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Un espion ordinaire (The courier), de Dominic Cooke, plonge les spectateurs dans les arcanes de l’histoire à l’époque de la Guerre froide

Au cours des années 1960, la guerre froide oppose deux puissances mondiales fortement militarisées, prenant en étau l’Europe naissante : les États-Unis et l’ex-URSS  se regardent en chiens de faïence, usant de provocations et surtout infiltrant leurs espions respectifs au cœur de l’antre de l’ennemi.

— Benedict Cumberbatch – The Courier
© Liam Daniel

La lutte pour l’hégémonie géopolitique soulève de vives inquiétudes dans l’ordre mondial puisque les deux pays affichent la capacité atomique de détruire le monde. C’est dans ce contexte politique et social que se déroule The Courrier (Un espion ordinaire), le deuxième long métrage de Dominic Cooke. En 1960, Greville Wynne (Benedict Cumberbatch) se rend dans divers pays du bloc soviétique en tant que modeste représentant de commerce anglais. Approché par le MI6 et la CIA, Greville Wynne se retrouve bien malgré lui plongé au cœur de la guerre froide alors qu’il noue une alliance, et aussi secrète que périlleuse avec le colonel soviétique Oleg Penkovsky (Merab Ninidze). Leur rencontre fortuite se mue progressivement en une amitié indéfectible. Aux yeux des services de renseignements américain et britannique, en aucun cas, les autorités soviétiques ne pourraient soupçonner un homme aussi « ordinaire », parfait pour remplir cette mission. A priori naïf ou peu conscient des dangers encourus par la mission que les services secrets lui confient, et surtout fier de servir tant sa patrie que la paix dans le monde, Greville Wynne accepte sans hésiter et commence à effectuer des allers-retours réguliers entre Londres et Moscou afin de fournir les renseignements nécessaires aux Occidentaux pour éviter un affrontement nucléaire et désamorcer la crise des missiles de Cuba en prenant de plus en plus de risques sans en prendre conscience.

The Courier est basé sur des faits réels : l’acte de bravoure d’un colonel militaire soviétique, Oleg Penkovski, qui décide de diffuser des informations contre son pays et son chef suprême, Nikita Khrouchtchev, dont l’impulsivité et les décisions imprévisibles l’inquiètent de plus en plus. Bien décidé à empêcher une guerre mondiale et convaincu de pouvoir canaliser la vision d’attaque contre le système capitaliste, menée par les États-Unis, de la part du secrétaire général du Parti communiste, farouche successeur de Staline, Oleg Penkovski a besoin, pour ce faire, de quelqu’un pour agir comme un pont afin que l’information atteigne sa destination. Si l’époque de la Guerre froide est encore bien vivace dans les esprits, en particulier pour les générations qui l’ont connue, le chapitre que rappelle avec justesse le film de Dominic Cooke n’est pas forcément connu du grand public.

The Courier (Un espion ordinaire) s’intéresse avec minutie et précision à l’histoire vraie de l’homme d’affaires Greville Wynne et de sa source russe Oleg Penkovski dit Ironbark, général de l’armée soviétique qui s’est illustré sur de nombreux fronts durant la Seconde Guerre Mondiale, glanant de nombreuses médailles … Bref un héros du peuple ! Devenu père de famille, Oleg Penkovski songe à l’avenir de sa femme et de sa petite fille et réalise qu’il faut éviter au plus vite que Khrouchtchev déclenche un troisième conflit mondial. Le colonel soviétique (incarné par l’acteur géorgien Merab Ninidze, très juste dans divers registres) est un héros militaire et occupe une position élevée au sein de la direction soviétique. C’est une personne ayant accès à des informations confidentielles et qui prend donc l’initiative de diffuser des informations en sachant la peine qui lui sera infligée s’il est découvert : l’exécution qui était la peine capitale infligée aux traîtres à la patrie. Oleg Penkovski se met donc à aider la CIA à pénétrer le programme nucléaire soviétique en plein apogée de la Guerre froide, ce qui mit fin à la crise des missiles de Cuba.

The Courier de Dominic Cooke
© Nick Wall

Le film de Dominic Cooke réussit avec brio à plonger le public dans l’atmosphère anxiogène des transactions avec le représentant commercial anglais et l’espion soviétique. Le réalisateur reconstitue avec exactitude une époque révolue et pourtant pas si lointaine où les rencontres devaient se faire clandestinement, où les documents hautement confidentiels se transmettaient de mains à mains lors du retour à l’hôtel après un ballet au Bolchoï, où les appartements étaient truffés de microphones et où toute conversation délicate devait se faire alors que le transistor était mis au maximum du son. Le scénariste Tom O’Connor (The Hitman’s Bodyguard) s’inspire librement de ce chapitre d’histoire, identifiant clairement les ennemis et fait la part belle aux personnes. Habitué à la direction des comédiens sur les planches, Dominic Cooke avait signé un premier long métrage, The Chesil Beach, il y a quatre ans. Avec ce second long métrage, Dominic Cooke ne renie rien de son passé théâtral en insufflant une dramatisation perceptible qui met en relief la témérité et l’héroïsme de ces deux hommes qui n’auraient jamais dû se rencontrer dans des circonstances normales puisque vivant tous deux de chaque côté du rideau de fer.

