie de jeune femme.

Le stop-motion est une technique d’animation traditionnelle en pâte à modeler, exigeante en temps, où chaque accessoire, chaque élément de décor, et chaque personnage sont fabriqués à la main. Près d’un an a été nécessaire pour concevoir les 7 000 objets requis pour le projet, grâce à une équipe de concepteur·trices. Des centaines de bras, de globes oculaires et de bouches ont été minutieusement confectionnés de manière artisanale, puis animés par les meilleurs animateur·trices de stop-motion d’Australie, qui ont passé des milliers d’heures dans l’obscurité à déplacer les personnages image par image. Sans recours à aucun effet visuel, le chef opérateur Gerald Thompson et son équipe ont éclairé plus de 200 décors en 33 semaines de tournage, apportant également leur soutien aux animateur·trices pour orchestrer les 135 000 prises de vue indispensables au film. Le résultat est époustouflant, et le public s’immerge complètement dans cette histoire tragi-comique, débordante d’excentricité, de malheurs accumulés, mais aussi de séquences hilarantes, ironiques, et d’humour noir.

La vie de Grace Pudel est un concentré dans lequel chacun·e peut retrouver des éléments de sa propre existence. Cet effet miroir bouleversant nous fait à la fois rire et pleurer, parfois simultanément. Il confère à cette épopée une authenticité renforcée par la minutie avec laquelle les personnages sont dépeints, leurs petites manies et particularités résonnant inévitablement avec les spectateur·trices.La structure et la richesse de ces tranches de vie qui défilent devant nos yeux permettent une identification ou une auto-reconnaissance parfois déroutante, tant on ne s’y attend pas.

Ode à la marginalité et à la différence, Mémoires d’un escargot célèbre la vie à travers ses failles et ses cicatrices, réintroduisant la beauté au-delà des canons traditionnels et reléguant la perfection à sa superficialité. Le film se distingue par une cohérence magistrale entre la narration, la réalisation et son esthétique, loin de la lissitude parfaite des studios hollywoodiens. « Ce film a été fait par des êtres humains », peut-on lire dans le générique de fin. Il est également destiné aux êtres humains, dont la vie et la mort avancent de pair, inscrites dans le cycle des vivants.

D’Adam Elliot; voix originales: Sarah Snook, Jacki Weaver, Eric Bana, Kodi Smit-McPhee, Dominique Pinon, Magda Szubanski, Nick Cave; 2024; Australie; 94 minutes.

Malik Berkati

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