Banel & Adama – D’amour et de sable brûlant
Un village esseulé au nord du Sénégal, mangé par le sable et ses tempêtes. Banel et Adama, jeunes mariés, vivent un amour fusionnel et atypique dans cette contrée où la famille, le village, le collectif prime l’individualisme, la communauté, dans ces régions hostiles, étant déterminante pour la survie face à l’adversité. À ceci s’ajoute les traditions patriarcales qui régissent la vie quotidienne de la communauté peule à laquelle il et elle appartiennent et auxquelles Banel (Khady Mane), éprise de la liberté d’aimer follement Adama (Mamadou Diallo) et du rêve d’organiser sa vie exclusivement autour de son couple, s’oppose frontalement.
La jeune femme a déjà été mariée auparavant ; avec le père d’Adama, chef du village. Comme le veut la coutume, il l’a prise pour épouse à la mort de celui-ci. En revanche, il retarde constamment le moment de prendre sa place dans la communauté, celle du chef de village. Au lieu de cela, il garde avec Banel le bétail – une autre entorse à la coutume, ce que ne manque pas de faire remarquer les femmes du village à la jeune femme, les femmes s’occupant de la lessive, des cultures, des enfants –, passe du temps avec elle et lors leur temps libre, ils ne cessent de peller afin de déterrer une maison ensevelie par les sables, en lisière du village, destiné à devenir leur cocon. Lorsque Adama se décide à informer le conseil des anciens qu’il refuse le rôle qui lui est destiné, le village est en émoi, d’autant plus que la pluie qui aurait dû tomber ne vient pas, mettant en péril les bétails et cultures de cette terre aride. La pression se fait grande sur Adama, le village voyant en son refus un signe défavorable à l’issue de cette grande sécheresse qui s’abat sur la communauté.
Sélectionné en compétition à Cannes 2023, le premier long-métrage de Ramata-Toulaye Sy est un conte aux accents mythologiques, où l’amour se heurte aux superstitions et croyances, aux éléments extérieurs déjouant leurs intentions. La réalisatrice convoque les jeux de lumière, les sons-lige qui flottent dans l’air, les voix off non narrative, comme des échos des pensées et des dialogues intérieurs, la poésie des paysages qui porte un mouvement contemplatif alors que la réalité brûle sous un soleil de plomb, et parvient constamment, sans jamais appuyer sur l’un ou sur l’autre, à plonger ses personnages dans les limbes terrestres, entre immanence et transcendance, entre volontarisme et déterminisme. Creusant d’abord avec une pelle, puis à mains nues l’énorme monticule de sable qui emprisonnent les maisons abandonnées et qu’il et elle ont choisi pour foyer, Banel et Adama tentent de se libérer d’une voie qui leur a été tracée.
Banel est une guerrière, pas particulièrement sympathique, mais pourquoi le devrait-elle ? Insoumise, elle ne sourit qu’à son amoureux, rejetant les regards inquisiteurs et sentenciers des gens du village. Elle ne répond qu’à une seule exigence, celle que son cœur lui dicte. Son côté radical, sans concession, dépeint une jeune femme moderne, irréductible – elle refuse même d’avoir des enfants, chose inconcevable au regard des traditions –, mais le rôle écrit par Ramata-Toulaye Sy pour Adama est également celui de la modernité et de la bravoure : non seulement le jeune homme s’oppose à tout un village et ses traditions, mais il choisit également la voie de l’amour à celui du pouvoir qui lui est légitimement donné.
La cinéaste ne juge pas la situation qu’elle décrit, les traditions ne sont pas une mauvaise chose en soi, elles sont ici une entrave au libre arbitre. En même temps, peut-on survivre dans ces conditions climatiques qui ne font qu’empirer sans se soumettre en partie au fonctionnement du groupe ? Loin du naturalisme, Ramata-Toulaye Sy offre un récit tragique, au réalisme magique, en créant un personnage de femme africaine, noire, qui n’a rien à envier à femmes de la tragédie grecque ! Son destin est lié à une malédiction qu’elle provoquerait en créant du chaos autour d’elle : une catastrophe climatique – la sécheresse mortifère. Ce chaos n’est pas seulement de l’ordre de la superstition, il a un fondement bien réel : Banel tue des animaux. La réalisatrice explique qu’elle l’a « voulue ainsi, comme une métaphore de nous toutes et tous, sur cette planète que nous ne respectons pas et dont nous causons la catastrophe climatique. » Un enfant, Malik (Amadou Ndiaye), dans un regard omniscient, est le seul à lui faire peur, lui faisant comprendre que quelqu’un voit et sait ce qu’elle fait. Le regard innocent de Malik est celui qui nous est à toutes et tous adressé, métaphore de notre culpabilité d’êtres humains envers la planète.
De Ramata-Toulaye Sy; avec Khady Mane, Mamadou Diallo, Binta Racine Sy, Moussa Sow, Amadou Ndiaye, Ndiabel Diallo; Sénégal; 2023; 87 minutes.
Écouter l’entretien de Firouz E. Pillet avec Ramata-Toulaye Sy.
Malik Berkati
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