Sortie romande de Mother Teresa & Me, du cinéaste helvético-indien Kamal Musale
Mother Teresa & Me, du cinéaste helvético-indien Kamal Musale, entrelace la destinée de Mère Teresa et à celle d’une femme londonienne d’origine indienne, toutes deux si différentes et pourtant si similaires. Kamal Musale, qui s’est formé à la National Film and Television school située dans les studios de Beaconsfield, dans le Buckinghamshire, a réalisé plus de trente films : longs métrages, documentaires et courts métrages dont Curry Western (2018) pour lequel nous l’avions rencontré. C’est sur la suggestion de Jacqueline Fritschi-Cornaz qui avait envie qu’un film soit réalisé sur Mère Teresa qu’elle admirait pour son parcours inébranlable malgré le peu de soutien qu’elle a reçu.
Kamal Musale entraîne à nouveau son public en Inde, en partant de l’Angleterre, sur les pas de Kavita (Banita Sandhu) qui est née en Inde, à Kolkata (anciennement Calcutta) et dont les parents ont déménagé avec elle en Occident alors qu’elle n’avait que deux ans. Dorénavant dans la vingtaine et violoniste classique de formation, Kavita est toujours rebelle et assume pleinement cette rébellion en déclinant le mariage arrangé par ses parents au grand dam de ces derniers comme de la belle-famille potentielle. Pour s’appuyer sur la destinée de Mère Teresa, interprétée par Jacqueline Fritschi-Cornaz, et la rendre pertinente à la lunette de lecture contemporaine, Kamal Musale a élaboré Kavita, dont le prénom signifie poème, qui éprouve des émotions similaires à celles de la religieuse : le sentiment de rejet, l’incompréhension, les désillusions, le besoin existentielle de donner un sens à sa vie.
Ainsi, tout au long de la narration, le cinéaste entremêle de manière symbiotique les deux destinées : celle de Mère Teresa quand elle décide de quitter le couvent afin de partir en Inde pour fonder son propre ordre, les Missionnaires de la Charité, pour aller à la rencontre des pauvres, des rejetés, des parias d’une part et, d’autre part, celle d’une jeune femme moderne, non chrétienne, non pratiquante. Soulignant au fil du récit de nombreuses similitudes entre ces deux femmes malgré la différence d’époques, le cinéaste intensifie les deux parcours dès que Kavita part en Inde, accueillie par sa tante (la solaire Deepti Naval) après avoir perdu son amoureux, celui qu’elle croyait être son âme sœur alors qu’elle est enceinte … Un bouleversement qui déclenche une remise en question existentielle.
Kamal Musale montre combien, convaincue que l’amour était la réponse à la misère, Mère Teresa était persuadée que donner de l’amour à son prochain permettait, en commençant par des actions simples avec les personnes proches de soi, de vivre dans l’amour de Dieu. Il développe une facette oubliée, voire ignorée de la majorité : la perte de la foi de Mère Teresa que seule une poignée de confesseurs connaissaient, choisissant d’éviter un biopic et de survoler le moment à partir duquel celle qui est encore Sœur Teresa entend l’appel de Jésus tout comme ses premières années de travail dans le bidonville. Comme le souligne le réalisateur, ces lettres adressées par Mère Teresa à ses confesseurs devaient être détruites à sa mort, mais sa requête n’a pas été exaucée quand le Vatican y a accédé en vue de sa canonisation. Kamal Musale insiste sur la désillusion et à la prise de conscience de Mère Teresa de la perte de sa foi, par conséquent de toutes les motivations qui animaient son engagement auprès des plus démunis et délaissés. Invitant les spectatrices et les spectateurs à plonger aux côtés de la religieuse en proie au doute permet au public de ressentir les émotions vécues par Mère Teresa.
Kavita vit des émotions similaires à celles de MèreTeresa et si le trouble survient alors qu’elle lit les lettres qui confessent le manque de foi de Mère Teresa, elle se retrouve à la fois étonnée par la douleur et la perte de foi de la religieuse mais aussi admire sa détermination, ce qui offre à la jeune femme des réponses à ses questionnements et une voie à suivre face à ses doutes. Le soin particulier qu’apporte Kamal Musale à l’image met en exergue les similitudes entre ces deux destinées en jouant sur les luminosités, passant du sépia à la couleur pour l’une, de la sursaturation à des couleurs normales pour l’autre.
Kamal Musale aborde diverses thématiques dont l’identité ou l’identification à une culture, à un pays, une thématique très importante pour cet homme né d’une mère suissesse et d’un père indien qui, comme il le mentionne, n’avait pas de référence dans son enfance et dans son adolescence « puisque les étrangers de l’époque étaient les Italiens et les Espagnols. »
Sans déflorer le film, on peut mentionner que lorsque Kavita découvre le secret de son origine, elle s’effondre, submergée par l’amour, un sentiment contre lequel elle s’est protégée pendant de nombreuses années, un sentiment qui lui permet de donner de son empathie et de sa compassion aux personnes qui en ont besoin. Pour donner un sens à sa vie, Kavita se met à travailler dans la Maison des mourants créée par Mère Teresa. Kavita, jeune femme occidentale et instruite éprouve alors des sentiments ambivalents face à cette misère, faite de maladie et de mort.
Pour soutenir ces deux histoires qui s’entrecroisent, Kamal Musale a fait appel à plusieurs compositeurs : il retrouve Annick Rody et la violoniste suisse Laurence Crevoisier qui avait composé la musique de Curry Western. L’une a écrit pour Teresa, la seconde pour Kavita. Pour la dimension épique du film, le cinéaste a sollicité le compositeur anglais Walter Mair, qui compose des musiques pour Hollywood et pour des studios anglais. Pour exprimer la dimension invisible, Kamal Musale a recouru à la musique électronique de Peter Scherer qui travaille avec des orchestres.
Firouz E. Pillet
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