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TIFF 2023 – Deux films allemands prennent la route pour raconter des histoires de familles qui ni ne s’écoutent ni ne s’entendent

Tout oppose ces deux films allemands présentés au Festival International de Toronto. L’un – Kein Wort (Not A Word) – est austère dans le jeu, les cadres, les lumières froides, l’autre – Arthur & Diana – est impulsif, extraverti et rayonne des couleurs chaudes de l’été. Tout sauf le fait que leurs protagonistes prennent la tangente pour essayer d’entrer en communication.

Kein Wort (Not A Word) de Hanna Slak

Dès le départ, le ton est donné: la mère dans une pièce, le fils dans l’autre, un drone d’appartement qui fait le lien entre les deux. Le fait que Lars (Jona Levin Nicolai) soit un adolescent, par essence (même si ce n’est pas une fatalité), amené à ne pas beaucoup parler à ses parents, est immédiatement identifié comme une condition non-suffisante, sa mère, la cheffe d’orchestre Nina Palcek (Maren Eggert), ambitieuse et dévouée à son art, apparaissant instantanément comme absorbée par le son qui tourne autour d’elle.

— Maren Eggert et Jona Levin Nicolai – Kein Wort (Not A Word)
© VOLTE

En pleine répétition de la Symphonie n°5 de Gustav Mahler, Nina Palcek doit se rendre d’urgence à l’hôpital où son fils a été admis après une chute d’une fenêtre de l’école. Tentative de suicide ou accident ? Telle est la question qui n’est jamais directement posée, tous les adultes (les parents, la directrice d’école) assénant à qui veut l’entendre, y compris Lars, que cela est un malheureux accident. Le mutisme de l’adolescent se double d’une impossibilité physique de parler : à chaque fois que sa mère lui pose une question ou essaye d’entamer la conversation, soit elle donne la direction de la réponse, soit son téléphone sonne ou bipe lorsque éventuellement Lars est prêt à prendre la parole.
Inquiète, Nina Palcek décide tout de même de reconnecter avec son fils, interrompt ses répétitions et part avec lui sur une île où ils ont l’habitude d’aller l’été, inhospitalière l’hiver. Un lent et long processus d’apprentissage, d’écoute et d’entente va s’amorcer.

Hanna Slak habille finement cette histoire somme toute conventionnelle des atours du film de genre, avec une atmosphère qui instille du suspense (l’adolescent qui opère une violence contenue contre lui-même est-il capable de violence contre autrui ? Quid de cette jeune fille de son collège retrouvée morte et qui fait la Une des tabloïds ? Lars qui joue avec les bords – des fenêtres, des quais, des falaises) et du mystère qui se cogne, comme les personnages, aux non-dits, aux presque-dits, aux dits qui explosent par intermittence sans passer par les canaux traditionnels de la communication.
La réalisatrice n’utilise pas la musique comme simple prétexte narratif appuyant le métier censé être de l’écoute et de la restitution des sons de la mère, la musique a également un rôle de commentaire du récit qui supplée l’hermétisme de tous les protagonistes les un∙es aux autres. La froide photographie de Claire Mathon fait écho à la froideur des protagonistes et commente également le récit, de la vie grise, triste et stressante en ville, sauvage et cathartique de l’île.

Cette cohérence maîtrisée et très (en)cadrée du film en fait un objet intéressant, même si un peu plus de souffle cinématographique de la part de Hanna Slak aurait donné plus d’ampleur à son film.

De Hanna Slak; avec Maren Eggert, Jona Levin Nicolai, Maryam Zare, Juliane Siebecke, Marko Mandić, Mehdi Nebbou; Allemagne, Slovénie, France; 2023; 87 minutes.

Arthur & Diana de Sara Summa

Changement total d’ambiance de cet étrange objet cinématographique qui mêle road-trip et auto-fiction à bord de la vieille Renault familial qu’un frère et une sœur se partage. Les deux protagonistes en question sont auto-interprétés, Sara Summa et son frère Robin Summa, auxquel∙les s’ajoute un autre membre de la famille, le fils de la réalisatrice Lupo Piero Summa. Cette histoire de famille nous entraîne sur les routes allemandes, françaises et italiennes dans un joyeux chaos qui cache de nombreux non-dits et de profondes blessures. La musique joue ici le rôle de courroie de transmission, un espace de repos, de réminiscence partagée, alors que les nombreuses discussions politico-sociologiques de café de commerce cachent les véritables enjeux intimes qui provoquent les frictions.

— Sara Summa – Arthur & Diana
Image courtoisie Festival International de Toronto

Le grain de la photographie de Faraz Fesharaki comme son format carré (MiniDV, Betacam et 16mm) laissent assez de flou pour superposer ses propres souvenirs de famille et officient comme petites madeleines de Proust de nos mémoires fragmentées. La bonne idée de Sara Summa est de proposer une image intemporelle qui n’est trahie que par très peu d’éléments, comme un portable utilisé comme GPS et la modernité de l’aéroport d’arrivée, le cadre étant resserré sur les personnages et les détails d’ambiance – il y a beaucoup de poésie dans certaines compositions d’images.

Inclassable, Arthur & Diana est un peu agaçant quand il tourne autour de son nombril et celui de l’enfant de deux ans, mais le film est attachant, on ne sait pas vraiment pourquoi, peut-être car ces jeunes gens un peu perdus nous semblent familiers ainsi que l’amour qui se cache dans les nœuds qui entravent parfois les liens dans les familles.

De Sara Summa; avec Sara Summa, Robin Summa, Lupo Piero Summa, Livia Antonelli, Claire Loiseau; Allemagne; 2023; 108 minutes.

Malik Berkati

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