Typique Emil (Typisch Emil), de Phil Meyer, réussit à retracer les mille vies de l’humoriste et cabarettiste Emil en lui rendant un émouvant hommage. Rencontre
Emil Steinberger, connu sur scène comme Emil, fait l’objet d’un documentaire qui sortira le 22 janvier en Suisse romande et dans lequel il revient, accompagné de sa seconde épouse Niccel, sur son parcours sur scène, au cinéma, dans les publicités, comme dessinateur et graphiste, depuis six décennies.
Image courtoisie Filmcoopi Zurich
Né en 1990, le réalisateur indépendant lucernois Phil Meyer a réussi à convaincre Emil de partir dans l’aventure de ce documentaire en son honneur. Typique Emil retrace plus de nonante ans de la vie d’Emil Steinberger, de son enfance à Lucerne, dans une famille bien sous tous rapports, auprès de parents fiers le jour où leur fils devient buraliste postal. Des parents qui sont effondrés quand, en 1960, après neuf ans de service derrière le guichet, Emil démissionne et se lance dans une formation de graphiste pour devenir dessinateur publicitaire. Il débute dans l’humour en autodidacte et fonde à la même période le théâtre Kleintheater Luzern.
Puis, grâce aux nombreuses archives que le couple conserve précieusement en espérant fonder un Musée Emil, selon les vœux de Niccel, le documentaire rappelle comment Emil se lance dans les années septante dans le one-man-show qu’on appelait à l’époque cabarettiste. Un choix professionnel que ses parents peinent à accepter : « Pour mes parents, buraliste postal était une réussite sociale, le mieux que je puisse faire. Pour eux, jouer, c’était faire des bêtises. »
Le documentaire nous ressert avec bonheur des sketchs devenus morceaux d’anthologie tel celui avec le landau ou avec le Caporal Schnyder en service de nuit, des prestations scéniques où l’inimitable humour espiègle de l’artiste fait à chaque fois mouche. Le film porte à l’écran ces représentations inoubliables d’Emil, son humour et son langage qui ont enthousiasmé et enthousiasment encore des générations au point d’entendre éclater de rire son public qui anticipe avant même que l’artiste ait commencé son numéro. Ce faisant, le film va au-delà d’un regard nostalgique sur les personnages de scène emblématiques et plonge dans un monde où Emil lutte contre les ombres de son enfance, la non-reconnaissance de son talent par ses parents, même quand sa mère viendra le voir lorsqu’il est invité à faire la tournée de Suisse avec le cirque national Knie, une souffrance qui le chagrine encore aujourd’hui malgré l’amour inconditionnel que lui porte son public, la pression de la célébrité et son besoin soudain de retrouver l’anonymat en partant vivre à New-York, ville où il retrouvera l’amour.
Emil, icône indémodable de l’humour helvétique, a réalisé ce que peu ont réussi à faire : réunir les Suisses allemands, romands, tessinois et romanches autour de mêmes sketchs, traduits en allemand et en français. Emil a même réussi à fédérer au-delà des frontières de l’Helvétie en remportant un immense succès en Allemagne et en Autriche, des pays pour lesquels il a traduit ses sketchs du suisse-allemand au Hochdeutsch.
Typique Emil rappelle ces moments charnières dans la carrière de l’humoriste : en 1977 avec le Cirque Knie, en 1978 avec Les faiseurs de Suisses, de Rolf Lyssy, et en 1983, quand Lova Golovtchiner, fondateur du Théâtre Boulimie à Lausanne, lui demande de traduire ses premiers sketchs en français pour la télévision. Avec un air malicieux et amusé, Emil se souvient :
« La caméra était si grande ! J’ai commencé à jouer le Caporal Schnyder. Et tout à coup, cette caméra s’est mise à trembler. J’ai d’abord pensé qu’elle était défectueuse. Mais non, c’était le cameraman qui a commencé à tellement rigoler que la caméra n’était plus tranquille. C’était la preuve qu’on me comprenait en Suisse romande. »
Emil, qui a soufflé ses nonante-deux ans le jour des Rois mages cette année, regarde vers l’avenir et avoue que son secret pour garder une telle énergie, c’est le travail. Sa femme Niccel confie qu’elle prendrait volontiers sa retraite anticipée mais avec un tel mari, empli d’idées nouvelles et de projets, il n’y a pas un moment de répit. Emil ne souhaite pas encore s’arrêter et inspire le respect : « Il faut toujours contrôler si le cerveau est encore actif et penser à l’avenir ! »
Présents aux Journées cinématographiques de Soleure les 24 et 28 janvier pour rencontrer le public, Emil et Niccel Steinberger effectuent actuellement, en compagnie du réalisateur, une grande tournée dans les salles de cinéma de Suisse romande pour accompagner leur film présenté en avant-première.
Lors de leur venue ce samedi 18 janvier au Cinéma Bio, à Carouge, Emil et Niccel se sont confiés à notre micro avant de rejoindre le public genevois. Rencontre:
Firouz E. Pillet
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