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#BlackLivesMatter –  Queen & Slim : le film de fiction qui nous envoie directement dans les cordes de la réalité de la discrimination raciale aux États-Unis

Le 25 mai 2020, le monde réalise à quel point il est à bout de souffle. Évidemment, il y a eu cette sale maladie qui depuis décembre 2019 suspend la planète – et continue à attaquer les poumons de ses habitants – par vagues, au rythme de son avancée dans les territoires, mais depuis ce 25 mai où George Floyd a croisé le chemin du policier Derek Chauvin à Minneapolis, il y a également ce cri primaire qui résonne dans le monde entier : I can’t breathe. 8 minutes et 46 secondes. Je ne peux pas respirer. Le meurtre de George Floyd réveille partout les consciences et font écho à tous ces meurtres, violences policières et au racisme systémique. Bien sûr aux États-Unis, mais dans nos contrées également.

— Daniel Kaluuya et Jodie Turner-Smith – Queen & Slim
© Universal Pictures International

Le film de Melina Matsoukas ressort en Suisse romande (Cinémas du Grütli à Genève et Cinétoile à Prilly) ainsi qu’en Suisse alémanique (Bâle et Zurich) et nous fait passer directement du petit écran des informations télévisées, qui témoignent de l’indignation universelle et des manifestations exigeant justice, au grand écran qui à travers un fait divers éclaire les causes et les effets de cette asphyxie qui fait exploser les cœurs et les âmes de rage.

La longue scène de pré-générique nous invite au dîner de première rencontre entre Slim (Daniel Kaluuya) et Queen (Jodie Turner-Smith). Ce rendez-vous Tinder montre d’emblée que l’algorithme a ses propres voies impénétrables : Slim est un gars simple, jovial, un peu naïf, à la recherche d’une bonne vie tranquille, croyant et ne buvant pas ; Queen quant à elle est une avocate pénaliste brillante, cynico-désabusée, un peu hautaine et pète-sec, non-croyante. Peu de chances donc que ce premier rendez-vous en amène un second… si ce n’était la contingence des choses qui font qu’un couple d’Africain-Américain en voiture en Ohio est à la merci de n’importe quel policier qui décide de faire un contrôle poussé pour une infraction mineure. Le contrôle dérape et, dans un réflexe d’auto-défense, Slim abat l’officier. Dans une société où la justice est sourde aux communautés non-blanches, nos deux protagonistes décident de fuir plutôt que de se rendre et plaider la légitime défense. Commence ainsi un road-trip qui doit les mener jusqu’en Floride avec, pour traîne, une notoriété qui ne cesse de croître dans la communauté africaine-américaine grâce à la vidéo des événements qui est devenue virale.

« Tu es un homme noir, tu es maintenant un criminel »

– Queen à Slim.

Il y a quelques jours encore, on aurait pu souligner les quelques faiblesses du scénario – principalement dues au fait du mélange des genres alliant brûlot racial à une aventure romantique et road-movie initiatique qui donnent quelques moments narratifs un peu forcés –  et certains personnages très stéréotypés. Aujourd’hui, à l’aune des événements qui nous plongent dans cette réalité, le travail de Melina Matsoukas et de sa scénariste Lena Waithe prend une toute autre envergure. L’écho est tel que lorsque l’on apprend que le policier qui s’en prend au couple a déjà tué auparavant quelqu’un lors de son service, immédiatement, l’image de Chauvin vient se superposer sur celle de l’officier Reed (John Sturgill Simpson) – Derek Chauvin ayant continué sa carrière malgré 18 plaintes à l’interne contre lui et plusieurs accusations d’avoir causé la mort directement ou indirectement de plusieurs personnes, tout ceci n’ayant jamais abouti à des sanctions.
La critique qui voudrait que Queen & Slim n’arrive pas à choisir son propos et son genre, si elle n’est pas infondée, perd de son acuité après ce 25 mai 2020 : ce road-movie improbable permet justement de montrer la chose la plus simple du monde mais la plus essentielle – la simple volonté pour les Africains-Américains de vivre comme tout un chacun, sans avoir constamment peur de finir dans la colonne des faits divers d’une gazette locale. À cet égard la rencontre poignante de Queen et Slim avec Junior (Jahi Di’Allo Winston), un jeune garçon fasciné par le couple qu’il estime être devenu immortel par leur renommée nous rappelle que ce déni de justice perpétuel n’engendre que rage et désespoir.

« Je peux mourir aujourd’hui. Je veux aussi être immortel ; que l’on sache que j’étais là. »

leur dit-il.

Pour finir, cette histoire d’amour qui accompagne la fuite désespérée des deux protagonistes donne de l’épaisseur aux personnages qui se révèlent et évoluent tout au long de ces 2 heures et quart (ce qui est quand même d’une longueur pas vraiment justifiée), mais participe aussi au propos qui vise à montrer la discrépance entre une normalité de vie recherchée et une réalité qui enferme les horizons et les aspirations. Elle offre également, à l’instar des moments bucoliques dans les magnifiques paysages étasuniens hors des villes et banlieues corrodées par la misère sociale, des respirations bienvenues dans cette atmosphère baignée dans une violence permanente, qu’elle soit inter ou intra-communautaire. Cependant, si tout semble si sombre et obstrué, quelques moments de grâce, sublimés par la caméra de Tat Radcliffe, viennent affleurer les petits bouts d’espoir qui oscillent sur le fil de la vie, ces moments de solidarité actifs et, peut-être encore plus beaux, ceux qui s’expriment dans le silence et les moments de répits qu’ils offrent aux fugitifs, comme cette scène dans un juke joint de Louisiane où joue Little Freddie King où les deux amoureux dansent protégés par les regards et sourires bienveillants de la salle.

— Jodie Turner-Smith – Queen & Slim
© Universal Pictures International

Oui, définitivement, cette faiblesse que l’on reproche à Melina Matsoukas et Lena Waithe dans le rendu narratif du film est sa grande réussite : ne pas réduire Slim et Queen à des Noirs et des fugitifs.

De Melina Matsoukas ; avec Daniel Kaluuya, Jodie Turner-Smith, Bokeem Woodbine, Chloë Sevigny, Flea, John Sturgill Simpson, Indya Moore, Jahi Di’Allo Winston; États-Unis ; 2019 ; 132 minutes.

Malik Berkati

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