Berlinale 2016 – Compétition jour #2: Inhebbek Hedi, Midnight Special, Boris sans Béatrice
En cette deuxième journée de festival, 3 films en compétition avec pour fil conducteur la quête intérieure, l’effort sur soi pour mieux s’ouvrir à l’autre.
Inhebbek Hedi
Très bon film tunisien, coproduit par les frères Dardenne, Inhebbek Hedi ouvre un angle d’explication des difficultés sociétales post-révolution à travers le prisme d’un destin individuel.
Hedi est un jeune tunisien, représentant de voitures Peugeot, dont la vie est déjà toute tracée par les décisions que prend sa mère pour lui. Il obéit à tout le monde, son chef, sa mère, son frère, sa future épouse, ainsi qu’aux traditions et obligations qu’elles engendrent. Sur son visage se lit la souffrance de l’enfermement dans ce carcan. Une semaine avant de se marier, Hedi est envoyé dans une ville portuaire – Mahdia – prisée des touristes allemands, du moins avant la révolution et les soubresauts qui en ont résulté. Dans l’hôtel où il loge, il va rencontrer Rim, une animatrice pour touristes. Tombé amoureux, il va petit à petit se libérer, apprendre à profiter de la vie et la prendre en main. Mais si la recherche de la liberté et du bonheur est inhérente à la condition humaine, elle peut aussi être douloureuse car rarement absolue. Pouvoir décider, avoir le choix, c’est aussi savoir renoncer et/ou atteindre des limites. C’est ce qu’Hedi va finir par expérimenter.
La très belle idée de Mohamed Ben Attia est de nous montrer une Tunisie qui cherche encore sa voie 5 ans après la révolte populaire à travers des personnages en quête de leur réalisation personnelle. Hedi est en tension constante entre tradition et modernité, infantilisation et volonté d’émancipation, Rim lui pointe très justement la différence entre ce qu’est un rêve et un projet. Ces lignes de tension se retrouvent à l’identique dans la société tunisienne – et l’on pourrait étendre ce phénomène aux pays du petit Maghreb. Le réalisateur confirme cette approche : « À travers la découverte de soi, on se découvre en société. Ce qui m’a frappé juste après la révolution, c’est que l’on a commencé à découvrir qui est son voisin, son collègue, etc. La censure, la peur de l’espion faisait que même au niveau individuel, on ne se connaissait pas. Les gens sont en quête de bonheur, mais avant d’y arriver, il faut passer par un exercice de curiosité envers soi, se découvrir avant de pouvoir s’ouvrir au monde. »
Effectivement, une des force de ce film est de ne pas tomber dans le piège de la démonstration ostentatoire des images chocs ou des sujets qui tiennent le haut de l’actualité, comme l’islamisme par exemple, mais de passer subtilement par touches impressionnistes la toile de fond qui forme l’environnement dans lequel Hedi évolue.
Inhebbek Hedi de Mohamed Ben Attia ; avec Majd Mastoura, Rym Ben Messaoud, Sabah Bouzouita, Hakim Boumessoudi, Omnia Ben Ghali ; Tunisie, Belgique, France ; 2016 ; 88 min.
Midnight Special
Film post-messianique à la sauce texane avec tous les ingrédients plus insipides les uns que les autres du méli-mélodrame à l’étasunienne mêlant dans une salade mystique, mystère, paranoïa, complot, paranoïa du complot, fantastique, science-fiction avec quelques relents de film catastrophe. De surcroît, il est comique. Mais pas sûr que ce côté-là soit voulu, il jaillit plutôt involontairement des poncifs sirupeux – qui plus est noyés dans la musique idoine – principalement dans les (très très longues) scènes d’amour familial/filial, de séparations et de révélation (dans le sens spirituel) béatifiant pour ne pas dire bêtifiante. On se contentera donc de donner la trame de l’histoire.
Roy a enlevé son fils de 8 ans d’un ranch tenu par une secte. L’enfant porte des lunettes de protection à la lumière et ne peut voyager que la nuit. Petit à petit on se rend compte que le garçon a des pouvoirs surnaturels et que c’est la raison pour laquelle les adeptes du ranch ne sont pas les seuls aux trousses du père et du fils, mais les autorités fédérales étasuniennes également. S’en suit une course poursuite effrénée contre le temps, contre l’appareil d’État et les extrémistes de la secte, avec en parallèle une relation filiale qui se consolide.
À vos mouchoirs, que cela vous fasse pleurer ou rire…
De Jeff Nichols ; avec Michael Shannon, Joel Edgerton, Kirsten Dunst, Jaeden Liebherher, Adam Driver, Sam Shepard ; USA ; 2015 ; 112 min.
