The Last Showgirl, de Gia Coppola, signe le retour en grâce de Pamela Anderson qui interprète une vedette de cabaret à la carrière crépusculaire
Après avoir été malmenée pendant des décennies par la presse, l’actrice canadienne Pamela Anderson fait son retour sous les projecteurs dans un rôle radical qui dénonce la mise au rebut des femmes matures dans l’univers artistique.
Image courtoisie Filmcoopi Zurich
The Last Showgirl suit le quotidien de Shelly, une danseuse de cabaret expérimentée, qui doit faire face à l’incertitude de son avenir lorsque son spectacle à Las Vegas est brusquement interrompu, après trois décennies à l’affiche. Alors que la revue s’arrête, la réalité des danseuses est brutale : pas de retraite, d’assurance-chômage, une précarité inévitable. L’heure du bilan sonne avec sa kyrielle de doutes, d’angoisses, de coups de blues.
Entre déclin et rebond, Shelly semble partager quelques similitudes avec son interprète. Danseuse dans la cinquantaine rayonnante, à la plastique sculpturale, Shelly cherche une nouvelle voie professionnelle en passant des auditions dont elle est immédiatement recalée vu son âge et peine à trouver quelle suite donner à sa carrière. Shelly a d’autres tracas dans sa vie : en tant que mère, elle cherche à réparer une relation houleuse et lacunaire avec sa fille, qui a souvent été reléguée au second plan par rapport à sa vie et sa famille d’artistes.
The Last Showgirl est l’adaptation d’une pièce de théâtre écrite par Kate Gersten, une pièce intitulée Body of Work, qu’elle avait écrite dix ans plus tôt alors qu’elle était étudiante à Julliard et qu’elle adapte ici pour le film de Gia Coppola.
Vu son patronyme, on se doute que la cinéaste appartient à la grande dynastie des Coppola : en effet, Gia est la petite-fille de Francis Ford et la nièce de Sofia. Digne héritière de cet héritage artistique, elle affiche une filmographie en pleine expansion. Après deux premiers longs métrages sur la jeunesse – Palo Alto, Teen Movie sorti en 2014, puis Mainstream en 2020 -, la cinéaste se penche sur une autre Amérique, quelque peu oubliée, à travers l’histoire de Shelly.
Quand Coppola a lu la pièce, elle a été séduite par la relation mère-fille et par le cadre du récit, en particulier l’univers de ces danseuses et de ce spectacle, attraction emblématique de Las Vegas dont le succès et la réputation provenaient de son haut degré de maîtrise et de sophistication. Avec son film, la cinéaste met en exergue comment notre société passe à la trappe ce qu’elle juge désuet ou obsolète. Aujourd’hui disparu de l’offre de divertissements de la ville, le sort de ce spectacle mythique symbolise, de manière métaphorique, tout ce que notre culture contemporaine met au rebut, qu’il s’agisse d’êtres humains, d’architecture, de culture, et tant d’autres choses.
Le choix du décor du film amène Gia Coppola à faire de Las Vegas un protagoniste à part entière. En plein désert, la « ville du péché », haut lieu de perdition et de vices, bénéficie d’un ciel bleu immaculé de tout nuage et où le soleil ardent éblouit le jour, supplanté par les néons colorés la nuit. C’est dans cette ville qui semble un mirage, voire une oasis de vie trépidante, au milieu du désert, qu’officie cette meneuse de revue, ancienne vedette du Razzle Dazzle, un show burlesque démodé qui n’attire plus grand monde. Pour dépeindre ce cabaret au public clairsemé, Gia Coppola fait le choix subtil et judicieux de ne jamais nous montrer ce spectacle et laisse à notre imagination la liberté de l’imaginer grâce aux confidences des artistes sur leur carrière et sur leur vie depuis les coulisses ainsi qu’à travers leurs épanchements sur ce glas inattendu qui sonne la fin la revue.
