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Peter K. Seul contre l’État : Laurent Wyss raconte les événements qui ont conduit à l’extraordinaire chasse à l’homme à Bienne de 2010, du point de vue du pourchassé

Qui est Peter K. ? Tout le monde en Suisse en a entendu parler, mais combien peuvent dire de qui il s’agit lorsque l’on ne mentionne que son nom ? Il a fait la Une des journaux pendant des jours en 2010 et, une fois n’est pas coutume, des deux côtés de la Sarine. En Suisse romande, on parlait du « forcené de Bienne », en Suisse alémanique du « Amok-Rentner » (que l’on pourrait traduire par « le retraité fou furieux ») en Suisse italienne « il forsennato di Bienne ». Étiqueté, Peter Kneubühl prend dès lors, dans l’imaginaire collectif, les traits de son surnom médiatique et perd de sa substance d’être humain.

— Manfred Liechti – Peter K. Seul contre l’État (Peter K. – Alleine gegen den Staat)
Image courtoisie Aardvark Film Emporium

Dépossédé, il l’est de nombreuses fois. C’est peut-être là d’ailleurs qu’il faut chercher son comportement dit asocial, et ses penchants paranoïaques. Au moment où Laurent Wyss entame le récit, Peter Kneubühl (Manfred Liechti, nommé pour ce rôle aux Prix du cinéma suisse 2023 – Quartz 2023 qui seront décernés le  24 mars 2023) va l’être de sa maison, seul lieu d’ancrage dans sa propre histoire. Lors de son procès, il va l’être de sa psyché, analysée par une experte de manière péremptoire : la psychiatre (Stefanie Günter Pizarro), indique que le prévenu distingue le bien du mal, que dans ce sens, il est responsable, mais que sa réhabilitation sociale est impossible et se prononce pour un internement psychiatrique. Kneubühl est ulcéré par cette expertise, selon lui, ses actes suivent une logique de cause à effet doublée d’un réflexe d’auto-défense. Les juges vont lui donner le coup d’estocade en le jugeant inapte à revenir dans la société, lui promettant ainsi d’errer dans les limbes de la vie, sans sentence et donc horizon de sortie.

La perspective prise par le réalisateur, qui avait suivi l’affaire en 2010, alors qu’il était encore journaliste à TeleBielingue, est celle de son protagoniste marginalisé. La fascination manifeste qu’il a pour Peter Kneubühl se reflète à l’écran et, même s’il n’occulte pas son côté dyssocial, ce sont bel et bien les dysfonctionnements de l’appareil d’État face à un citoyen anticonformiste et réfractaire qui sont pointés. Laurent Wyss déconstruit les murs du labyrinthe qui forment le couloir étroit dans lequel, inévitablement, les deux parties vont se perdre, chacune à partir d’une entrée opposée, avant de se collisionner frontalement. Sauf qu’ici, la collision est l’équivalent de celle d’un piéton avec un camion 32 tonnes.

Peter Kneubühl, après avoir passé de nombreuses années à l’étranger, dans des communautés rurales, revient à Bienne pour s’occuper de sa mère jusqu’à sa mort. La seule personne avec laquelle il garde un contact régulier est sa tante Susie (Sibylle Brunner) à laquelle il écrit et rend visite dans son EMS une fois par mois. La relation est jolie, malgré les signes évidents d’une maladie dégénérative cognitive, sa tante est la seule personne pouvant calmer, ne serait-ce que quelques instants, ses bouffées paranoïaques. C’est que le retraité se trouve dans un conflit d’héritage avec sœur qui veut vendre la maison familiale. Il reste reclus chez lui, ne sort que lorsque cela est nécessaire, si possible la nuit, évite les caméras de surveillance. Tout lui est hostile, même la voisine qui taille ses haies, « pour mieux pouvoir regarder chez lui », écrit-il à la main dans un de ses cahiers où il consigne tout, l’heure et le nombre de degrés de température compris. La dispute avec sa sœur, à laquelle il ne peut pas parler – elle habite en France et ne communique avec lui qu’à travers son avocat, finit par une décision de mise aux enchères du bien. Sa plus grande peur devient réalité, renforçant son sentiment d’une conspiration à grande échelle contre lui.

S’ensuivent le siège de la maison par des forces spéciales de police, la tentative de s’échapper, ce qu’il réussit, mais en blessant grièvement un policier au passage, et une cavale de 9 jours qui tient toute la Suisse en haleine.

Peter K. Seul contre l’État (Peter K. – Alleine gegen den Staat) de Laurent Wyss
Image courtoisie Aardvark Film Emporium

Les choses auraient-elles pu se dérouler autrement ? Et si les autorités avaient agi avec la volonté de mettre en place des mécanismes de conciliation, impliquer d’autres services que ceux de la répression policière et de la justice, aurait-on pu éviter le drame ? Difficile à dire, tant Peter Kneubühl est méfiant et résistant au monde tel qu’il le voit évoluer. Ceci d’autant plus qu’un aspect sombre de son histoire familiale est révélé lors du procès – encore un élément dont il a été dépossédé, probablement par lui-même dans un schéma d’auto-protection amenant au déni. Laurent Wyss adopte l’idée émise lors du procès que cet élément est fondateur dans sa pathologie antisociale et l’exprime avec une dernière séquence extrêmement cinématographique, bouleversante dans son signifié.

De Laurent Wyss; avec Manfred Liechti, Sibylle Brunner, Stefanie Günter Pizarro, Hanspeter Bader ; Suisse ; 2021 ; 99 minutes.

Malik Berkati

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