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Mostra 2025 – Concorso : No Other Choice (Eojjeol suga eopda), de Park Chan-Wook, dépeint le monde impitoyable du travail sur un ton satirique

Pour son retour très attendu au Lido, le cinéaste coréen entre en compétition officielle avec l’adaptation du roman The Ax (Le Couperet, 1997), de Donald E. Westlake, un projet qu’il poursuivait depuis plus de vingt ans. Cette adaptation raconte la sombre histoire de Man-su, spécialiste de la fabrication de papier, fort de vingt-cinq ans d’expérience. Il est si satisfait de sa vie qu’il peut dire en toute honnêteté : « J’ai tout. »

No Other Choice (Eojjeol suga eopda) de Park Chan-Wook
Image courtoisie Mostra de Venise

Le film s’ouvre sur le père de famille en train de surveiller la cuisson de l’anguille qui grésille dans le barbecue tout en déclarant une flemme intacte à sa femme puis en appelant ses deux enfants pour les enlacer. En toute insouciance, Man-su coule des jours heureux avec sa femme, Miri, leurs deux enfants et leurs deux chiens, jusqu’au jour où son entreprise l’informe soudainement de son licenciement : « Nous sommes désolés. Nous n’avons pas d’autre choix. » La phrase tombe tel un couperet.

Avec l’impression d’avoir été décapité à coups de hache, Man-su se jure de trouver un nouvel emploi dans les trois prochains mois pour le bien de sa famille. Malgré sa détermination inébranlable à reprendre sa vie en main, il passe plus d’un an à enchaîner les entretiens d’embauche et finit par travailler dans un commerce de détail. Il risque de perdre la maison pour laquelle il a tant sué pour la payer. Désespéré, il se présente à l’improviste chez Moon Paper pour déposer son CV, mais est humilié par son supérieur, Sun-chul. Sachant qu’il est plus qualifié que quiconque pour travailler dans cette entreprise, il prend une décision : « s’il n’y a pas de poste vacant pour moi, je devrai me faire embaucher en le créant ».

Ce film s’inscrit parfaitement dans la filmographie de Park Chan-wook dont le thème récurrent qui imprègne son univers cinématographique est le « cercle vicieux de la violence ». Cependant, jusqu’à présent, ses films ont surtout porté sur des individus, essentiellement animés par des conflits et des ressentiments. Son nouveau film se distingue par sa violence socialisée plutôt qu’individuelle. En effet, le film explore la « mort sociale » d’une société capitaliste – licenciements et chômage. Le cinéaste recourt fréquemment à l’humour, sans doute pour désamorcer une violence qui semble de plus en plus intrinsèque à une société qui oublie les ressorts fondamentaux d’une harmonie sociale et d’une cohésion.

Mais la loi du marché est impitoyable … Face à cette réalité qu’il ne soupçonnait pas avant son licenciement, Man-su décide d’éliminer ses concurrents potentiels sur le marché du travail. Sous la plume de Park, qui a écrit le scénario avec Lee Kyoung-mi, Don McKellar et Jahye Lee, l’intrigue se transforme en un thriller sombre et grotesque, une satire féroce sur la précarité de l’emploi, la survie et un système qui dévore ceux qui restent, qui tentent de rester vaille que vaille. La noirceur d’un tel univers est mise en relief par la photographie de Kim Woo-hyung qui égaye, par moments, la bande-son pop coréenne signée Cho Young-wuk, en créant un contraste bienvenu.

Park Chan-wook explique le choix de la nouvelle à l’origine de son film :

« Il y a quelque temps, j’ai lu un roman intitulé Le Couperet. Je l’ai choisi parce qu’il était écrit par Donald E. Westlake, l’auteur du roman qui a inspiré Point Blank (2019), l’un de mes films préférés de tous les temps. En le lisant, je me suis identifié au protagoniste : un homme qui considère la production de papier comme sa vie, que le monde le reconnaisse ou non. Je ressens la même chose pour le cinéma : c’est pourquoi j’ai facilement compris un personnage qui croit qu’il existe une certaine façon pour un soutien de famille, et pour un homme, d’être et de vivre en conséquence. Après tout, je suis moi aussi un homme de famille.  Mais à l’époque, j’étais loin de me douter qu’il me faudrait vingt ans pour réaliser ce film. »

La distribution qui comporte des talents de renom comme Lee Byung-hun e Son Ye-jin, insieme a Park Hee-soon, Lee Sung-min, Yeom Hye-ran, Cha Seung-won e Yoo Yeon-seok reflète la puissance internationale du cinéma coréen, déjà présent dans les grands festivals ces dernières années.

Avec No Other Choice, Park revient non seulement au Lido après le succès mondial de Decision to Leave (2022), mais surtout en proposant à la compétition une réflexion lucide, troublante, mais aussi dérangeante sur notre époque, sur la manière dont on prend et on jette les personnes dans un consumérisme qui touche toutes les strates de la société, sans considération ni ménagement. Avec ce film, Park Chan-wook aborde diverses thématiques comme la déshumanisation du travail au nom de la sacro-sainte rentabilité, la peur et la menace du licenciement comme joug symbolique pour obtenir une absence de revendications des employé.es et un investissement total qui vire à la dévotion, mais aussi la résistance, transformant le désespoir en tragédie grotesque, le tout traité sur un ton sarcastique.

No Other Choice se place comme l’un des titres emblématiques dans la course au Lion d’or de la Mostra 2025.

Firouz E. Pillet, Venise

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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