A Complete Unknown, de James Mangold, capture l’esprit éphémère et poétique d’un troubadour des temps moderne
Avec A Complete Unknown, producteur et acteur new-yorkais, Hollywood retrouve le meilleur de sa grandeur avec un film brillamment interprété, sans prétention ni cynisme, avec conviction, authenticité, maestria et émotion.
© Searchlight Pictures. All Rights Reserved.
À New York, en 1961, alors que la scène musicale est en pleine effervescence et que la société est en proie à des bouleversements culturels, un énigmatique jeune homme de dix-neuf ans débarque en stop de son Minnesota natal avec sa guitare et son talent hors normes qui changeront à jamais le cours de la musique américaine. Durant son ascension fulgurante, il noue d’intimes relations avec des musiciens légendaires de Greenwich Village, avec en point d’orgue une performance révolutionnaire et controversée qui signe sa conversion controversée à l’electric music, une conversion actée lors d’un concert de 1965 au Newport Folk Festival, alors qu’il n’a que vingt-quatre ans lors d’une prestation qui créera une onde de choc dans le monde entier…
James Mangold avait déjà séduit le public avec son remarquable biopic Walk the Line (2005) sur Johnny Cash avec Joaquin Phoenix et Reese Witherspoon qui avait obtenu un Oscar pour sa prestation. Le réalisateur a conçu A Complete Unknown (Un parfait inconnu) avec comme référence Amadeus (1984), de Milos Forman, son mentor, dont il était l’élève à la Columbia University de New York. Il explore le parcours de Bob Dylan à travers le prisme des autres personnages en s’attachant à un moment bien précis du parcours del’artiste, sans pour autant raconter toute sa vie. Au fil des rencontres du jeune Bob Dylan dans la scène musicale new-yorkaise, le cinéaste explore un monde où la musique transmet beaucoup de choses, en particulier la folk music qui permet aux artistes de militer pour la justice sociale, contre la guerre au Vietnam, pour les droits civiques. James Mangold choisit de se concentrer sur les quatre années de l’ascension de l’artiste, de sa vie de nomade en galère à son statut d’icône du rock.
Le film rappelle comment, au début des années 1960, la notoriété de Bob Dylan décolle grâce à d’autres artistes qui popularisent ses chansons, de Peter, Paul and Mary (Blowin’ in the Wind) à Joan Baez (Don’t Think Twice, It’s All Right). Puis le talent d’auteur, chanteur et musicien de Bob Dylan s’affirme en s’affinant, et l’auteur-compositeur-interprète, considéré jusqu’alors comme un marginal, fait une percée fracassante, dès 1963, avec les chansons engagées.
Le titre du film reflète l’intention du réalisateur d’éviter les explications psychologiques simples envers un homme qui a échappé à toute définition six décennies durant et qui reste inclassable.
Si le scénario s’appuie sur le livre d’Elijah Wald, Bob Dylan Electrique, Newport 1965, du folk au rock, histoire d’un coup d’État, paru en 2015, Bob Dylan, qui avait adoubé le projet du film de Mangold en conseillant la lecture du livre, il a tenu à lire le scénario de Mangold et a fourni au cinéaste des informations concernant cette période.
La pandémie de 2020, suivie par deux grèves à Hollywood, ont retardé le tournage du film, ce qui a permis à Timothée Chalamet, qui avoue ne connaître alors de Bob Dylan que son statut de légende de la musique, d’avoir une période plus longue pour se préparer à endosser ce rôle. Le réalisateur tenait à ce que les acteurs chantent réellement et ne soient pas doublés, à l’instar de Joaquin Phoenix et Reese Witherspoon dans Walk The Line.
© Searchlight Pictures. All Rights Reserved.
Ainsi, comme il le mentionne dans ses interviews, Timothée Chalamet s’est consacré à l’apprentissage intensif de la musique pendant cinq ans, acquérant les compétences requises tout en explorant le répertoire de Bob Dylan. Avec le coach vocal Eric Vetro, il a observé les concerts et les interviews du chanteur, en s’attachant à d’infimes détails comme sa posture et l’influence de celle-ci sur sa voix. Il a également appris à jouer de la guitare, instrument de prédilection de Dylan, et de l’harmonica. Le résultat est époustouflant de véracité, on oublie Chalamet en croyant suivre le jeune Bob Dylan à ses débuts et le jeune comédien, excellent de bout en bout, se fond dans un mimétisme troublant tout en insufflant sa personnalité à son personnage. On comprend pourquoi Bob Dylan a été enthousiaste à la projection du film. Une interprétation qui lui vaudra indubitablement un prix !
