Voir Hiroshima et…
150 ans d’amitié entre la Suisse et le Japon, 2014 est une année faste pour resserrer les liens qui unissent les deux pays. Entre le cérémonial des rencontres officielles et la multitude d’événements culturels prévus pour l’occasion, nous avons décidé de jeter notre dévolu sur la trépidante métropole du sud de l’Île de Honshu : Hiroshima. Y a-t-il matière à exalter une ville dont la seule évocation de son nom nous replonge dans l’angoisse du nucléaire ?
Récit de Michael Lanza
En 1958, Alain Resnais filmait la sublime Emmanuelle Riva dans les rues d’une Hiroshima dont on avait peine à croire qu’il y a moins de dix ans, elle avait été rasée sur plusieurs kilomètres carrés. Gardant certes les stigmates de ce chapitre nucléaire de la Deuxième Guerre mondiale, les écoles ont très vite « rouvert » en plein air, le commerce s’est à nouveau développé, l’herbe s’est teintée de vert et les survivants ont ressorti leur nappe pour pique-niquer au bord de la rivière Ota. Les dégâts collatéraux ont néanmoins été inestimables et Hiroshima s’est depuis lors élevée comme l’un des majeurs porte-parole contre les armes nucléaires. Les maires qui se sont succédé à l’administration de la cité japonaise n’ont eu de cesse de dénoncer les essais nucléaires et d’interpeller les dirigeants des grandes puissances. Or aujourd’hui leur voix ne trouve que peu d’écho, même dans leur propre pays, où certains souhaiteraient mettre le Japon à l’abri d’éventuelles attaques de voisins mal intentionnés.
A peine avons-nous remballé les banderoles pour les commémorations du D-Day en Normandie, qu’il s’agira bientôt de se rappeler justement d’un autre épisode tragique de la Guerre 39-45. Il y a en effet presque 75 ans, une bombe atomique était larguée sur une population. Stupeur et tremblements. Ce flash lumineux dévastateur n’aura pas eu raison de l’espoir d’un avenir meilleur, pacifique. Comme l’écrivait Marguerite Duras et le filmait Alain Resnais dans Hiroshima mon amour, la ville a trouvé une incroyable énergie pour se reconstruire et laisser place à de nouvelles histoires de vie.
L’agglomération compte aujourd’hui un peu plus d’un million d’habitants et vit au rythme des matchs de baseball des Hiroshima Toyo Carp. Il suffit de se trouver à proximité du Mazda Stadium un jour de rencontre et sentir la frénésie bon enfant envahir les rues. Les terrains de baseball sont d’ailleurs incontournables dans la région, allant même se nicher dans les zones industrielles.
Au centre ville, un temps pour tout. Se recueillir au Parc de la Paix, visiter le musée du même nom, flâner au bord de l’eau, faire son shopping ou s’attabler pour un traditionnel, mais copieux, okonomiyaki. Les cafés ne manquent pas et il est bon de prendre un verre avec les locaux lors des afterworks très animés. Les gens sont chaleureux et au contact facile, ils rient beaucoup et adorent chanter. En gravissant les marches du chemin historique Futuba, en passant sous les 100 torris flamboyants qui jalonnent le parcours, on aura la chance d’avoir la ville à ses pieds et de distinguer quelques îles de la Mer Intérieure. Parmi elles, la célèbre Miyajima avec son grand Torii orange qui marque l’entrée du Sanctuaire d’Itsukushima. A seulement quelques minutes de ferry d’Hiroshima, Miyajima est l’un des trois lieux les plus populaires du Japon. Malgré les hordes de touristes qui s’y pressent, le charme opère très vite, les balades sont merveilleuses et les points de vue époustouflants ne manquent pas.
Dans Hiroshima mon amour, le personnage de « Lui », répète inlassablement à « Elle » : « tu n’as rien vu à Hiroshima ». Nous, au contraire, nous avons vu une ville qui mérite plus qu’un détour, un endroit particulier comme il en existe peu sur la terre. Un destin effroyable pour un avenir loin d’être terne. Vivre et se laisser vivre à Hiroshima, en cette année jubilaire à l’ombre des érables rougissants de l’automne ou des cerisiers (sakura) en fleurs quand reviendra le printemps.
Quelques points de repère
Ne pas oublier : Le docteur Marcel Junod. Ce suisse est le premier médecin étranger à s’être rendu sur les lieux de la tragédie d’Hiroshima, après avoir réussi à négocier avec les forces américaines l’acheminement de matériel médical dans la région. Immense œuvre accomplie notamment en tant que délégué du CICR. Auteur du Troisième combattant, livre de référence du CICR. Sa statue trône dans le Parc de la Paix à Hiroshima.
Un livre : Un artiste du monde flottant de Kazuo Ishiguro. Se rappeler des années d’après-guerre, dans un Japon qui se réinvente un futur. Le destin d’un peintre, de ses filles, d’une nation dans la période de transition qui verra naître un Japon moderne.
Un film : Hiroshima mon amour. Incontournable œuvre du tandem Marguerite Duras, dont on commémore le centenaire de sa naissance, et Alain Resnais, décédé il y a peu. Le rythme est assez lent, les premières images rappellent ce qu’a été l’horreur de la bombe, laissant peu à peu place à un amour (quasi) impossible et troublant entre Elle (Emanuelle Riva) et Lui (Eiji Okada).
Un site : www.hiroshimapeacemedia.jp . Hiroshima poursuit son œuvre en faveur de la paix et le rappelle aussi souvent que possible.
Un bar : Tropical Bar Revolucion (3-6 Nagarekawa, Naka-ku ; 8F Meisei Building), on ne le voit pas au premier coup d’œil, mais il vaut le détour.
Restaurants : l’Okonomimura (5-13 Shintenchi, Naka-ku), très populaire avec plusieurs espaces pour tenter l’expérience d’un okonomiyaki ; le Caffè Ponte (1-9-21 Otemachi, Naka-ku) pour d’excellents mets, surtout italiens. Joli cadre, surtout le soir, avec le Parc de la Paix éclairé en arrière-fond.
Michael Lanza, Hiroshima
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