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Pessac 2024 : Sarah Bernhardt, La Divine, de Guillaume Nicloux, livre un portrait convaincant de Sarah Bernhardt et de son époque

Avec Sarah Bernhardt, la Divine, Guillaume Nicloux nous entraîne dans l’effervescence artistique de Paris, en 1896. Sarah Bernhardt est au sommet de sa gloire. Icône de son époque et première star mondiale, la comédienne est aussi une amoureuse, libre et moderne, qui défie les conventions et ne met aucune limite à ses expériences en tous genres. Le cinéaste nous incite à partir à la rencontre de la femme derrière la légende, porté par la prestation grandiloquente et extravagante de Sandrine Kiberlain qui semble s’être régalée dans ce rôle.

— Sandrine Kiberlain – Sarah Bernhardt, La Divine
Image courtoisie Festival international du film d’histoire de Pessac

Sarah Bernhardt, la Divine est le premier véritable long-métrage en France qui soit consacré à la comédienne de renom, ce qui peut surprendre vu sa notoriété et de son statut de mythe. Même constat Outre-Atlantique où seul Richard Fleischer s’est intéressé à sa vie en signant en 1976 The incredible Sarah.

Avant de porter la vie de la comédienne sur grand écran, le cinéaste ne connaissait guère sa biographie mais a pu compter sur la passion et les connaissances de la scénariste Nathalie Leuthreau. Voulant se démarquer des biopics tellement courus actuellement, le cinéaste se consacre aux moments charnières de la carrière de Sarah Bernhardt durant trois décennies en mettant en exergue deux éléments clefs de sa vie comme il le souligne  :

« Nous avons progressivement dégagé deux axes parmi la folie et le tourbillon que fut sa vie : la journée de son jubilé et l’amputation de sa jambe. Pour s’atteler à ce monstre sacré, nous avons rapidement éliminé l’obligation du biopic réaliste et du récit totalisant. Paradoxalement, les deux moments clé que l’on a choisis sont peu documentés. »

Portée par le jeu haut en couleurs de Sandrine Kiberlain, Sarah Bernhardt prend vie devant nos yeux, entre sautes d’humeur, crise d’hystérie, théâtralité et moments passionnés. bref, une véritable tragédienne !

Sandrine Kiberlain a déjà incarné des artistes sur grand écran dans Violette (2013) de Martin Provost avec Emmanuelle Devos, film dans lequel elle campait Simone de Beauvoir. À ses côtés, on retrouve Laurent Lafitte qui incarne ici Lucien Guitry, un acteur des années 1890 et père du célèbre Sacha, avec qui Sarah Bernhardt aurait vécu une grande passion amoureuse malgré les seize ans qui les séparaient, l’actrice étant plus âgée que lui.

Guillaume Nicloux nous dévoile avec un plaisir tangible la galerie des nombreux amants et des nombreuses maîtresses de la Divine, en égrainant leurs noms, de Victor Hugo, le Prince de Galles, Gustave Doré, Edmond Rostand, Mounet-Sully, Robert de Montesquiou, Léon Gambetta, Aristides Damala, parmi tant d’autres. Louise Abéma, la meilleure amie-amante de Sarah Bernhardt, d’une fidélité déconcertante, est campée avec justesse et sobriété par Amira Casar. Guillaume Nicloux a choisi de mettre en lumière son côté iconoclaste et sulfureux, qui a fait d’elle une femme très en avance sur son temps. Le cinéaste immerge son public dans ces soirées mondaines qui semblent vivre hors du temps, en ignorant les séquelles laissées par la guerre de 1870 contre l’Allemagne.

D’après les nombreux documents d’archives, Sarah Bernhardt avait une manière très particulière de jouer, qui suscitait l’engouement à l’époque, mais qui aujourd’hui peut paraître exagérée. Évitant une pâle imitation, Sandrine Kiberlain réinvente la comédienne en évitant la caricature tout en forçant quelque peu le trait de manière à ce qu’on comprenne pourquoi elle fascinait autant, pourquoi le public était bouleversé, pourquoi des femmes et des hommes s’évanouissaient dans la salle, ce qui amusait grandement Sarah Bernhardt.

Le cinéaste précise pourquoi le film s’ouvre sur ce qui semble être le dernier soupir de la comédienne :

« Pour asseoir un jeu intériorisé, on a donc commencé par une scène d’agonie, elle les adorait, où l’on peut se laisser prendre au leurre, pour installer définitivement l’engagement qu’elle mettait dans ses rôles. »

Les puristes aguerris et les yeux aiguisés constateront quelques anachronismes qui émaillent le film, un choix volontaire et assumé du cinéaste qui place, dans l’appartement de Sarah Bernhardt des tableaux de Monet ou de Munch qui, à l’époque, n’ont pas été encore peints. De même, la majorité des lieux dans lesquels elle se rend possèdent l’électricité, pourtant peu répandue en 1885. Pour celles et ceux qui s’en indigneraient, le cinéaste explique que la véracité ne l’obsède pas dans son processus de création. On peut aussi tolérer ces incartades en invoquant la licence poétique…

La distribution de Sarah Bernhardt, La Divine compte pas moins de quatre acteurs issus de La Comédie-Française : Laurent Stocker qui interprète Pitou, un employé de maison dévoué et corvéable à souhait, Sébastien Pouderoux qui incarne Samuel Pozzi, le médecin qui amputera la jambe de la comédienne qui le persécute avec ses demandes fantasques qu’il lui greffe une queue de panthère, Clément Hervieu-Léger qui incarne Georges Clairin, un des amants de la Divine, et bien sûr, Laurent Lafitte.

Pour l’anecdote, Sarah Bernhardt a aussi fréquenté l’institution française qu’elle a intégrée en 1862 à l’âge de dix-huit ans, avant de claquer la porte suite à une violente dispute avec une autre actrice, Zaïre-Nathalie Martel dite Mademoiselle Nathalie. Sarah Bernhardt sera rappelée par La Comédie-Française plus tard, dans les années 1870.

Les défenseurs des animaux seront surpris, voire choqués, de constater que des animaux font partie de la distribution bien malgré eux. Le film a d’ailleurs suscité des polémiques et de vives réactions : alors que le long-métrage était présenté en avant-première à Alès, l’association de défense des animaux Paz a critiqué l’utilisation d’un lynx et d’un serpent dans le film, qui seraient « soumis à des conditions de vie incompatibles avec leurs besoins naturels en termes d’espace, de stimulation physique, et d’interactions sociales », selon l’association. À l’heure où les images de synthèse permettent d’incroyables prouesses, un tel choix questionne.

Sarah Bernhardt sort prochainement sur les écrans romands.

Firouz E. Pillet

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