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Battre la campagne / A Campaign of Their Own

Le titre donné par le réalisateur Lionel Rupp (membre du collectif d’artistes Zooscope) à son documentaire, présenté en compétition à la dernière édition des Visions du Réel,  mériterait à lui seul toute une digression sur le sens des titres et des différences qu’ils peuvent présenter selon la culture de la langue véhiculée. Le film est suisse, l’histoire est étasunienne et le titre original en anglais.

A campaign of Their Own

États-Unis, 2016 : la campagne électorale des primaires bat son plein. En ce qui concerne la désignation pour  le camp démocrate, tout le monde – ainsi que le monde entier – est persuadé qu’Hillary Clinton va l’emporter haut la main. Mais un homme venu de sa gauche lui tient la dragée haute, le sénateur du Vermont Bernie Sanders, qui peut compter sur une organisation de volontaires dévoués mais aussi remplis d’attentes démesurées envers leur candidat.
Lionel Rupp suit particulièrement un militant New-Yorkais, Jonathan Katz, qui met toute son énergie balancée entre ses espoirs en un homme providentiel et son désespoir de réaliser que les dés sont pipés. Les efforts consentis par les volontaires des campagnes électorales étasuniennes (quel que soit le camp ou l’élection) est unique : organisés à tous les niveaux, ils ne laissent rien au hasard et ratissent les moindres recoins où pourrait se cacher une voix pour leur candidat, avec des listings permettant les coups de téléphone, les SMS, le porte-à-porte, à côté des plus traditionnelles campagnes de rues. La caméra du réalisateur suit ces petits groupes de militants qui maillent le terrain et nous fait entrer dans l’intimité singulière d’un maillon de cette immense chaîne d’engagement. La vision micro d’une campagne macro. A Campaign of Their own…

— Jonathan Katz
© Zooscope

Battre la campagne

Le titre en français, plus ambigu, permet d’accéder plus facilement à un autre niveau de lecture du propos. En effet, si battre la campagne veut dire en termes de chasse parcourir le terrain dans tous les sens pour faire lever le gibier, ce qui correspond assez aux activités de Jonathan et ses collègues en faveur de Bernie Sanders, cette expression signifie également – avoir l’esprit ailleurs, divaguer. Et ce n’est pas sans fatalisme que l’on se prend d’affection pour Jonathan et quelques autres doux rêveurs en rage du mouvement, puisque nous, nous savons a posteriori, non seulement le hold-up qui sera fait sur cette primaire par l’adversaire de l’establishment démocrate, mais le résultat final de cette élection. « Nous voulons une révolution et nous la voulons maintenant ! », s’enflamme Jonathan Katz. C’est Donald Trump qu’ils auront pour 4 ans (et nous avec).

Battre la campagne / A Campaign of Their Own
© Zooscope

Si le monde, peu attentif jusqu’à présent au système très spécial de la démocratie étasunienne, a été stupéfait de constater que le président élu avait récolté moins de voix (un petit 3 millions) que son adversaire, ce que nous montre ce documentaire c’est que le système est problématique à tous les niveaux : dès le début du film on entend des militants questionner le système démocratique au niveau des primaires où les indépendants sont pratiquement exclus du processus.
L’intérêt de ce film est de mettre en évidence les lignes de fractures de la société étasunienne non pas « à l’américaine », c’est-à-dire en mode binaire, mais de manière beaucoup plus intéressante, au sein d’un camp hétérogène réuni autour d’un homme et qui, à mesure que la défaite se précise, se fracture elle-même sur les différentes strates de l’histoire de la construction de ce pays. A cet égard, l’épisode de la confrontation entre des Blancs qui en appellent aux Pères fondateurs de la nation pour revendiquer leur droit à la révolution et un Noir qui s’insurge en rappelant, devant ces militants blancs un peu médusés certainement de ne pas avoir inclus cette donnée dans leur raisonnement, que ces « pères fondateurs » ne sont certainement pas les siens et que lui, pour un simple contrôle de police joue sa peau – alors la révolution ! – est des plus édifiant.

A la fin, entre larmes, rage, incompréhension et désespoir de voir le sénateur Sanders soutenir la candidate Clinton (dans un langage très imagé une militante dit : « choisir entre Clinton et Trump, c’est comme demander si tu veux te faire enculer par une branche de sapin ou un fer chaud »), dans une sorte de catharsis renvoyant à l’image des grandes messes évangéliques, les gens défaits se rassemblent et se motivent dans des séances collectives empruntant à la dynamique de prêches, scansions, chants. C’est aussi cela la démocratie étasunienne : une grande capacité de résilience.

— Battre la campagne / A Campaign of Their Own
© Zooscope

La facture du film de Lionel Rupp n’est pas spectaculaire,  il n’y a aucun effet narratif ou visuel, le rendu semble même plat dans les premières minutes du film, pour autant le tour de force du réalisateur est de capturer petit à petit le spectateur dans cette aventure humaine à la fois exotique dans sa pratique singulière, et universelle dans la condition de citoyen à laquelle elle renvoie.

De Lionel Rupp ; écrit par Lionel Rupp et Michael David Mitchell ; Suisse ; 2017 ; 80 min.

Sortie en Suisse romande : 4 octobre 2017
Le jeudi 5 octobre, séance en présence de Lionel Rupp et Michael David Mitchell, producteur, pour un débat au cinéma Spoutnik.

Malik Berkati

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