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Avec Caravage (L’ombra di Caravaggio), Michele Placido tente un clair-obscur et échoue à faire un biopic dont il a rêvé depuis cinq décennies

Caravage (L’ombra di Caravaggio), de Michele Placido, plonge le public dans l’Italie de 1609 alors que Michelangelo Merisi da Caravaggio (Riccardo Scamarcio) – dont le nom est francisé Caravage ou Le Caravage – est accusé de meurtre et fuit Rome pour se réfugier à Naples. S’affirmant pleinement libre, dans sa vie comme dans son art, du diktat académique canonique, Le Caravage dérange la bienséance des peintres académiques, avec l’appui de l’Église, qui le méprisent, le persécutent, le condamnent.

— Isabelle Huppert et Riccardo Scamarcio – Caravage (L’ombra di Caravaggio)
Image Luisa Carcavale; courtoisie Xenix Filmdistribution

Soutenu par la puissante famille Colonna, en particulier par la Marquise Costanza Colonna (Isabelle Huppert qui parle italien avec un terrible accent français… Il fallait bien justifier la participation majeure de la France dans cette production ! ), Le Caravage tente d’obtenir la grâce de l’Église pour revenir à Rome. Le Pape Paul V (Maurizio Donadoni) décide alors de faire mener par un inquisiteur, l’Ombre (Louis Garrel), une enquête sur le peintre dont l’art est jugé subversif et contraire à la morale.

Dieu sait que le peintre italien a inspiré le septième art !

Les cinéphiles songent immédiatement au film de Derek Jarman, Caravaggio, réalisé en 1986 et doté d’une impressionnante distribution dont Nigel Terry, Tilda Swinton, Dexter Fletcher, Sean Bean, et qui rendait un hommage grandiose à l’artisan majeur de la Renaissance italienne et au poids de l’héritage qu’il a laissé durant le XVIème siècle ainsi que sur l’histoire artistique de la péninsule.

Il est bienvenu de visionner à nouveau le film de Derek Jarman pour apprécier à quel point le réalisateur britannique a su magnifiquement capturer de nombreux détails – qui peuvent sembler vains à certains spectateurs – de la vie du Caravaggio, les mettant en relation avec son œuvre de génie. Derek Jarman relatait l’histoire du Caravage comme le Caravage l’aurait fait, en l’imprégnant des thèmes majeurs perceptibles dans ses œuvres, des convictions les plus profondes de l’homme qui ont dicté la vie de l’artiste. Le film de Derek Jarman proposait un portrait troublant qui reflétait avec brio tant l’artiste que les sujets de ses œuvres, établissant des échos déroutant entre le peintre, son œuvre et le cinéaste, et exposant dans le détail nombre des thèmes – la sexualité, la religion et la transcendance, la violence, la censure, la politique et l’identité créative tumultueuse -, thématiques dans lesquelles Derek Jaman se retrouvait. Le public ne ressortait pas indemne de la projection de ce film, hanté par ce portrait troublant.

Quand on mentionne Le Caravage, on peut penser aussi à un film italien intitulé L’anima e il sangue (L’âme et le sang), documentaire biographique réalisé par Jesus Garces Lambert, avec Manuel Agnelli, sorti en 2018 mais peu connu du public en dehors de l’Italie. Ce documentaire didactique faisait la part belle au moi intérieur tourmenté de l’artiste, convoquant pour leurs expertises des spécialistes tels le professeur Claudio Strinati, historien de l’art et expert du Caravage, la professeure Mina Gregori, présidente de la Fondazione di Studi di Storia dell’Arte Roberto Longhi et Rossella Vodret, commissaire de l’exposition Inside Caravaggio’au Palazzo Reale de Milan. Vous l’avez compris : ce documentaire dispensait un véritable cours de l’histoire de l’art, insistant sur la technique novatrice usitée par Le Caravage, le clair-obscur, pratique permettant d’augmenter la dimension dramatique d’un sujet, de créer des contrastes donnant l’illusion du relief.

Et voilà que sort sur les écrans la version de Michele Placido, plus connu comme acteur que comme réalisateur et scénariste. Il nourrissait ce projet depuis 1968 lorsque, récemment arrivé à Rome de ses Pouilles natales, Michele Placido passait ses après-midi Piazza Campo dei Fiori avec ses collègues du Conservatoire en songeant à Giordano Bruno, un moine dominicain et philosophe exécuté sur cette place. En réalisant un film sur Le Caravage, Michele Placido souhaitait montrer « toute l’authenticité du peintre, avec ses vices et ses vertus, son humanité profonde et viscérale, et en même temps toute la vérité de son époque ».

Dès les premières scènes, le film de Michele Placido plonge le public dans la révolution d’un peintre iconoclaste, trublion terriblement gênant qui, dans une Rome pleine d’espions pro-Français (d’où le personnage d’inquisiteur interprété par Louis Garrel qui joue dans la langue de Dante avec un excellent accent) ou pro-Espagnols. Michele Placido prend un plaisir tangible à nous faire comprendre combien l’artiste trouvait dans la rue ses compagnons de route – voleurs, prostituées, vagabonds – pour en faire, longtemps avant Pasolini, ses modèles pour ses tableaux, transfigurés en saints ou en madones.

Le cinéaste nous montre, avec une insistance rapidement pénible et tableaux à l’appui, comment le peintre élaborait ses compositions, peignant ses personnages grandeur nature et supprimant le premier plan pour confronter immédiatement ses spectateurs avec les sujets de ses tableaux. Si on avait encore un doute, on saisit que, contrairement aux classiques, Le Caravage ne faisait pas de dessin préparatoire et posait la couleur directement sur la toile dont le clair-obscur est filmé au plus près par Michele Placido.

Tout au long du film, on comprend la volonté tenace et insistante de Michele Placido d’avoir voulu reconstituer l’époque, pouilleuse et crasseuse, bien loin de l’imagerie courante des films se déroulant à la fin du XVIe siècle. Malgré la présence charismatique de Riccardo Scamarcio, qui avait déjà tourné devant la caméra de Michele Placido dans Romanzo criminale (2005) et Le rêve italien (2009), qui incarne avec passion ce Caravage, on reste de marbre, sombrant bien involontairement dans l’ennui.

Michele Placido insiste sur la fascination du Caravage pour les oubliés de la société, sur ses relations troubles avec les êtres humains et sur son errance quasi incessante d’un lieu à l’autre. Le cinéaste a donc choisi de traiter les lieux comme des protagonistes, baladant sa caméra d’un atelier à un couvent, en passant par les rues boueuses de Naples, où les démunis croisent les rats, et dont la noirceur finit par oppresser, mais que la propreté et la lumière de la résidence des Colonna contrecarre. Peut-être est-ce-là une volonté du cinéaste de nous plonger dans les ténèbres des petites gens que Le Caravage mettait en lumière ?

Malgré tous les trésors architecturaux de la Péninsule, Michele Placido a choisi de tourner dans des décors de Cinecittà, ce qui vient ajouter à la déception que procure ce film. Ce parcours narratif et visuel à travers les lieux et les œuvres qui ont caractérisé la vie de Michelangelo Merisi ne parvient malheureusement pas à captiver et vire rapidement au poncif !

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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