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Twist à Bamako : Robert Guédiguian a délaissé la Cité Phocéenne pour se plonger dans l’Indépendance du Mali et il réussit avec brio cette escapade politico-historique

Mali, 1960 : Samba (Stéphane Bak), jeune militant socialiste dont le père est un commerçant de bazins africains damassés et teintés à la main, rencontre au cours de l’une de ses missions en brousse Lara (Alicia Da Luz Gomes). Lara profite de la venue de Samba pour fuir sa famille qui l’a mariée de force avec le fils du chef village. Tandis que Lara découvre une nouvelle vie à Bamako, Samba commence à contester haut et fort certaines décisions de sa hiérarchie depuis que son père a été emprisonné. Nos deux héros se retrouvent un soir dans un des nombreux clubs de danse de Bamako et jurent de ne plus jamais se quitter. Samba amène Lara à la gare de Bamako afin qu’elle prenne un train pour Dakar où il la rejoindra…Mais les évènements vont en décider autrement.

— Alicia Da Luz Gomes et Stéphane Bak – Twist à Bamako
Image courtoisie Agora Films

Travaillant très exceptionnellement hors de sa ville fétiche, Marseille, et de l’Estaque, entouré par sa famille d’interprètes qui l’accompagne depuis le début de sa prolifique carrière, Robert Guédiguian démontre avec Twist à Bamako qu’il a su pleinement se renouveler. Son vingt-deuxième long métrage est un film d’époque situé dans les années soixante et qui s’offre de nombreux jeunes premiers dont les noms sont à suivre vu l’excellence de leur jeu.

Écrit à quatre mains par Robert Guédiguian et Gilles Taurand (associé pour la quatrième fois à l’écriture avec le réalisateur), le scénario commence à Bamako, en 1960 où l’effervescence d’une nation, fraîchement libérée du joug colonial, veut faire rimer indépendance avec égalité et équité.

« Cela parle de deux jeunes gens qui s’aiment et qui aiment leur pays; ils ont envie de se développer individuellement mais ils ont aussi envie que les gens autour d’eux soient heureux : ce sont de véritables idéalistes ! »

comme le décrit Robert Guédiguian. Ce sont de jeunes idéalistes qui veulent travailler et changer le corps de la famille, la condition féminine, les moeurs, la morale. Robert Guédiguian rappelle qu’il « il y a eu tout un combat, souvent passionnant, entre traditions et révolution : je continue à penser que le socialisme et le twist peuvent faire bin ménage. »

C’est en voyant à l’automne 2017 l’exposition de photographies de Malick Sidibé, Mali Twist, à la Fondation Cartier, que Robert Guédiguian a eu « un choc esthétique en voyant ses photographies et son œil, vu qu’on l’appelait L’Œil de Bamako, le regard qu’il portait sur la jeunesse malienne enthousiaste, rebelle, dansante, sensuelle, m’a plu et m’a donné envie d’en savoir plus sur cette jeunesse-là. » Robert Gudiguian a commencé à s’intéresser au Mali des années 1960 et a réalisé que durant les huit années de règne de Modibo Keïta, la jeunesse malienne a envisagé une émancipation totale, d’où l’importance de la présence soutenue de la musique avec une bande-son qui réjouira les adolescents des années soixante, donc les baby-boomers d’aujourd’hui, qui partageront l’enthousiasme et la frénésie des protagonistes dans les surprise-parties, familièrement appelées surpats. Avec le co-scénariste, le réalisateur a assemblé beaucoup de documentation pour se renseigner sur le Mali des années 1960. Tous deux se sont inspirés d’une des photographies les plus connues de Malick Sidibé où l’on voit deux jeunes gens danser, lui en costume blanc et elle, pieds nus en robe. S’ils sont en réalité frère et sœur, le réalisateur en a fait pour son film un couple d’amoureux :

« Nous voulions raconter une belle et tragique histoire d’amour pour incarner ce que j’appelle ce “moment communiste”, de construction, de fête révolutionnaire où les possibles se heurtent à la contre-révolution mais aussi à la tradition et aux coutumes ancestrales. »