Aux côtés de Timothée Chalamet, Edward Norton incarne Pete Seeger auquel il ressemble de manière frappante ; ce rôle à contre-emploi offre à l’acteur l’occasion de se démarquer des personnages plus sombres qu’il interprète souvent. Tout comme son comparse à l’écran, l’acteur s’est initié au banjo pour les besoins du rôle en jouant un style de banjo ancien, un style folk assez simple, que même les meilleurs musiciens actuels ne jouent plus et qui vient compléter une bande-son jubilatoire qui égrène les meilleures compositions de Bob Dylan.
Parmi les conquêtes de Bob Dylan, Suze Rotolo est incarnée par Elle Fanning. Elle fut la petite amie de Bob Dylan de 1961 à 1964 et apparaît à ses côtés sur la pochette de l’album The Freewheelin’ Bob Dylan. La comédienne avait déjà donné la réplique à Timothée Chalamet dans Un jour de pluie à New-York (2019) de Woody Allen. Le duo d’acteurs interprète parfaitement Bob et Sylvie liés par cette forme d’intimité propre aux premières relations amoureuses et qui donne le sentiment de se connaître depuis très longtemps.
Parmi les autres grandes histoires de Bob Dylan figure Joan Baez. Monica Barbaro qui incarne Joan Baez, a pris l’initiative de dénicher le numéro de téléphone de l’artiste et de la contacter pendant la préparation du film. Avant de l’incarner, elle souhaitait mieux connaître celle qu’elle était censée interpréter. Sa conversation avec Joan Baez qui l’a mise en confiance lui a permis de camper pleinement le rôle. Elle offre une dimension charismatique à la chanteuse et crève l’écran aux côtés de Chalamet.
Pour interpréter Johnny Cash, le public pouvait supposer retrouver Joaquin Phoenix, mais c’est Boyd Holbrook qui lui prête cette fois ses traits et offre une prestation truculente d’authenticité, alors que le chanteur, qui a succombé au paradis artificiels et aux nectars des dieux, tente de déplacer son imposante Chevrolet pour laisser Bob Dylan prendre sa moto, emboutissant les voitures garées à ses côtés. A Complete Unknown souligne l’importance de la correspondance entre Johnny Cash et Bob Dylan qui s’écrivaient des lettres avant de se rencontrer au Festival de folk de Newport en 1964.
Un protagoniste non négligeable est la ville de New York des années 60. Parmi les détails apportés à la reconstitution figure l’un des décors principaux du film, MacDougal Street, situé à Greenwich Village. Cette rue, qui fourmille de clubs, galeries et cafés fréquentés par les poètes, les peintres et les musiciens, a été recréée sur Jersey Avenue, dans le New Jersey. Cependant, le chef décorateur François Audouy a pris quelques libertés avec la topographie des lieux, une prise de liberté inévitable vu l’évolution urbaine. On note combien Audouy a le souci du détail puisqu’il a utilisé des journaux et des bonbons de l’époque dans les kiosques. De même, au premier étage des immeubles, ce sont des vêtements des années 60 qui sèchent sur la corde à linge. L’équipe a même jonché les rues du quartier de déchets conformes à l’époque dans un souci d’authenticité.
Le seul décor qui a été minutieusement reconstitué dans ses moindres détails est celui du légendaire Studio A de Columbia Records où Bob Dylan a enregistré des titres marquants comme Mr Tambourine Man et Like a Rolling Stone, une reconstitution rendue possible grâce aux milliers de photos existantes du studio qui a été détruit en 1983.
À l’issue de la projection, malgré quelques arrangements avec la vérité que notent les puristes, on apprécie ce biopic volontairement distant qui garde Dylan comme le personnage énigmatique qu’il est, plutôt que de créer quelque chose de faux et de tape-à-l’œil au nom d’une narration structurée.
Un grand moment de cinéma et de pur bonheur musical !
Firouz Pillet
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