Mostra 2023 : Photophobia, d’Ivan Ostrochovský et de Pavol Pekarčík, et présenté aux Giornate degli Autori, sonde l’enfance confrontée à la guerre au cœur du siège de Kharkiv
Le duo slovaque composé d’Ivan Ostrochovský et de Pavol Pekarčík a réalisé un fillm pendant le siège de Kharkiv, portant essentiellement leur caméra sur deux enfants qui se cachent dans le métro et nous transmet un portrait de l’Ukraine déchirée par la guerre de manière unique, à hauteur d’enfant.
Le 24 février 2022, les médias et les journaux télévisés du monde entier annonçaient l’invasion de l’Ukraine par la Russie par voie aérienne, maritime et terrestre. Les images diffusées ou publiées choquaient. Depuis, l’effroi initial a cédé sa place à l’accoutumance. Internet et les chaînes de télévision nous livrent majoritairement des scènes extérieures de bâtisses détruites comme un hôpital, un opéra, un théâtre. Photophobia apporte un regard nouveau, unique, en immersion aux côtés des Ukrainiennes et des Ukrainiens de tous âges réfugiés dans le métro de Kharkiv.
Deux des trois cinéastes à l’origine du triptyque documentaire primé Velvet Terrorists (2013), Ivan Ostrochovský et Pavol Pekarčík sont arrivés en Ukraine avec un convoi d’aide humanitaire au printemps 2022 et y ont passé quatre mois de tournage avec des pauses. Dès le début, le tandem était conscient que l’attention du monde serait principalement concentrée sur les événements survenus sur les champs de bataille. Ils ont opté pour filmer des images de la vie quotidienne des gens ordinaires, une vie qui se poursuit dans une sorte de temps suspendu, avec des préoccupations quotidiennes comme se procurer des aliments, les cuisiner, partager le repas, prendre soin des plus vulnérables telles les personnes âgées. Ivan Ostrochovský et Pavol Pekarčík ont pris soin de préserver les personnes filmées, sans jamais sombrer dans un voyeurisme malvenu, en dénotant une immense empathie à leur égard, y compris dans les moments de vulnérabilité qui démontre une véritable et profonde humanité dans une époque d’horreur dévastatrice absolue. Déterminés à capturer les expériences quotidiennes des gens ordinaires, le duo est parvenu à dépeindre des moments d’humanité authentique dans le but de dépeindre des moments d’humanité authentique au milieu de la peur et de la terreur.
À Kharkiv, Ivan Ostrochovský et Pavol Pekarčík ont découvert des enfants cachés dans le métro pendant deux mois. Entassées dans une promiscuité qui n’altère pas la solidarité, des familles entières se partagent les couloirs du métro, mais aussi les wagons immobilisés et les rails devenus sûrs. Cela donne lieu à des scènes insolites et cocasses où un couple cuisine sur une plaque de réchaud posée sur les barrières de contrôle des billets, une mère de famille cajole ses enfants couchés avec coussin et édredon sur les banquettes des wagons ou encore une femme est assise sur les rails pour passer un long coup de téléphone. Car début avril 2022, quand Ivan Ostrochovský et Pavol Pekarčík arrivent à Kharkiv pour entamer leur tournage, la menace d’encerclement de la ville était imminente. Personne ne sait ce que les semaines à venir réservent. Cependant, une certitude est connue de toutes et tous : la probabilité que les enfants sortent de l’abri du métro est minime. Le duo slovaque descend donc avec sa caméra dans une station de métro et raconte la guerre du point de vue de deux enfants qui, au fils des jours, sombrent dans l’apathie, le désespoir, la dépression. Une femme médecin (Tetiana Volodymyrivna Syrbu) se rend dans le métro et traite les enfants en leur demandant de prendre des notes de toutes leurs activités pendant une semaine afin de pouvoir en parler avec elle la semaine suivante.
Le projet d’Ivan Ostrochovský et de Pavol Pekarčík semble avoir permis aux enfants filmés de sortir de cette torpeur pour retrouver leur âme d’enfant en dessinant, en chantant, en partageant des éclats de rire et de la tendresse. Le duo de cinéastes démontre par les images que même dans des conditions aussi extrêmes et inhospitalières, la guerre ne peut pas effacer l’enfance des enfants et l’âme d’enfant que certains adultes ont conservé comme ce musicien vêtu en cowboy qui enchaîne les chansons en jouant de sa guitare (Vitaly Pavlovitch) en affichant un constant sourire.
Grâce à Photophobia, le public prend terriblement conscience de la réalité du conflit pour le peuple ukrainien : les couloirs où s’amassent les affaires des personnes, les matelas gonflables qui se jouxtent, les cabas où sont conservés les quelques maigres biens et habits donnent toute l’ampleur du drame qui se joue depuis de nombreux mois. Un demi-million de personnes s’entassent tant bien que mal dans le métro de Kharkiv qui ne doit pas être si grand puisqu’il ne comporte que deux lignes assez courtes. Les néons crus de la station deviennent l’unique lumière perpétuelle, celle du jour étant devenue symbole du danger extérieur.
Assumant un choix formel original, le duo propose un film dramatique hybride, se consacrant aux deux enfants et à leurs proches à travers des scènes de la vie quotidienne en sous-terrain dans le métro en les alternant avec des scènes effrayantes du monde à la surface, capturées en Super 8 mm. Ces cadres représentent des paysages ravagés par la guerre qui font un brutal rappel de l’effroyable réalité actuelle de l’Ukraine. Avec maestria, Ivan Ostrochovský et Pavol Pekarčík ont soigneusement juxtaposé l’existence intemporelle et dénuée de but dans le métro avec la vie à la surface de la terre, en proie aux ravages de la guerre.
Il ne reste plus qu’à souhaiter que cette coproduction entre la République tchèque, la Slovaquie et l’Ukraine, qui a eu droit un événement spécial à Venise, soit achetée par de nombreux pays, à commencer par la Suisse.
Firouz E. Pillet, Venise
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