Pour rendre hommage tant au travail qu’au photographe qui lui a inspiré ce film, Robert Guédiguian ponctue son film de clichés en nord et blanc qui s’intègrent au récit et immortalisent un instant de ces folles soirées sur la poste de danse, accompagnées du déclic de l’appareil comme si les spectateurs se trouvaient aux côtés de Malick Sidibé en train de saisir sur a pellicule les jeunes danseurs. Les convictions politiques du cinéaste sont connues et il a fait de ce sujet qui lui est si proche une histoire à la fois étrangère et familière. Robert Guédiguian souligne :

« Cette histoire de jeunes gens idéalistes qui veulent créer un État socialiste après l’indépendance tout en dansant le twist et le rock’n’roll, ressemble à ma propre histoire. Si Bamako ou Marseille en modifie la forme, le fond est strictement identique. »

Et d’ajouter aussitôt :

« J’ai le droit et le devoir de regarder toutes les histoires du monde. Heureusement, on peut raconter des choses qu’on n’a pas vécues, parce que nos pauvres vies sont très limitées. Je le dis sans provocation, c’est mon histoire, comme Tchekhov, Grossmann ou Harrison sont à moi, comme toute l’histoire et la culture du monde m’appartiennent, et je me dois de les utiliser. »

Les pointilleux reconnaîtront le Sénégal ; en effet, l’équipe n’a pas pu tourner au Mali en raison du climat politique actuel. En visionnant des documentaires de l’époque, le réalisateur a remarqué que les intellectuels au Mali parlaient en français. Cela l’a conforté dans l’idée de faire Twist à Bamako en français, avec des répliques en bambara – la langue véhiculaire au Mali mais aussi la langue vernaculaire dans ces villages reculés – pour illustrer le brassage linguistique de l’époque. D’ailleurs, lors de leur virée de sensibilisation dans les villages, un acolyte de Samba lui fait remarquer que les villageois ne comprennent rien à son discours cet qu’il serait préférable de traduire en bambara. On réalise alors que le français est la langue des Maliens de la capitale qui ont pu accéder à l’école coloniale. D’aucun s’étonneront de la légitimité de Robert Guédiguian à filmer un chapitre de l’histoire du Mali au sortir de la colonisation et en pleins balbutiements de l’indépendance nouvellement acquise. En tant que français, issu de l’ancienne puissance coloniale qui a dépossédé les Maliens, et toutes les anciennes colonies de leurs richesses et de leur histoire pendant plus d’un siècle – sans oublier la Françafrique -, Robert Guédiguian a anticipé cette question et estime avoir la responsabilité d’être le plus juste possible dans son récit :

« Je peux moins faire d’erreurs que si j’étais malien. J’aime être accablé de responsabilités en faisant un film, avoir énormément d’enjeux, de difficultés, de risques, et à travers ces risques de faire quelque chose qui soit le plus réussi possible. »

Avec Twist à Bamako, Robert Guédiguian prouve qu’il n’a rien perdu de sa fougue et de sa verve, nous livrant un film passionnant, plongeant les spectateurs dans l’enthousiasme mais aussi les inéluctables frictions de cette jeune nation libérée du colonialisme qui nourrit moult espoirs dans le socialisme pour se reconstruire. Immergeant sa caméra dans l’histoire en mouvement d’une société en pleine mutation, mâtinée d’une romance tant musicale que politique et sociale, le cinéaste nous rend ses personnages si proches de nous que nous nous y attachons au fil du récit. Les tubes yéyé tout droits sortis d’un juke-box, les platines qui grésillent, le gérant du club qui collectionne les numéros de Salut les copains : Robert Guédiguian a soigné les détails pour réussir à restituer le Mali des années soixante. La musique originale est signée Olivier Alary qui a fait la rencontre de Robert Guédiguian et qui a choisi de faire danser cette jeunesse qui découvre l’indépendance à Bamako en dansant des nuits entières sur le twist venu de France et d’Amérique : ainsi, on entend dans le film des chansons de Johnny Hallyday, Les Chats Sauvages, Claude François, The Ronettes, Chubby Checker, Ray Charles. Malgré la joie communicative distillée par ces tubes, le suspens historique et politique de cette époque demeure bien présente jusqu’à la fin du film.

Par ces frimas hivernaux, courez voir Twist à Bamako !

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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