D’aucuns peuvent se questionner sur le choix de Pamela Anderson pour incarner le rôle principal de ce film. Inévitablement, quand on mentionne cette actrice, c’est son statut de sex-symbol international qui vient à l’esprit de la majeure partie des personnes, peut-être aussi sa carrière de Cover-girl pour Playboy. Certes, à d’époque, la gent masculine tombait en pâmoison devant ses mensurations parfaites, sa poitrine généreuse et la flavescente de sa chevelure, le tout servi par sa voix haut perchée qui lui donnait, et lui donne toujours, la naïveté d’une ingénue. Bref, la Canadienne était dotée de la palette des attraits susceptibles de séduire ces messieurs, d’autant plus quand, au début des années 1990, elle devient une secouriste altruiste, reconnaissable à son maillot de bain vermillon, dans Alerte à Malibu. Les années qui suivirent furent marquées par le recours effréné de Pamela Anderson à la chirurgie esthétique puis par un chantage à la sextape, deux incidents de parcours qui lui valurent d’être fustigée par les journalistes. Ce retour réussi et émouvant dans le rôle de cette danseuse permet à Pamela Anderson de prouver les variations de jeux dont elle est capable. Au fil de la projection, on réalise que, par beaucoup d’aspects, la vie de Pamela Anderson ressemble à celle de Shelly, celle d’une femme qu’il ne faut juger aux apparences et qui conserve une part d’optimisme quelles que soient les épreuves qui jonchent son chemin de vie. Shelly trouve toujours le moyen de voir le positif, conservant son sourire lumineux, comme on le voit dans ses retrouvailles avec sa fille Hannah (Billie Lourd), partie réussir sa vie loin de sa mère avant de revenir pour questionner sa mère sur son choix pour, peut-être, enfin la comprendre.
Quant au reste de la distribution le film réserve de belles surprises : la meilleure amie de Shelly, Annette (Jamie Lee Curtis), ne se laisse pas abattre par la fin de leur show et devient serveuse dans un bar. Serveuse, entre autres, puisqu’on la découvre dansant en petite tenue improvisée sur un podium de casino, se déhanchant voluptueusement sur la chanson Total Eclipse of the Heart (1983) de Bonnie Tyler. Une scène mémorable dont on regrette qu’elle ne dure plus longtemps ! À peine reconnaissable sous un casque de cheveux teints en rouge et des masses de fard à paupières scintillant, Jamie Lee Curtis offre une performance époustouflante. Parmi les morceaux de la bande-son, mentionnons que le film a également reçu une nomination aux Golden Globes pour la meilleure chanson originale pour Beautiful That Way de Miley Cyrus.
Autre personnage tout en subtilité et en nuances : Dave Bautista, dans le rôle d’Eddie, le régisseur du show et ancien amant de Shelly, qui interprète avec justesse et délicatesse un colosse tout en intériorité, maladroit et timide, au regard doux et bienveillant. La réalisatrice fait un travail très intelligent et concis en construisant ce monde, permettant une portée assez vaste, tout en limitant ce que nous voyons réellement à l’écran, laissant ainsi notre imagination galoper.
Filmé en pellicule 16 mm, un choix technique qui donne un grain d’image qui renforce la dimension intimiste de l’histoire, The Last Showgirl rend hommage à la classe artistique de Las Vegas avec une superbe galerie de performances. Le choix du 16 mm permet la mise en valeur d’une forme d’authenticité à travers les textures tout comme le choix de privilégier d’authentiques instruments de musique et non des sonorités issues de synthétiseurs. La ville est filmée de manière picturale avec ses ponts routiers désolés, ses autoroutes et ses néons scintillants qui apparaissent à peine tandis que l’horizon rougit.
Par le biais de cette fresque d’une corporation dont les coulisses sont méconnues, The Last Showgirl marque le retour triomphal pour une actrice qui, avec maestria, prend conscience de son âge et reprend le contrôle de sa carrière après des décennies de mauvaises critiques de la part de la presse comme du public.
Firouz E. Pillet
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