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Avec son dernier opus, Et la fête continue !, de Robert Guédiguian, signe une déclaration d’amour à la cité phocéenne en convoquant la palette des thématiques qui imprègnent toute sa filmographie

Et la fête continue ! marque le retour de Robert Guédiguian qui signe un film à la fois poétique et bien ancré dans la réalité de sa ville, Marseille, dont il porte haut la diversité culturelle et sociale, incarnée par une palette de comédiens tous excellents et justes.

— Ariane Ascaride et Jean-Pierre Darroussin – Et la fête continue !
Image courtoisie Agora Films

Robert Guédiguian nous a entraînés vers des horizons divers et variés – on songe à des sujets aussi différents que ceux abordés dans Le promeneur du champ de mars (2005), Gloria Mundi (2019), Twist à Bamako (2021) – mais l’amour qu’il nourrit pour sa ville, Marseille, demeure un fil conducteur dans sa filmographie.

Dans Et la Fête continue !, la cité phocéenne semble être un protagoniste а part entière du film, filmée avec des cadrages qui mettent en valeur une atmosphère conviviale et une douceur de vivre. Cependant, Robert Guédiguian ne délaisse pas ses combats et leur reste fidèle, en dénonçant, dès les premières séquences, l’insalubrité de certains immeubles : sa caméra filme les débris des deux immeubles vétustes du centre-ville, aux numéros 63 et 65 rue d’Aubagne, dans le quartier de Noailles, qui se sont écroulés sur plusieurs de leurs habitants alors qu’une voix off énonce leurs prénoms (l’effondrement des immeubles a fait huit morts en 2018; N.D.A.).

Robert Guédiguian mêle harmonieusement chronique sociale et histoire d’amour, politique, militantisme, activisme et romance. Cela pourrait paraître une ambition démesurée, mais quand c’est Robert Guédiguian qui œuvre derrière la caméra, le message est limpide et l’histoire rondement menée.

On suit le combat mené par Rosa, pugnace et infatigable, pour venir en aide aux personnes les plus modestes et démunies, tout en poursuivant avec malice son idylle qu’elle entame avec Henri. Mais arrivera-t-elle а tout concilier ? Portée par la vitalité de ses proches et par sa rencontre fortuite avec Henri, Rosa va réaliser qu’il n’est jamais trop tard pour réaliser ses propres rêves.

Fils de docker, Robert Guédiguian s’est ‘intéressé très tôt aux questions politiques, ce qui le conduira à faire des études de sociologie et une thèse sur la perception de l’État dans le milieu ouvrier. Mais, déçu par la politique, Robert Guédiguian trouve une extraordinaire tribune grâce au septième art qui lui permet d’illustrer avec brio les injustices et les petites gens qui les combattent. La figure de Rosa lui a été directement inspirée par le parcours de la femme politique Michèle Rubirola qui a mené une action politique tout au long de sa vie mais « ne voulait pas être tête de liste de la gauche pour les municipales à Marseille alors qu’elle seule faisait l’unanimité. » À son image, bien malgré elle, Rosa a est contrainte d’accepter d’être la « pasionaria » de son quartier, comme lui dit Henri en soulignant que ses parents auraient dû l’appeler Dolores. Rosa de rétorquer : « Non, dans Dolores, il y a douleurs ! Ils m’ont appelée Rosa en hommage à Rosa Luxemburg. ! »

À travers la protagoniste, le cinéaste fait de nombreux clins d’œil aux thèmes qui animent et nourrissent son cinéma : le Parti communiste et ici Ligue spartakiste, la diaspora arménienne, les émigrés italiens. Si Robert Guédiguian s’est inspiré de la vie de Michèle Rubirola, il en fait une histoire poétique, emplie de métaphores.

