Albert Dupontel poursuit sa réflexion sur l’humanité et sa difficulté à communiquer dans une comédie burlesque, Adieu les cons !
Lorsque son médecin (Bouli Lanners) apprend à Suze Trappet (Virignie Efira), quarante-trois ans, qu’elle est sérieusement malade et que ses jours sont comptés, elle décide de partir à la recherche de l’enfant qu’elle a été forcée d’abandonner quand elle avait quinze ans. Sa quête administrative va lui faire croiser JB (Albert Dupontel), quinquagénaire en plein burn out, et M. Blin (Nicolas Marié, facétieux et attendrissant à souhait !), archiviste aveugle d’un enthousiasme impressionnant. À eux trois, ils se lancent dans une quête aussi spectaculaire qu’improbable.
Le réalisateur-acteur résume l’intrigue de son film ainsi :
«Le concept de départ est si quelqu’un qui voudrait vivre mais ne peut plus rencontrait quelqu’un qui pourrait vivre mais qui ne veut plus, qu’est-ce qui se passera ? Avec toujours le fond conceptuel de dire que la difficulté aujourd’hui est de s’aimer dans un monde répressif et anxiogène. De Bernie à Adieu les cons ! je raconte toujours cela, c’est toujours la même histoire. Les personnages sont décalés, un peu perdus et tout cela finit par faire un entrechoquement de choses. »
Comme à son habitude, Albert Dupontel privilégie le genre tragico-comique et, par le biais de cette tragédie burlesque, il analyse, dissèque (rappelons qu’Albert Dupontel a fait des études de médecine) offre le fruit de son observation sur le monde qui l’entoure, sur l’humanité, sur les êtres humains qui peinent à communiquer entre eux. L’idée du mélange des genres, entre le burlesque et le drame est recherché par le cinéaste dont la filmographie a comme fil rouge de proposer un fond sérieux, voire dramati ue dans une forme divertissante, ce qui permet de toucher une plus large publique qui pourra facilement s’identifier à certains de ses personnages.
Albert Dupontel confie se nourrir de diverses influences qu’il place, sous forme de clins d’oeil savoureux, dans ses propres films :
Les films qui m’ont marqué véhiculent beaucoup ces deux sentiments. De Chaplin à Terry Gilliam, en passant par Ken Loach. J’essaie de m’en faire l’écho. Mais quel que soit mon « sérieux », j’essaie surtout d’être distrayant. Le propos est grave mais l’ambition est que le spectateur voyage.
Albert Dupontel assume pleinement l’influence de Brazil, la revendique même tant le film lui semble aujourd’hui comme une prophétie de l’évolution de notre monde :
« Le personnage interprété par Philippe Uchan s’appelle Monsieur Kurtzman qui est un des personnages de Brazil, Laurent Stocker interprète Monsieur Tuttle qui est le héros de Brazil et Jackie Berroyer s’appelle le Docteur Lint, interprété par Michael Palin. Toutes ces références sont voulues; il y a même un petit plan où l’on voit tomber un tuyau du plafond, un autre clin d’oeil à Brazil. »
Dans chacun de ses films, Albert Dupontel porte plusieurs casquettes, assumant les rôles de réalisateur, scénariste, acteur avec une aisance époustouflante mais l’étape de l’écriture n’est pas si aisée pour cet homme-orchestre quiconque :
Je suis un « Sisyphe narratif », avec de surcroît le rocher qui me tombe sur la tête.
A l’image des liens d’amitié qu’il a su tissés avec de nombreux acteurs qui viennent dans Adieu les cons !, y compris assumer des rôles à l’apparition furtive – Laurent Stocker, Jackie Berroyer, Catherine Davenier, Michel Vuillermoz, Bouli Lanners, et même ici Terry Gilliam en vendeur d’armes: le cinéaste anglais fait, en effet, un caméo dans le long-métrage. !), Albert Dupontel tisse une thématique commune entre ses différents films :
« Ces thèmes m’attirent comme un reset permanent de mon disque dur personnel et pourtant j’ai eu une enfance heureuse. Le prochain sujet aura un autre décorum mais ses ressorts dramatiques seront aussi ancrés dans ce thème. »
La moitié du film se déroule de nuit et Albert Dupontel parvient à poétiser et magnifier le plus possible ces décors urbains, souvent sinistres au cinéma, créant ici une atmosphère féérique, qui accompagne la rencontre d’une mère meurtrie avec son enfant qu’elle a toujours aimé mais que ses parents ont contrainte à l’abandonner, la rencontre d’un jeune homme timide et introverti qui, grâce au courage insufflé par sa mère, rencontre l’amour, un vieux médecin atteint de la maladie d’Alzheimer, perdu dans d’anciens souvenirs, qui retrouve le chemin de sa maison où l’attend sa femme, un homme esseulé, incompris qui trouve enfin une lueur de joie dans sa vie morose.
Même si le film est choral, le personnage de Suze est porté par Virginie Efira qui interprète avec une immense palette d’émotions cette femme en détresse sur laquelle un ultimatum plane tel un couperet. C’est certainement cet ultimatum imminent qui rend cette femme à la fois spontanée, tendre, émouvante, follement sexy – Monsieur brin est aussitôt sensible à son charme même si il se déplace à l’aide d’une canne blanche. Suze révèle les personnes sur son passage, distillant une immense humanité, et parvient à désinhiber JB qui se révèle telle une chrysalide devenant papillon.
Adieu les cons ! est dédicacé au Monty Python Terry Jones , décédé en janvier 2020.
Terry Jones a été le premier des Monty Python que j’ai connus, après la sortie de Bernie. Que le metteur en scène des Monty Python vienne ensuite incarner Dieu dans mon deuxième film, Le Créateur, était pour moi un véritable aboutissement.
Albert Dupontel acteur ne laisse jamais indifférent : le public l‘aime ou le déteste. Mais Albert Dupontel réalisateur parvient à chaque opus à nous divertir tout en nous faisant réfléchir sur l’état des lieux de l’humanité, de notre société contemporaine avec ses dérives kafkaïennes, sur des êtres dont les difficultés peuvent résonner en nous. Pari réussi pour Adieu les cons !
Firouz E. Pillet
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