Boris sans Béatrice
Boris Malinovsky a tout réussi dans sa vie: il est chef d’entreprises, riche, a une épouse ministre dans le gouvernement canadien, les femmes lui tombent dans les bras… il est – dans le sens neutre du terme – parvenu. Terme peut-être pas si neutre en réalité. En effet, sa réussite sociale s’accompagne d’une manière arrogante de cheminer dans la vie, allant de la façon de traiter les autres à sa démarche et posture corporelle. Son orgueil semble tellement envahissant qu’il détermine tous ses rapport à autrui. Ce monde quasi aseptisé qu’il s’est construit dans sa tour d’ivoire se craquelle lorsque sa femme, Béatrice, tombe mystérieusement en grave dépression. À partir de là, comme il se doit, l’engrenage de la vie de Boris se grippe.
Évidemment, raconté comme cela, le dernier film de Denis Côté (qui avait reçu le Alfred-Bauer-Preis pour l’innovation pour Vic + Flo ont vu un ours lors de la Berlinale 2013) semble d’une grande banalité. C’est sans compter sur le jeu brillant des acteurs, et le savoir-faire narratif du réalisateur qui ne pense jamais l’intrigue comme une voie à sens unique mais s’attache toujours à ouvrir des perspectives au spectateur.
James Hyndman crève littéralement l’écran en Boris Malinovsky. Une présence physique dense accrue par le fait qu’il est de presque tous les plans. Sa compréhension du personnage fait corps avec son caractère. De nombreuses références sont faites dans le film à la mythologie et au théâtre grecs, mais James Hyndman voit également dans son personnage une référence à Don Juan : « Comme Don Juan, Boris possède beaucoup et croit pouvoir tout avoir. Mais a-t-il vraiment la liberté ? Don Juan choisit de ne jamais renoncer à rien au nom de sa liberté. Boris va faire le choix inverse et peut-être qu’ainsi il conquiert d’autres libertés… »
Quant à Béatrice, elle est incarnée par la lumineuse Simone-Élise Girard. Incarnation est le mot et lumière est l’actrice. Car comment jouer le rôle d’une femme en grande dépression, en quasi catatonie sans paraître évanescente et terne ? Et bien il faut entretenir une lueur qui émane de l’intérieur. C’est ce qu’à parfaitement réussi Simone-Élise Girard en relevant le défi de ne pas « en faire un caractère passif mais de la nourrir silencieusement, de la garder vivante» explique-t-elle. Pour ce faire, l’actrice est partie de l’idée que « Béatrice s’est rendue malade pour retrouver Boris. Elle également a réussi, elle aime le pouvoir et est une personne fière. Perdre son mari, c’était une sorte d’échec. »
À mentionner également la performance jubilatoire de Denis Lavant en Monsieur Loyal de l’éveil de la conscience.
Comme d’habitude, Denis Côté flirte avec le cinéma de genre, mais sans jamais forcer le trait, sans vraiment y entrer de plein pied, plutôt par allusions. Le cinéma devient avec ce réalisateur langue, traitée avec la même attention que le langage des corps ou celui des dialogues. Cette histoire aurait facilement pu tomber dans la caricature du bourgeois imbuvable auquel on souhaite presque ce qui lui arrive. Rien de manichéen chez le cinéaste québécois qui admet : « c’est aussi un peu biographique. Parfois moi aussi je me lève le matin en me demandant si je suis une bonne personne. Je voulais accompagner un personnage qui a une certaine tenue et arrogance mais qui a des problèmes qui appartiennent à sa classe. Mais je ne voulais pas faire un film anti-bourgeois, je voulais le filmer à hauteur de sa classe sociale sans le condamner pour en faire partie. Je voulais suivre ses gestes au quotidien destinés à réparer ce qu’il y a de cassé dans sa vie, à faire ce travail sur lui-même. »
C’est pourquoi, malgré tout, Boris n’est pas un personnage antipathique mais quelqu’un dont on suit le parcours avec empathie car après tout, quelque que soit la classe sociale à laquelle on appartient, tout le monde peut se sentir un jour ou l’autre un Boris… et un Boris sans sa Béatrice, comme pour Dante, c’est l’enfer.
Boris sans Béatrice de Denis Côté ; avec James Hyndman, Simone-Élise Girard, Denis Lavant, Isolda Dychauk, Dounia Sichov, Laetitia Isambert-Denis, Bruce La Bruce, Louise Laprade ; Canada ; 2016 ; 93 min.
Retrouvez également une citation du film dans notre série Quote of the Day
Malik Berkati, Berlin
© j:mag Tous droits réservés
Ping : Berlinale 2016 – Quote of the Day #2: Boris sans Béatrice | j:mag
Ping : Berlinale – Les pattes d’ours décernées par j:mag | j:mag
Ping : Palmarès 66è Berlinale très politique, trop politique? | j:mag
Ping : ALFILM: le 7e Festival du film arabe à Berlin | j:mag
Ping : Entretien avec Simone-Élise Girard, une actrice qui ne laisse rien au hasard | j:mag
Ping : Ta peu si lisse, documentaire de Denis Côté – J:MAG
Ping : Entretien avec Simone-Élise Girard, une actrice qui ne laisse rien au hasard – J:MAG
Ping : Berlinale 2021 – Encounters : Hygiène Sociale de Denis Côté qui propose à nouveau un bel exercice de style cinématographique réjouissant ! – J:MAG