Les personnages du film gravitent autour de l’espace vide laissé par l’effondrement des deux immeubles, espace qui, tel un linceul, rappelle constamment les victimes. La fille d’Henri, qui est très active dans l’action humanitaire, prépare un discours pour rebaptiser, à la mémoire des victimes, la place sur laquelle trône une statue d’Homère. Robert Guédiguian convoque ici Homère, le père de tous de récits fondateurs, la mythologie, l’imagination galopante, la créativité. Le poète aveugle dont l’infirmité est contrebalancée par son génie poétique, invite les personnages du film comme le public à survivre à l’effondrement de notre société et au vide de nos modes de vie qui en découle en puisant dans la poésie et les récits pour créer de nouvelles épopées. Mais Homère n’est pas l’unique figure tutélaire du film dans lequel se côtoient Beckett, Rosa Luxemburg, Antonio Gramsci, Kant, entre autres…

Et la fête continue ! de Robert Guédiguian
Image courtoisie Agora Films

Dans le récit de Robert Guédiguian, il n’y a pas de bureau de vote, pas de scrutin, pas de campagne électorale, mais une femme qui monte aux barricades et réunit les gens autour d’elle. Rosa est infatigable et se dévoue à sa famille tout en consacrant le temps qu’il lui reste pour que ses idées prennent le pouvoir au service des plus nécessiteux. C’est l’épopée que nous propose Robert Guédiguian qui, en une heure et demie, et devant le constat de la régression de nos sociétés, toujours plus individualistes, réussit à faire la part belle à tous ses leitmotivs dont les valeurs humanistes: ne se contentant de décrire la misère du monde, il propose des voies possibles d’entraide, de partage, de bienveillance et de démocratie. Faisant allusion à l’Arménie agressée, à SOS Méditerranée, au logement social, au statut des réfugiés, mais aussi, par l’action de Rosa, aux luttes de quartier comme la défense de l’hôpital et de l’école, le cinéaste semble signer un film testamentaire doté d’une fougue joyeuse malgré les problèmes quotidiens que rencontrent ses personnages.

Au sujet de ce joyeux melting pot, Robert Guédiguian précise :

« J’aime beaucoup cette forme extrêmement populaire et inventive qu’ont adoptée les artistes au début de la révolution russe afin de participer à la dynamique du changement, à sa vitesse. Maïakovski, Vertov, Meyerhold, puis, en Allemagne, Piscator, Karl Valentin, Brecht… En un mot, cela consiste à parler de tout ce que nous vivons en même temps, à passer du coq à l’âne, à utiliser tous les moyens possibles pour mieux questionner et comprendre l’air du temps en mettant à profit les hésitations, les certitudes et les doutes des hommes pour que le spectacle soit réjouissant. J’ai toujours adoré cette liberté formelle jubilatoire qui titille nos sens et nos esprits. Uccelini e Uccelacci est un merveilleux film d’Agitprop de Pasolini. »

Fidèle à sa famille de cinéma qu’il s’est constituée au fil des réalisations, Robert Guédiguian retrouve ses actrices et acteurs fétiches : sa femme, Ariane Ascaride mais aussi Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Lola Naymark, Grégoire Leprince-Ringuet, Robinson Stévenin, Alicia Da Luz. La kyrielle des clins d’œil se poursuit : le réalisateur se plaît à faire de nombreuses citations via le personnage d’Henri, citations qui témoignent d’une vie de lectures et reflètent les aléas de son existence et de ses réflexions. Ce sont ses lectures et sa culture qui aident Henri à vivre en le réconfortant. Par sa bande-son, Et la fête continue ! rend hommage à Charles Aznavour et à Jean-Luc Godard en choisissant la célèbre musique composée par Georges Delerue pour Le Mépris, un film qui a marqué Robert Guédiguian.

Conscient d’avoir tourné un film très sombre avec Gloria Mundi, Robert Guédiguian voulait signer un film plus optimiste, d’où le choix du titre Et la fête continue !

Les préoccupations du réalisateur restent bien présentes et sa mélancolie perceptible mais le cinéaste prône l’engagement sous toutes ses formes : politique, bien sûr, mais aussi familial, amoureux et social !

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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