IFFR2022 – A Human Position d’Anders Emblem imbrique avec finesse l’intime et le collectif dans un tranquille mouvement cinématographique
Dans la ville portuaire norvégienne d’Ålesund, Asta (Amalie Ibsen Jensen) travaille en remplacement d’été pour le journal local, couvrant les événements qui ponctuent la vie somnolente de cette bourgade – l’équipe locale de hockey, une petite manifestation afin de préserver un bâtiment Art nouveau, l’économie des bateaux de croisière… Rien de bien passionnant pour cette jeune femme qui transporte en miroir le spleen de ce lieu. Lorsqu’elle tombe sur une brève qui relate l’expulsion d’un réfugié, Aslan, elle recommence à s’animer ; elle nous entraîne sur la piste de cet être invisibilisé, nous fait rencontrer des habitants de la région – le casting du film est un mélange d’acteurs, de non-acteurs et de personnes réelles –, dans ce processus, nous assistons à son tranquille retour à la vie.
La singularité du second film d’Anders Emblem (son premier long métrage, Hurry Slowly en 2018, avait également comme actrice principale Amalie Ibsen Jensen) réside dans sa simplicité, dans le sens noble du terme, sa grammaire cinématographique qui vient étayer l’économie de moyens narratifs qui suggère les choses au lieu de les démontrer. Le cinéaste ouvre les portes de la vie d’Asta et de son amie Live (Maria Agwumaro) avec beaucoup de tact et de pudeur, ce n’est même qu’au trois-quarts du film que l’on aperçoit dans sa chair l’élément qui donne à Asta cet air mi-absent mi-perdu qui l’habille. La photographie, signée Michael Mark Lanham, positionne le cadre de manière très géométrique, ce qui permet de raconter les espaces fermés, semi-fermés, ouverts, les vides et les pleins, réflexion des espaces intimes. La topographie de l’environnement, avec ses larges plans répétés sur de longues rues vides et escarpées, sur la ville qui s’échoue dans la mer qui forme la ligne d’horizon, sur un bloc de bâtiment massif duquel ne transparaît aucun signe de vie exprime l’échelle dans laquelle la frêle silhouette d’Asta se meut dans la vie et embrasse l’ennui que dégage ce lieu assoupi. Sa condition intérieure se reflète dans les petits détails de sa vie, de son chat, de la direction de ses regards, de son attitude pensive, de sa vie quotidienne avec Live. Cette dépression latente est-elle en partie due à la pandémie ? On ne voit personne porter de masque, mais lorsqu’Asta se rend au siège du journal, elle se désinfecte les mains à un distributeur de gel hydroalcoolique ostensiblement placé dans le hall d’entrée. On n’en saura pas plus et chacun.e est libre d’interpréter cette atmosphère selon son ressenti, mais il est vrai que ce que dégage A Human Position donne un sentiment de familiarité, une sorte d’éther pandémique qui nous accable pendant de longues périodes répétées ces deux dernières années.
Loin du manifeste démonstratif, de la posture moralisatrice, Anders Emblem ouvre avec finesse un espace critique sur un des pays les plus riches du monde et dont la société tient pour acquis ses fondements sans plus les questionner. Lorsque Asta commence à enquêter sur le requérant d’asile, elle se confronte aux administrations, aux renvois de responsabilités, aux conditions d’accueil et de procédure. Elle qui, au début du film, optait pour une position plutôt fataliste et passive envers les engagements sociaux, pensant que ceux qui manifestaient avaient probablement raison mais que leur action ne servait à rien, se rend compte qu’elle n’arrive pas « à trouver la bonne position, la bonne approche » pour traiter le sujet, selon ses propres termes. A Human Position en somme ! Le rôle d’observatrice n’est plus suffisant, l’engagement personnel est parfois nécessaire pour, si ce n’est faire avancer les choses, du moins ne pas les voir reculer. Cette rencontre virtuelle avec ce requérant d’asile invisible, qui a existé mais qu’elle n’a jamais croisé, qui dans son individualité représente une thématique collective, redonne à Asta de la matière intellectuelle, de l’épaisseur corporelle, une présence physique et mentale, des étincelles qui la ramènent à la vie et à son amie.
Présenté dans la section Bright Future du Festival international du film de Rotterdam 2022.
De Anders Emblem; avec Amalie Ibsen Jensen, Maria Agwumaro, Lars Halvor Andreassen, Karoline Isaksen, Per Jan Vinje, Per Dagfinn Kvarsvik ; Norvège; 2022; 78 minutes.
Malik Berkati
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