The Courier réussit par le recours à de multiples éléments d’époques – les costumes, les voitures, les appareils ménagers, les transistors, etc. – à restituer une époque où les citoyens vivaient de part et d’autre du rideau de fer avec des degrés de libertés diamétralement opposés et rappelle combien la CIA, le KGB et le MI6 étaient des sources de renseignement et de contre-espionnage permanent. Côté soviétique, il fallait se méfier de son voisin de palier, de son coiffeur, du fleuriste, bref, de tout le monde, ce que les représentants de la CIA et du MI6 rappellent à Greville qui est censé se consacrer à la vente de produits et qui sera chargé de réceptionner l’information ultrasensible. Le cinéaste Dominic Cooke choisit de porter son attention sur les relations humaines et oriente son développement narratif vers le lien entre ces deux hommes qui cherchent à préserver leurs familles respectives d’une éventuelle attaque nucléaire. Pour rendre ce contexte extrêmement tendu palpable, il fallait des comédiens capables d’interpréter de multiples registres : Merab Ninidze parvient à composer un personnage froid d’esprit et au comportement militaire irréprochable en terrain public mais pleinement chaleureux lorsqu’il interagit avec son acolyte anglais. Cette capacité de diversifier les registres d’interprétation et émotionnels s’avère le point fort de l’interprète et elle s’amplifiera au fur et à mesure de l’histoire. Du côté occidental, pour incarner Greville Wynne, Benedict Cumberbatch incarne toute la naïveté de cet homme d’affaires sans expérience dans l’univers du renseignement, idéal pour servir de couverture, lui qui s’est même fait pincer par sa femme alors qu’il entretenait une relation adultérine. La performance remarquable de Benedict Cumberbatch finit en apothéose alors que Greville est détenu dans les cellules de la tristement célèbre Loubianka. L’interprète anglais – que l’on retrouve actuellement sur les écrans dans The Mauritanian – parvient à transmettre diverses sensations tout au long de la séquence. C’est le personnage le plus sans défense car il n’a aucune connaissance dans l’art de la guerre, encore moins dans celui de l’espionnage. Le lien inattendu qui se développe entre deux hommes provenant d’univers complètement différents permet au public une identification aux émotions que partageant les deux hommes et une implication empathique pour Greville Wynne comme pour Oleg Penkovsky. L’acteur géorgien Merab Ninidze et Benedict Cumberbatch offrent de solides performances dans un film dont l’intrigue est prenante, poignante et en résonance avec une certaine actualité.  Cette caractéristique se reflète dans toute l’humanité de Cumberbatch qui passe d’un homme inconscient à un héros discret avec un acte final vraiment émouvant et remarquable. L’interaction qu’il réalise avec son collègue russe est plus que saisissante, réussissant à composer un lien affectif au-delà de la mission principale.

Le film montre un décor harmonieux. Du côté soviétique comme du côté britannique, différentes voitures anciennes parcourent les rues de Moscou et de Londres, permettant de situer parfaitement l’époque des faits. Il en va de même pour les costumes et les lieux. S’inscrivant dans la lignée des films d’espionnages tels Tinker Tailor Soldier Spy (La Taupe, Tomas Alfredson, 2011) ou Bridge of Spies (Le Pont des espions, de Steven Spielberg, 2015), The Courrier parvient à mettre en évidence le lien entre deux personnes dans un contexte mondial qui a marqué l’une des plus grandes crises entre les deux puissances mondiales.
Abel Korzeniowski, compositeur polonais de musique de film né à Cracovie, a fait la rencontre de Dominic Cooke sur ce film d’espionnage britannique et sa partition haletante soutient la tension des péripéties avec des cordes, un cliquetis (Eyes of the State), et parfois un piano (Cold Soup). Un titre (It Has to Be You) entame la première partie avec un mouvement de valse en décalage et souligne la dimension héroïque qui est magnifiée par le lyrisme ardent des cordes (Maybe We Are Only Two People). Pour les cinéphiles séduits par la bande originale du film, Abel Korzeniowski a mis à disposition les compositions qu’il a élaborées pour The Courier sur divers réseaux de partage dont Spotify. Après La Taupe et Imitation Game (de Morten Tyldum, 2014), Benedict Cumberbatch poursuit dans la veine des récits d’espionnage historiques avec Un espion ordinaire, un genre qui lui sied à ravir !

Firouz E. Pillet

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